Genre : action, film noir
Année : 1999
Durée : 1h56
Synopsis : C'est au milieu des oiseaux, dans une cabane perchée sur le toit d'un immeuble abandonné, que Ghost Dog étudie un ancien texte samouraï. Ghost Dog est un tueur professionnel qui se fond dans la nuit et se glisse dans la ville. Quand son code moral est trahi par le dysfonctionnement d'une famille mafieuse qui l'emploie de temps à autre, il réagit strictement selon le code samouraï.
La critique :
En l'espace de trois décennies, Jim Jarmusch est devenu le chantre du cinéma indépendant américain. Des films tels que Mystery Train (1989), Stranger Than Paradise (1984), Down by law (1986), Dead Man (1995), Broken Flowers (2005), et dernièrement Patterson (2016) lui ont permis d'asseoir sa réputation et sa notoriété sur le monde hollywoodien. En l'état, Jim Jarmusch est le digne représentant d'un cinéma intellectuel, parfois un brin alambiqué, mais néanmoins accessible au grand public. En l'occurrence, c'est Stranger than Paradise qui lui ouvrira la boîte de Pandore en s'arrogeant la caméra d'or au festival de Cannes, ainsi que le Léopard d'or au festival de Locarno.
A fortiori, l'univers de Jim Jarmusch ne partage aucune accointance avec celui de Ghost Dog, la voie du samouraï, sorti en 1999.
Le film est aussi le remake officieux de Le Samouraï (Jean-Pierre Melville, 1967), qui était déjà l'adaptation d'un roman, The Ronin, de Goan McLeod. Pour mémoire, le long-métrage français (cocorico !) de Jean-Pierre Melville a largement traversé ses frontières hexagonales en son temps. Alain Delon, l'interprète principal du film, s'exporte au pays du Soleil Levant et devient une figure emblématique. La raison ? Le Samouraï invoque la culture asiatique en prenant comme bréviaire Rashomon (Akira Kurosawa, 1950), un film populaire qui a marqué plusieurs générations de cinéastes.
A son tour, Le Samouraï influence de nombreux metteurs en scène aguerris, notamment John Woo (Le Syndicat du Crime en 1986 et The Killer en 1989) et Nicolas Winding Refn (Drive en 2011). Vient également s'agréger Ghost Dog, la voie du Samouraï.
De facto, Ghost Dog sera à la fois un remake hollywoodien et un polar urbain reprenant la trame scénaristique du film de Jean-Pierre Melville. Cependant, le métrage de Jim Jarmusch n'a pas les mêmes aspérités narratives. Présenté en compétition pour la palme d'or lors du festival de Cannes en 1999, Ghost Dog essuie une rebuffade. A contrario, cette oeuvre cinématographique est encensée, adulée et même adoubée par les adulateurs de Rashomon et de Le Samouraï.
Reste à savoir si le film mérite de telles flagorneries. Réponse dans les lignes à venir... Si Ghost Dog a connu une exploitation ainsi qu'un succès plutôt modeste lors de sa sortie en salles, il s'est rapidement octroyé le statut de film culte, venant carrément contrarier l'omnipotence du film de Jean-Pierre Melville. Evidemment, les thuriféraires de l'oeuvre originelle remarqueront et notifieront toutes les allusions furtives à Le Samouraï.
Impossible de ne pas percevoir, entre autres, toutes ces références à la nature et en particulier à ces volatiles qui alertent sur l'intrusion d'un ou plusieurs ennemis. Mais Ghost Dog se distingue également par sa bande originale composée par les soins de RZA et de Wu-Tang Clan. Le film de Jim Jarmusch est donc imprégné en permanence par cette musique hip-hop et curieusement mélancolique. Ce qui confère à cette oeuvre une tonalité particulière, à la limite de l'eschatologie funèbre.
Thématique sur laquelle nous reviendrons ultérieurement. A priori, rien ne prédestinait Forest Whitaker à tenir le rôle de ce samouraï moderne. Avant Ghost Dog, le comédien au physique replet a surtout joué des personnages subalternes au cinéma. Vient également s'ajouter John Tormey, Cliff Gorman, Tricia Vessey, Henry Silva, Richard Portnow et Isaach de Bankolé.
Attention, SPOILERS ! C'est au milieu des oiseaux, dans une cabane perchée sur le toit d'un immeuble abandonné, que Ghost Dog étudie un ancien texte samouraï. Ghost Dog est un tueur professionnel qui se fond dans la nuit et se glisse dans la ville. Quand son code moral est trahi par le dysfonctionnement d'une famille mafieuse qui l'emploie de temps à autre, il réagit strictement selon le code samouraï. Ghost Dog considère Louie comme son maître à la suite d'un incident survenu huit ans auparavant. Mais ce dernier fait partie de la mafia italienne locale.
Quand la fille du « Parrain » devient le témoin d'un des contrats de « Ghost Dog », celui-ci semble alors bien gênant pour les mafieux qui décident de s'en débarrasser au plus vite. A l'aune de cette exégèse, difficile de s'enthousiasmer pour Ghost Dog, la voie du samouraï.
Dès l'introduction du film, Jim Jarmusch cherche à rompre avec cette dialectique ânonnée par Rashomon et Le Samouraï. En l'état, le guerrier érigé par Jim Jarmusch n'est pas cet être ténébreux, mystérieux et invulnérable psalmodié par le film de Jean-Pierre Melville. Forest Whitaker est chargé de phagocyter l'aura charismatique d'Alain Delon. Ridicule... A fortiori, Ghost Dog part sous de mauvais auspices. Il faudra donc se contenter d'un samouraï qui écoute du hip-hop et arpente une cité en déshérence avec des tennis "Nike". Paradoxalement, Jim Jarmusch réussit à rendre ce héros crédible et plausible en se focalisant sur des personnages subsidiaires qui nimbent le quotidien de Ghost Dog.
Ce n'est pas un hasard si le réalisateur auréole sa pellicule d'une certaine truculence, à l'image de ces saynètes furtives de cartoon, ainsi que ces malfrats sérieusement empotés qui passent leur temps à morigéner.
Ainsi, Louie, le sauveur infortuné de Ghost Dog, est au mieux une raclure qui accumule les bourdes auprès de ses hiérarques, manquant à chaque fois de se faire assassiner. Le film de Jim Jarmusch se nourrit sans cesse de cette dissonance tout en rendant hommage aux films de samouraïs. Ainsi, Rashomon est souvent érigé comme ce parangon de philosophie asiatique. Une autre époque en somme, soit celle où d'illustres guerroyeurs entraient en symbiose avec dame Nature.
Le film est régulièrement entrecoupé par les préceptes des samouraïs ("La fin est importante en toute chose"). Ces codes sont donc guidés par les principes de la vaillance, de la probité, de l'amitié et de la pugnacité. Mais pour devenir un samouraï aguerri, il faut aussi communier avec cette nature primordiale. Tel est le message, en filigrane, esquissé par un Jim Jarmusch péremptoire.
Mais pas seulement. Sur la forme, Ghost Dog, la voie du samouraï est bel et bien une oeuvre surréaliste, ne serait-ce que par son ton pittoresque, son héros soyeux mais finalement improbable, ses gangsters renégats mais benêts, et aussi par cette musique nonchalante conviant le spectateur à scruter des oiseaux indicibles dans un décor urbain et austère. C'est tout le paradoxe de Ghost Dog, à savoir ce décor presque eschatologique dans lequel son samouraï adipeux évolue.
Mais plus que cette improbabilité, Ghost Dog dissémine ici et là une thématique bien réelle : la communication, ou plutôt son antithèse, à savoir l'incommunicabilité. Tout au long du film, c'est un Forest Whitaker désabusé qui tentera de se faire comprendre auprès de Raymond, un marchand de glace qui parle le yoruba, un dialecte nigéro-congolais totalement incompréhensible.
Le personnage incarné par Forest Whitaker échappe également à notre vision hédoniste et consumériste. Ce tueur professionnel est finalement introuvable et inexistant, non seulement aux yeux de la plèbe, mais aussi de ses nouveaux ennemis qui cherchent à l'occire et à l'éliminer. Pour le contacter, il faut faire preuve de longanimité et griffonner des messages élusifs via des pigeons voyageurs. De surcroît, ces mêmes volatiles préfigurent ce rêve épris de liberté.
De même, Pearline, une jeune jouvencelle de 12 ou 13 ans (tout au plus), est destinée à reprendre le flambeau et à s'imprégner de la culture des samouraïs. Une culture qui n'a plus sa place dans notre société capitaliste régentée par le crime, les trafics et cette populace abandonnée par les édiles politiques. Vous l'avez donc compris. On tient là une oeuvre éminemment complexe qui mériterait sans doute une analyse beaucoup plus précautionneuse.
Note : 17.5/20