L_Age_d_or

Genre : Drame, inclassable

Année : 1930

Durée : 1 heure

 

Synopsis :

Histoire de la communion totale mais éphémère de deux amants que séparent les conventions familiales et sociales et les interdits sexuels et religieux.

 

La critique :

Aujourd'hui, mais je peux me tromper, retrouvons nous face à la toute première chronique d'un réalisateur atypique et polémique du monde cinématographique en la personne de Luis Buñuel, dont on pourra dire qu'il aura marqué au fer rouge toute une époque, et est actuellement considéré comme l'un des réalisateurs les plus importants et les plus originaux de l'histoire du cinéma. Comme j'ai dit juste au-dessus, Buñuel s'est fortement nourri de la polémique au travers de son oeuvre, mais ses 2 plus gros scandales seront justement ses 2 premiers films, à savoir le classique Un Chien Andalou, que j'aborderai dans ma prochaine chronique, et le film que je vais vous proposer aujourd'hui, donc L'Âge d'Or.
Les travers observés dans ses films mais aussi ses convictions politiques font que le réalisateur préférera s'exiler de son Espagne natale pour devenir naturalisé mexicain et ainsi échapper à la censure franquiste de l'époque gangrénant la création de son oeuvre. Que soit, après cette très courte parenthèse, l'heure est venue de présenter ce qui est probablement le plus grand scandale de toute l'histoire du cinéma.

Pour cela, il faut se remettre dans le contexte de l'époque. Nous sommes en 1930, à la fin du cinéma muet qui laissera la place au cinéma parlant. Un temps où les moeurs chrétiennes strictes étaient encore solidement ancrées dans tous les rouages de la société et où il était absolument impossible de se retrouver face à du cinéma transgressif. Nul doute que ce film a une riche histoire tant dans sa genèse que dans la réputation qui le précédera.
A l'origine, le film est une commande de Charles de Noailles dont la femme, d'ascendance juive, est une des plus grosses fortunes de France en même temps de se vouloir être amie des surréalistes. Très vite, la machine s'emballe, et si le film reçoit un accueil poli des 30 invités choisis et déroutés par le propos, la suite deviendra nettement plus sujet à controverses. Ainsi, lors d'une deuxième projection, une cinquantaine de militants d'extrême droite investissent le cinéma aux cris de "Morts aux juifs !!!" tout en jetant de l'encre violette sur l'écran et balancer des fumigènes avec en prime, la chasse des spectateurs à coup de canne.

Par la suite, la Commission de censure interdira toute projection du film dont la copie sera saisie par les autorités, il s'agira surtout de la copie de projection amputée des scènes imposées. Néanmoins, le négatif original sera caché et conservé par le vicomte de Nouailles. Les surréalistes diffusent des tracts ciblant la "police d'Hitler" incriminés dans une campagne anti-boches et anti-juifs, mais le film restera malgré tout censuré, tout en étant classé en 1949 parmi les 100 chefs d'oeuvre du cinématographe par la Cinémathèque française. L'année 1981 sonnera la levée de l'interdiction de la censure du film. Comprenez bien que nous sommes en présence de 51 années de censure au compteur, un triste record pour la liberté artistique. Inutile d'aborder les critiques acides reprochant au film d'être une énorme insulte envers la patrie, la famille et la religion. Après cette longue histoire, nous pouvons nous atteler à la critique du film en lui-même.

Copy_of_L'AgeD'Or2

ATTENTION SPOILERS : Le film démarre rapidement par un documentaire sur la vie des scorpions. Ensuite, le "scénario" se retrouve téléporté sur une île jonchée de squelettes de pirates et où une étrange chorale est présente. La partie suivante, et la plus importante, verra un couple face aux conventions sociales et familiales les empêchant de vivre pleinement leur histoire. La fin du film s'achève par une allusion au roman imbuvable du Marquis de Sade à savoir Les 120 Jours de Sodome qui, vous le savez, verra une adaptation cinématographique scandaleuse de la main de Pasolini.
Autant dire que décrire un tel scénario est d'une complexité à toute épreuve sachant que l'histoire est volontairement décousue et sujette à un trip sensoriel, où le fantastique fait corps avec le drame social. N'oublions pas que nous sommes face ici au représentant par excellence du genre surréaliste et très vite, cela se ressent avec cette curieuse chorale au beau milieu d'une île sans habitations ou encore de cette vache allongée sur un lit.

Très clairement, L'Âge d'Or désarçonne le spectateur emmené bien malgré lui dans les méandres du genre expérimental. Mais la déstabilisation ne provient pas de l'effet de style lié à un univers imaginaire mais bien de ce que le film dénonce. En tant que fervent défenseur de la liberté cinématographique, on ne pourra pas dire que le film n'aura pas volé son scandale en raison de ce qu'il dénonce. Buñuel lâche une véritable diatribe sur tout le système social de l'époque en réalisant une oeuvre sulfureuse telle qu'elle parvient à déranger près de 90 ans encore après sa sortie.
Le propos anticlérical et antipatriotique est affiché sans le moindre complexe. Nul doute qu'une telle spontanéité et une telle brutalité dans les dénonciations sont sans doute responsables d'une aussi longue durée de censure. 
Le réalisateur parsème en permanence son film de scènes dérangeantes comme ce garçon abattu par son père dans l'indifférence générale à coup de fusil de chasse, ou encore cet évêque défenestré.

La violence y est rendue cinglante voire peut-être même gratuite, avec cet aveugle maltraité, ou ce chien écrasé. Il faudra bien se dire que ce genre de scènes était totalement inconcevable à l'époque alors que l'Europe était encore fort marquée par la première guerre mondiale et les toutes premières prémisses du nazisme. La religion en prend fortement aussi pour son grade avec cet acteur habillé en Jésus Christ sortant tout droit d'une orgie. Un propos impensable dans les années 30 qui fera bondir l'extrême droite au créneau. Enfin, la patrie est violemment ciblée par cet antihumanisme affiché sans le moindre tabou. Quoi qu'on en dise, ces scènes fortes parviennent encore à interpeller.
On peut considérer à juste titre L'Âge d'Or comme un film (très) avant-gardiste. Le réalisateur crée à ce niveau un moyen-métrage d'une totale liberté artistique destructrice faisant office de brûlot anarchiste où aucune concession n'est faite au spectateur. Une façon pour Buñuel d'attaquer à bras le corps une société beaucoup trop rigide dans ses états d'âme et dans ses inégalités sociales, ce qui n'est pas étonnant sachant qu'il est un fervent adhérent du dadaïsme étant un mouvement intellectuel, littéraire et artistique se caractérisant par une remise en cause de toutes les conventions et contraintes idéologiques, esthétiques et politiques.

bunuel2_480_309-480x309

Quelque part, le parallèle entre le surréalisme et le dadaïsme est frappant dans cette volonté de révolutionner l'esthétisme du monde artistique en général et de rejeter toute notion de raison, de logique en plus d'afficher un mépris ouvert envers les rigoristes catholiques et protestants. Il est aussi à noter que le trait sexuel est aussi fortement présent durant le film même s'il reste, comparé aux autres diatribes, plus subtil dans son approche. On peut vite voir cela avec cette demoiselle léchant avec passion les doigts de ce curieux homme à moustache ou encore les doigts de pied d'une statue.
La luxure et l'envie, à mettre en adéquation avec les sept péchés capitaux, rejoignent le propos antireligieux où les conventions familiales et sociales sont trainées dans la boue. Parvenir à filmer une infidélité sans retenue où la dame embrasse à quelques secondes d'intervalle 2 hommes est assez impressionnant pour l'époque. Sans la moindre hésitation, L'Âge d'Or est un film aux moult thématiques complexes apportant une capacité d'analyse à la fois profonde et passionnante qui font de ce moyen-métrage, un film d'une grande richesse dont la compréhension est davantage amplifiée quand on se renseigne sur tout le parcours du réalisateur dont les idéaux ressurgissent fréquemment. 

2pdvd_0483

On a là un pur film d'auteur sans une once de temps morts au cours de cette très courte durée d'une petite heure de bobine. Au niveau de l'architecture du film, Buñuel est loin d'être un manche et crée une atmosphère singulière où le superbe noir et blanc donne vie à des plans d'une richesse et d'une harmonie non négligeables, tels qu'on pourra le voir dans la séquence de ces deux amants dans cette sorte de labyrinthe. Les paysages naturels sont somptueux et apportent une réelle touche esthétique et ce ne sont pas les plans en intérieur, tout aussi travaillés, qui terniront le tableau car le moyen-métrage est proche du sans faute à ce niveau. La bande sonore est assez discontinue et la musique omniprésente fait la place de temps en temps à quelques rares dialogues souvent peu compréhensibles.
Pour autant, cela n'est pas handicapant car L'Âge d'Or est avant tout un film visuel où les images sont au service d'un scénario atypique dont on peut ressentir l'influence de Salvador Dalì dans la collaboration du projet. Le jonglage entre le muet et le parlant est une preuve de plus du style surréaliste de l'oeuvre.

En conclusion, difficile d'analyser facilement un film comme celui-ci mais pour autant, le cahier des charges est largement rempli tant par ce qu'il montre que parce qu'il dénonce. Non content de rejeter le conformisme cinématographique ambiant de l'époque, Buñuel déverse un pamphlet acide envers une société qu'il répudie fortement et dont il juge coupable de nombreux malheurs observés à cause de valeurs trop rigides et sectaires, menant inévitablement aux tensions sociétales.
Il ne serait pas idiot de voir en ce film, la genèse du rejet des anciennes conventions idéologiques et religieuses telles que nous avons pu l'observer durant Mai 68. Réduire ce film à un flot d'injures gratuites ne serait pas étonnant et il est compréhensible de lire les reproches des rares détracteurs. Qu'à cela ne tienne, en plus d'être esthétique et beau visuellement, L'Âge d'Or est un immense cri en faveur de la liberté humaine et artistique, mais compte tenu du fort caractère expérimental de l'oeuvre, je ne me vois pas être capable d'y attribuer une réelle note.

 

Note : ???

 

orange-mecanique Taratata