Genre : drame, biopic, comédie dramatique
Année : 1995
Durée : 2h06
Synopsis : Evocation de la vie d'Ed Wood, réalisateur considéré de son vivant comme le plus mauvais de tous les temps, aujourd'hui adulé et vénéré par des milliers d'amateurs de bizarre et de fantastique à travers le monde.
La critique :
Depuis sa tendre enfance, Tim Burton a toujours voué une fascination pour les vieux films d'épouvante et de science-fiction des années 1950 et 1960. A ce titre, l'acteur Vincent Price fait figure d'idole pour le jeune cinéaste, déjà sous l'égide des studios Walt Disney dès la fin des années 1970. Par la suite, le réalisateur, producteur et scénariste américain se détache de toutes ces productions aseptisées pour façonner son propre univers, à la fois marqué par une ambiance gothique et le conte féérique.
Ou lorsque le morbide côtoie l'onirisme et la fantasmagorie, comme l'atteste l'univers obombré d'Edward aux mains d'argent (1990). En hommage à son acteur fétiche (donc Vincent Price au cas où vous n'auriez pas suivi...), Tim Burton réalise un court-métrage, Vincent (1982).
A travers cette pellicule, le cinéaste exprime toute sa fascination pour la littérature d'épouvante (Edgar Allan Poe), les productions de la Hammer et le cinéma expressionniste allemand. Surtout, le court-métrage confirme cette longue amitié qui va naître entre le réalisateur et l'acteur britannique. Comme un symbole, Edward aux mains d'argent marquera la dernière apparition de Vincent Price au cinéma. Eploré, Tim Burton décide de lui rendre un vibrant hommage avec Ed Wood, sorti en 1995.
De surcroît, ce nouveau long-métrage doit également refléter la passion de Tim Burton pour un autre pan du cinéma, l'univers de la bisserie et de toutes ces productions faméliques bricolées avec les moyens du bord. Un cinéma dont Ed Wood, le réalisateur, est le digne parangon.
A fortiori, un tel biopic est condamné à connaître un vrai bide commercial puisque le film se centre sur la véritable histoire d'Ed Wood considéré comme "le plus mauvais réalisateur" de toute l'histoire du cinéma. Un titre peu glorieux décerné par Michael et Harry Medved dans leur livre, The Golden Turkey Awards, en 1980. Les fans du cinéma Z exultent et se penchent sur l'univers de ce nouveau trublion, hélas disparu quelques années auparavant.
Ed Wood ne connaîtra donc jamais les aléas de la célébrité. Injustement oublié, voué à l'opprobre et aux gémonies, le cinéaste se confinera dans l'alcoolisme et la neurasthénie mentale. Tim Burton se passionne pour ce réalisateur oublié et répudié par ses pairs. Narquois, Tim Burton découvre que chaque film réalisé par Ed Wood se devait d'atteindre la quintessence d'un Citizen Kane (Orson Welles, 1946).
Hélas, toutes ces pellicules seront au mieux tancées et vilipendées par la presse. Pourtant, Tim Burton n'opte pas pour une comédie ou une gaudriole destinée à se moquer de ce "zeddard" excentrique. Bien au contraire. Plus que jamais, Ed Wood (le film) doit s'apparenter à un hommage probe et sincère. La distribution du long-métrage réunit Johnny Depp, Martin Landau, Patricia Arquette, Sarah Jessica Parker, Bill Murray, Jeffrey Jones, Lisa Marie, George Steele, Mike Starr et Vincent D'Onofrio.
Attention, SPOILERS ! (1) En 1952, Ed Wood cherche à percer dans l'industrie du cinéma. Il rencontre le producteur Georgie Weiss alors que celui-ci cherche à faire un film basé sur l'histoire de Christine Jorgensen et lui propose d'écrire le scénario. Peu après, Wood rencontre Bela Lugosi et les deux hommes deviennent rapidement amis.
Wood persuade Weiss de le laisser réaliser le film car lui-même aime s'habiller en femme et en mettant en avant la participation de Lugosi au projet. Wood réalise son rêve en étant à la fois acteur, scénariste, réalisateur et producteur de Glen or Glenda ? mais le film est un grave échec à la fois commercial et critique. (1) Il n'est pas étonnant que Tim Burton se soit centré sur cet histrion du cinéma bis. Curieusement, les deux hommes se ressemblent.
Ed Wood, c'est aussi cet éloge du cinéma de jadis, d'un Septième Art désargenté qui doit composer et monter un film avec quelques bobines et trois bouts de ficelle. Mais Ed Wood, c'est aussi ce réalisateur pugnace qui rêve de gloire et d'atteindre la quintessence d'un Orson Welles. Hélas, ce dernier doit sans cesse négocier avec des producteurs spécieux et uniquement appâtés par le lucre.
Oui, toutes les anecdotes disséminées par Tim Burton sont véridiques. Oui, Ed Wood se grimait bel et bien d'oripeaux féminins pour tourner ses séries Z. Oui, le réalisateur en déveine rencontrera le fameux Orson Welles. Oui, le cinéaste ne tourne jamais deux fois la même scène et tant pis si les acteurs font preuve de maladresse (une chute malencontreuse dans le décor par exemple) ou d'amateurisme.
Oui, pour financer le fameux Plan 9 From Outer Space (1959), considéré comme le film le plus nul de toute l'histoire du cinéma (à égalité avec Turkish Star Wars), Ed Wood fera appel aux financements d'une étrange secte. Bref autant de petites historiettes qui pourront provoquer un rictus imbécile. Pourtant, à aucun moment, Tim Burton ne s'ébaudit de son protagoniste principal. A contrario, il établit une curieuse juxtaposition entre la biographie de ce fanfaron et sa propre trajectoire personnelle.
Il suffit de regarder la relation qui se tisse entre Ed Wood et son acteur fétiche, Bela Lugosi, pour s'en rendre compte. Tim Burton effectue un parallèle entre cette longue amitié et la fascination qu'il portait lui-même pour l'immense Vincent Price. Mais Ed Wood, c'est aussi une façon de concevoir le cinéma. Le Septième Art doit rester fidèle à ses préceptes et ne pas céder à la tentation de la couleur ou d'un marché rentable et mercantile. C'est probablement pour cette raison que Tim Burton choisit de tourner son biopic en noir et blanc. Le long-métrage se centre largement sur le tournage de Plan 9 From Outer Space (déjà précité). Cette série Z famélique résume à elle seule l'univers fantasque de ce réalisateur. Une invasion d'extraterrestres puis de zombies ?
Les macchabées ne sont que trois ou quatre protagonistes à l'écran. Quant aux soucoupes volantes, elles sont maladroitement activées par des ficelles et des techniciens avinés. Hormis Ed Wood lui-même, le film s'apparente à une longue iconographie sur la figure de Bela Lugosi, un acteur héroïnomane et proche de la déchéance. Sous ses faux airs de comédie goguenarde, Ed Wood est un film qui aborde de nombreuses thématiques : la mort, le deuil, l'amitié et l'oubli.
Plus que jamais, ce biopic s'apparente à une sorte de miroir, à ce qui semble effaroucher Ed Wood depuis qu'il est sous le feu des projecteurs : son propre glas et son éventuelle postérité. Certes, au moment de sa sortie, le long-métrage essuiera un véritable camouflet. Pourtant, on tient probablement là le ou l'un des meilleurs crus de Tim Burton, en tout cas le plus probe, le plus personnel et le plus sincère, à l'image finalement de son principal protagoniste.
Note : 16.5/20
(1) Synopsis du film sur : https://fr.wikipedia.org/wiki/Ed_Wood_(film)