Genre : Thriller, fantastique, épouvante, horreur
Année : 1920
Durée : 1h17
Synopsis :
Une fête foraine plante ses attractions dans la petite ville allemande d'Holstenwall. Un étrange vieillard, le docteur Caligari, entend y exhiber un jeune somnambule, Cesare, dont il monnaie les dons de voyant. Mais Caligari n'obtient pas de l'administration l'autorisation qu'il lui demandait. Le lendemain, le fonctionnaire responsable de cette humiliation est retrouvé mort. Le soir même, Cesare prédit à un jeune homme qu'il ne verra pas la fin de la nuit. Sa prédiction se réalise. Bouleversé, l'ami du défunt, Francis, se met à surveiller Caligari, qu'il suspecte du meurtre...
La critique :
Qu'on le veuille ou non, le cinéma d'horreur fait depuis longtemps partie intégrante du très riche monde cinématographique. Souvent décrié par une presse hostile et étroite d'esprit, le considérant comme un sous-genre n'apportant rien au cinéma et l'avalanche de navets débiles (pléonasme), il ne faut pas être Einstein pour savoir que l'horreur et le fantastique ne coulent pas des jours heureux. On pourrait accuser comme dit plus haut les réalisateurs essentiellement américains sans talent qui n'arrivent en aucun cas à enrichir ce genre, de l'autre une presse décourageant ceux qui s'y risqueraient et à côté, un manque d'intérêt de certains réalisateurs coincés dans la Nouvelle Vague pour ce genre, phénomène que nous observerons au niveau du cinéma français.
Actuellement, pour avoir le privilège de trouver des films d'horreur d'intérêt, on doit se tourner essentiellement vers le cinéma coréen et espagnol. En dehors de ça ?
De temps en temps, un bon film d'horreur surgit des tréfonds des USA ou de l'Angleterre et quand on croise suffisamment les doigts, on peut en voir un en France pointer le bout de son nez. Bref, nous le savons tous sur ce blog, ce n'est pas le genre le plus fourni en chefs d'oeuvre dans le monde du cinéma. Aujourd'hui, nous allons faire un bon de presque un siècle en arrière pour se retrouver face au tout premier film considéré comme étant horrifique, à savoir Le Cabinet du Docteur Caligari, pur produit made in Allemagne et ancré dans un des plus beaux courants du cinéma, l'expressionnisme allemand.
Courant qui se trouve être le point de départ de tout le cinéma fantastique et forcément courant qui est chéri par tout passionné de films fantastiques et horrifiques sans qui ce blog n'aurait pas existé. Maintenant faisons un petit bond en arrière, nous sommes au tout début des années 1920 et l'Allemagne se remet très difficilement de sa défaite lors de la première guerre mondiale.
Les studios de cinéma à cette époque, incapables de rivaliser avec les productions luxueuses hollywoodiennes, à cause de la récession économique frappant le pays, vont tout miser sur un cinéma différent où le symbolisme et l'atmosphère seront les fers de lance des nouveaux films sur le marché. L'aveu d'impuissance suite à cet échec de la guerre très mal perçu par la population oppressée par les vainqueurs est une hypothèse plus que probable, également à la création de films glauques qui pourrait être vue comme une sorte de catharsis. Si ce cinéma peut être considéré d'un point de vue extérieur comme un cinéma fauché, c'est très mal de dire qu'il n'aura eu aucun impact majeur sur le monde cinématographique car en plus d'être, comme je l'ai dit plus haut, créateur des genres horrifiques et fantastiques, l'expressionnisme deviendra l'un des courants les plus nobles chez les cinéphiles avec une quantité assez ahurissante de chefs d'oeuvre sortis et devenus dès lors des grands classiques du cinéma.
Ainsi l'on verra émerger différents réalisateurs dont le plus connu est sans doute Fritz Lang avec au pedigree, Metropolis, Les Nibelungen ou encore Les Trois Lumières donc 3 chefs d'oeuvre du cinéma allemand.
N'oublions pas également Murnau et ses Nosferatu et Faust mais qu'on se le dise, Robert Wiene reste le représentant principal avec son Caligari, emblème du genre car tout premier film expressionniste et qui est devenu une immense source d'inspiration pour de nombreux films, dont un grand nombre de classiques tels Dracula et Frankenstein. Il est d'ailleurs à noter que ce film bénéficiera en 2005 d'un remake que je préfère ne pas voir car je me fais vite une idée de ce à quoi cela devrait ressembler. Après cette habituelle parenthèse historique, nous pouvons passer à l'analyse de ce petit bijou.
ATTENTION SPOILERS : Une fête foraine s'installe dans un village du nom d'Holstenwall. Un étrange vieillard nommé Caligari veut profiter de cette occasion pour y exhiber un somnambule du nom de Cesare. Malheureusement pour lui, l'administration ne lui donne pas d'autorisation.
C'est le début d'une série de crimes tout aussi mystérieux les uns que les autres, d'abord le fonctionnaire responsable de cette humiliation faite à Caligari et ensuite d'un homme après la prédiction funeste de Cesare. Bouleversé par la mort de son ami, Francis se met à enquêter et suspecte rapidement Caligari d'être derrière toute cette histoire. FIN DES SPOILERS
A partir de ce moment-là, préparez-vous durant la courte durée de 77 minutes de film d'évoluer dans un autre monde où l'onirisme côtoie le surréalisme. On pourra dire ce que l'on veut mais même avec 97 ans au compteur, ce film parvient toujours à nous captiver par l'ambiance irréelle qui s'en dégage. Le Cabinet du Docteur Caligari n'a pas usurpé sa réputation de principal représentant de l'expressionnisme tant toutes les caractéristiques physiques du film nous sautent aux yeux avec cette architecture essentiellement triangulaire et déformée renforçant cette impression d'évoluer dans un cauchemar éveillé.
Que cela soit les bâtiments, les portes, les fenêtres, les arbres, les croix du cimetière et même les lampes, tout est biscornu, ce qui donne une esthétique très originale qui, fatalement, ne plaira pas à tout le monde mais qui, personnellement, m'a fasciné. De même, Wiene apporte une seconde touche d'originalité au décor avec ses immenses tabourets où les officiers sont assis et qui les voient être arc-boutés sur leur bureau sans oublier les chaises au très long dossier. Retenez bien que, à l'exception des personnages qui n'ont pas été rendus biscornus pour des raisons d'éthique, tout est irréel et cela donne un style relativement expérimental. De même, et c'est d'une logique stupéfiante, le mot expressionnisme comprenant le terme expression, il est facile de remarquer le jeu d'acteur volontairement exagéré qui est une autre caractéristique principale de ce mouvement.
Une caractéristique, témoignage d'une époque où les acteurs étaient forcés de faire passer leurs émotions avec excès, faute de cinéma parlant. Ceci permet par la même occasion de renforcer ce lien étroit existant entre l'expressionnisme allemand et le théâtre.
On peut très nettement observer ce lien également dans la construction scénaristique avec les 6 actes structurant le récit ainsi que les enchaînements de situation dans les moments d'agitation avec ces personnes débarquant de nulle part comme lors de la poursuite du supposé meurtrier dans les rues de la ville. Au risque de me répéter, c'est un genre qui s'assume pleinement et qui ne plaira bien évidemment pas à tout le monde si nous rajoutons le fait que c'est du cinéma muet et qu'il n'est pas possible de rester passif avec un filet de bave devant car, pour la compréhension du film, nous n'avons d'autre choix que de lire les intertitres apparaissant toujours judicieusement, ce qui n'est pas le cas de tous les muets. Des muets avec une surcharge aberrante d'intertitres, ça s'est déjà vu.
Pour en revenir au jeu d'acteur, il convient de parler des acteurs en eux-mêmes qui ont chacun ici une identité propre. Ainsi, le docteur Caligari, incarné par Werner Krauss, se montre inquiétant avec son sourire narquois.
Conrad Veidt incarnant Cesare n'est nullement éclipsé par Werner car il est tout aussi inquiétant que son maître. Lil Dagover jouant le personnage de Jane apporte un charme supplémentaire au film avec ses yeux empreints de mélancolie. Enfin, Francis incarné par Friedrich Feher, même s'il est éclipsé par rapport aux autres, se débrouille largement mais comme j'ai souvent l'habitude de le dire, juger un jeu d'acteur dans un film muet est beaucoup plus délicat et compliqué du fait du manque de paroles.
Le côté artistique n'est pas seulement présent que dans le décor mais il se voit aussi dans la musique, élément primordial de tout muet qui se respecte pour apporter davantage de profondeur au récit et contribuer à renforcer l'atmosphère du récit. A ce niveau, la bande sonore est admirable et renforce la tonalité étrange et glauque du film. Ces musiques mortuaires sont parfaitement ajustées lors de passages plus calmes ou lors d'épisodes de tension et cela fonctionne car elles agissent comme des amplificateurs de stress pour agripper le spectateur à la gorge.
Evidemment, l'intensité n'est pas la même comparé aux grands films à suspense mais on retrouve cette accroche et quand il y en a une, on se dit que le film muet est en grande partie réussi. Dans la manière de filmer, Robert Wiene fait aussi un sans-faute avec ces larges plans sur la ville et sur ces rues entremêlées s'étendant à l'infini dans l'obscurité et ces gros plans sur le visage des personnages lors d'épisodes de terreur ou de tristesse. Qu'on se le dise, il est difficile de trouver des défauts au niveau stylistique du Cabinet du Docteur Caligari. Précurseur du genre, il était logique d'avoir en face de nous un exemple à suive. Le film Le Golem reprendra ce style architectural pour son récit.
Comme dit avant, le déroulement du scénario est on ne peut plus correct, sans passage à vide. Les évènements s'enchaînent bien et de manière logique pour aboutir à un superbe finish que le spectateur n'aura pas vu venir. C'est épatant de voir que les retournements de situation à la fin sont apparus très tôt dans les films. En conclusion, il est facile de se rendre compte que Le Cabinet du Docteur Caligari n'a pas usurpé sa réputation de grand classique du cinéma ainsi que celle de "big-boss" du cinéma expressionniste allemand. Artistiquement exemplaire et au scénario réfléchi, le film nous accapare durant 1h20 dans un récit inquiétant et malsain qui ne pourra que satisfaire le spectateur qui a su s'adapter au cinéma muet. Robert Wiene nous a entraîné en beauté avec lui dans son cauchemar éveillé avec en petite cerise sur le gâteau, une des meilleures fins qu'il m'ait été donné de voir.
Un classique que tout cinéphile se doit d'avoir vu au moins une fois dans sa vie et sans qui, ce courant fascinant qu'est l'expressionnisme allemand, n'aurait pu voir le jour.
Note : 18/20