Genre : shockumentary, trash, death movie (interdit aux – 18 ans)
Année : 1995
Durée : 1h20
Synopsis : Dans une morgue de Budapest, le réalisateur Robert-Adrian Pejo suit le quotidien du médecin légiste Janos Keseru. De la maladie et de la vieillesse jusqu’au décès et à l’autopsie des corps, le cinéaste retrace le parcours final de la destinée humaine. Entre dissections, éviscérations et découpages de cadavres, ce documentaire choc s’interroge également sur l’hypothèse d’une vie après la mort, tout en illustrant l’évidente précarité de l’être humain et de sa condition corporelle.
La critique :
Allez, encore un petit Death Movie pour la route. Celle qui mène tout d’abord au cimetière et puis après… L’âge avançant, l’idée de la mort se fait en toute logique de plus en plus présente dans l’inconscient. Mais comme je ne suis pas égoïste, je tenais à vous faire partager mes angoisses existentielles au travers d’un documentaire bien glauque de derrière les fagots. Froid comme l’enfer et tranchant comme le scalpel, Der Weg Nach Eden est une œuvre qui remue l’estomac par son abrupte réalité.
Extrêmement rare, ce film est, même sur internet, difficilement accessible. D’ailleurs, il reste préférable que de telles productions soient vouées à la plus totale confidentialité, ne serait-ce que pour maintenir un semblant de santé mentale chez le spectateur lambda qui tomberait dessus par hasard. A ma connaissance, Der Weg Nach Eden est le seul death movie européen réalisé dans les années 1990.
Avant lui, Le Poème de Bogdan Barkowski (disponible sur la compilation Cinema of Death) en 1986, avait déjà marqué les esprits. Plus récemment, le terrible segment « Frülhing » dans le Blue Snuff signé Marian Dora en 2009, ravivait le genre en le portant à son paroxysme. Ne parlons pas évidemment des apocalyptiques productions japonaises, propices à ébranler les spectateurs les plus endurcis.
Loin de proposer 90 minutes de boucherie continue, ce documentaire, à l’instar d’Orozco The Embalmer, s’intéresse au quotidien d’un praticien de la mort. Ici, il ne s’agit pas d’un embaumeur mais d’un médecin légiste, le docteur hongrois Janos Keresu. D’une rigueur toute germanique, la réalisation est carrée, sans fioriture, chirurgicale au sens propre comme au sens figuré. Pejo s’attelle à décrire dans les moindres détails le déroulement chronologique d’une journée de travail du médecin.
Même si le métrage est interrompu par des passages plus légers, intimement liés à la vie privée du médecin, l’atmosphère n’en demeure pas moins lourde comme une chape de plomb. Glaciale est également l’ambiance mortifère de cette morgue perdue dans la nature aux alentours de Budapest qui, de l’extérieur, ressemble un peu à ces vieilles bâtisses hantées que l’on voyait dans les films gothiques anglais des années 1960. Attention, SPOILERS ! Budapest, 1995.
Robert-Adrian Pejo pose sa caméra dans les pas du Docteur Janos Keseru, un médecin légiste qui pratique à la morgue située dans l’agglomération de la capitale hongroise. En suivant au plus près la journée de travail du légiste, le réalisateur nous rend compte de l’atroce banalité des actes pratiqués sur les cadavres. Cette banalité ressort d’autant plus que l’on voit le légiste discuter avec ses collègues de travail, manger un hamburger ou recevoir la visite de sa fille.
Bref, un homme normal qui exerce un métier qui ne l’est pas du tout. Les trente premières minutes du documentaire nous présentent l’homme ainsi que son environnement familial qui ne se démarque en rien des règles sociales de base. On voit notamment les enfants jouer au badminton, madame s’affairer dans la cuisine ou encore monsieur laver sa voiture. Bref, tous les poncifs sur le foyer bourgeois sont réunis.
L’ordinaire fait place à l’horreur quand nous pénétrons dans cette morgue, qui fait également office d’institut, et que nous découvrons en quoi consiste la véritable activité du docteur Keseru.
Dans les blocs, des corps décharnés sont allongés sur des tables en attente d’être autopsiés. Dissections, éviscérations, sutures, il est bien là le quotidien si particulier de cette fonction que Keseru pratique avec un zèle jamais pris en défaut. Le documentaire ne se contente pas de présenter des morts. Car avant cela, le réalisateur propose un cheminement logique en nous montrant des vieillards et infirmes arrivés au terme de leur parcours terrestre.
Pour eux, la prochaine étape sera la dernière. Le film se poursuit sur une note plus légère n effectuant quelques flash-back sur les vacances du docteur Keseru (on le voit notamment en Egypte avec sa famille) et s’achève carrément dans la spiritualité, quand celui-ci procède à la dispersion des cendres de l’un de ses proches dans un parc splendide et baigné de soleil. La fin quelque peu mystique de ce documentaire réchauffe légèrement l’ambiance austère et monolithique qui règne à l’écran 90 minutes durant. Pejo termine sur une note d’optimisme puisque ces cendres qui volent aux quatre vents deviennent l’expression métaphorique de l’âme du défunt s’en allant sur le « chemin du Paradis ».
Ceci dit, Der Weg Nach Eden reste avant tout un death movie. C’est-à-dire qu’entre les trente premières minutes plutôt calmes et les vingt dernières quasiment spirituelles, le documentaire balance pendant une bonne demi-heure, des images à la limite du soutenable.
Sans tomber dans le sensationnalisme, mais avec un souci du détail aigu, Robert-Adrian Pejo filme les opérations avec une rigueur glaçante : épluchage de visage, découpage de boîte crânienne, débitage de cervelles, ouverture de cage thoracique avec éviscération totale des organes… Autant dire que le visionnage de ce film est fortement déconseillé à l’heure de la digestion. Cependant, malgré sa froideur et son côté « documentaire de la nuit sur Arte », Der Weg Nach Eden se démarque de ses monstrueux congénères par sa thématique sous-jacente, le questionnement sur une hypothétique vie après la mort.
Bien que la bande son en hongrois et les sous-titres en allemand (double peine) ne facilitent pas la compréhension, on devine que le réalisateur se questionne tout en ne négligeant pas la possibilité d’un après surnaturel. En fait, ces corps désossés, ces chairs découpées au scalpel, ne seraient que la partie immergée de l’entité humaine, dont le principal constituant, l’âme, se trouverait autre part, dans un ailleurs. Au final, Robert-Adrian Pejo délivre un documentaire plus mystique que l’on aurait pu penser au premier abord. Cela n’enlève rien, cependant, à l’épouvantable morbidité des images qui émaillent le film, et qui ne sauraient être recommandées aux personnes impressionnables.
Sans atteindre les extrémités infernales des shockumentaries nippons, Der Weg Nach Eden n’en représente pas moins un spectacle d’une grande agressivité visuelle, mais qui a toutefois le mérite de nous faire réfléchir à l’incommensurable fragilité de notre condition humaine.
Note : 13.5/20