large_pSkFYEvz6gpy1LExdXe27y2X0FD

Genre : expérimental, inclassable

Année : 1929

Durée : 16 minutes

 

Synopsis :

Tout commence sur un balcon où un homme aiguise un rasoir... La suite est une série de métamorphoses surréalistes. Un homme sectionne l'oeil d'une jeune fille. Un nuage passe devant la lune. Huit ans après. Un cycliste tombe accidenté dans la rue. La jeune fille lui porte secours et l'embrasse...

 

La critique :

Il y a quelques jours, je vous présentais le film le plus connu de Luis Buñuel, à savoir L'Âge d'Or, pouvant se targuer d'être le plus gros scandale de toute l'histoire du cinéma avec 51 années de censure au compteur. Aujourd'hui, il est temps de parler de la toute première oeuvre de ce cinéaste hors du commun n'ayant aucune crainte de la censure très stricte de l'époque. Bienvenue dans Un Chien Andalou sorti à la toute fin des années 20 et dont l'histoire se montre immensément riche en raison du choc provoqué au moment de sa sortie ! A la base, le projet est inspiré des rêves de Salvador Dalì et de Luis Buñuel, chacun ayant rêvé respectivement d'une lame de rasoir et d'une main pleine de fourmis.
C'est en se croisant au cours d'une invitation qu'ils eurent l'idée de faire un film en partant de cela. Dès lors, le projet était en route pour propulser le film au rang de film surréaliste par excellence ayant influencé moult oeuvres à venir. Film muet à l'origine, lors de sa première projection publique, la sonorisation fut réalisée par les soins de Buñuel lui-même avec des disques, un de Wagner et un tango argentin.

Deux autres versions aux sonorisations différentes verront le jour respectivement en 1961 et en 1983. De même, la légende veut que, lors de la première projection, Buñuel se serait muni de pierres autant pour se défendre s'il se trouvait agressé, que pour les jeter sur les spectateurs s'ils venaient à manifester en huant le film. Comme dit auparavant, le film déclenchera un véritable scandale au moment de sa sortie au point que le réalisateur se retrouva traîné devant les tribunaux au cours d'un procès interne qui aurait pu aboutir à la destruction du film, chose que Buñuel dit avoir été prêt à accepter, mais le verdict sera heureusement favorable. Enfin, non content, d'avoir créé la polémique et déclenché des projections houleuses, celui-ci aimait en rajouter en disant que la signification de son film se résumait simplement à un appel au meurtre. Autant d'anecdotes croustillantes qui construiront cette aura particulière ayant fait grimer Un Chien Andalou au rang des grands classiques du septième art, en plus d'en être un représentant par excellence du surréalisme comme dit, encore une fois, avant. 

Un-Chien-Andalou-Luis-Bunuel-19291-750x400

Et je m'arrêterai là même s'il y en a encore bien à dire comme le fait qu'un ami des deux auteurs du film crut se reconnaître dans le film car selon lui, le chien andalou aurait été le surnom moqueur que lui auraient donné Buñuel et Dalì. Voilà typiquement le genre d'histoires que nous ne saurions plus retrouver dans le cinéma traditionnel résolument formaté. Sur ce, passons maintenant à la difficile critique de cet OFNI. Je ne vais pas m'étendre à indiquer une barrière "ATTENTION SPOILERS" en raison d'une histoire strictement illogique et suite à une succession de métaphores tout aussi invraisemblables les unes que les autres. Le film est une succession de scènes ayant pour seuls liens logiques quelques personnages et le décor d'un intérieur parisien qui accueille la plus grande partie de l'histoire.
Dans l'ensemble, il s'agit des relations violentes et difficiles entre un homme et une femme dans un appartement. Le fil conducteur serait les tentatives de l'homme poussé par le désir vers la femme qui, le plus souvent, se défend. Des objets et des personnages inattendus apparaissent et disparaissent, laissant le spectateur libre de leur attribuer une part de réalité, d'imagination ou de souvenir.

Objets de l'enfance, fourmis, révolvers, pianos chargés d'ânes morts, un personnage hermaphrodite qui se fait écraser par une voiture, un double du héros abattu par le héros lui-même, un boiteux passionné, des séminaristes ligotés. Comprenez bien que ceux qui s'attendent à un script terre-à-terre et compréhensible sont priés d'aller faire un petit tour. Comme je l'ai dit dans ma précédente chronique, le surréalisme est intrinsèquement lié au dadaïsme et cet état de fait est encore plus flagrant ici où toute notion de logique, de raison et de respect des conventions est écrabouillée et piétinée au cours des 16 minutes du court-métrage. Sans nul doute, on peut classer Un Chien Andalou comme film le plus expérimental et forcément le plus difficile d'accès de son auteur car si la narration est volontairement décousue, elle repose essentiellement sur le principe du cadavre exquis, jeu très prisé des surréalistes de l'époque.
La définition se voulant être un jeu qui consiste à faire composer une phrase ou un dessin par plusieurs personnes sans qu'aucune d'elles ne puisse tenir compte de la collaboration ou des collaborations précédentes. Là où L'Âge d'Or avait un minimum de scénario l'empêchant d'avoir un script se basant sur ce principe surréaliste, Un Chien Andalou repose entièrement sur ce modèle.

bfi-00n-ok6-un-chien-andalou

Ce que nous pourrons voir tout au long du récit où le principe de temporalité est brouillé en passant de 8 ans plus tard à 16 ans plus tôt. Un autre exemple frappant est ces nombreux moments où l'action est déviée sans la moindre logique vers un autre décor comme cette femme franchissant une porte pour atterrir sur une plage semblant être hors du temps. La trame est volontairement éclatée, au risque de me répéter, et, en plus de brouiller les repères de lieux et de temps, intègre des objets invraisemblables dans des situations tout aussi invraisemblables, à l'image de cette scène où l'on verra des ânes morts sur des pianos ou ces centaines de fourmis sortant d'une main.
Mais bien sûr, la séquence la plus mémorable et qui aura le plus fait couler d'encre sera le très célèbre oeil fendu avec une lame de rasoir. Une telle séquence dans le cinéma de fin des années 20 est pour ainsi dire inédite et continue encore à provoquer le malaise chez certains.

Pour rajouter une petite anecdote supplémentaire, Buñuel se sera servi d'un oeil de bovin pour satisfaire ce classique des scènes dérangeantes en plus de bien en faire mention pour l'affiche de son film. Autant provoquer le buzz jusqu'au bout. De même, certaines situations annoncent aussi d'acerbes critiques que nous pourrons observer frontalement dans L'Âge d'Or, comme cet homme malaxant contre son gré la poitrine de la femme. Un symbole affiché de l'envie, un des sept péchés capitaux, qui fait de ce court-métrage, une inclassable oeuvre affichant déjà le mépris des conventions religieuses chez ces auteurs quand l'on verra par la suite, ces séminaristes ligotés et traînés sans retenue sur le sol.
Bien que la patrie et la famille ne soient pas l'objet de vives critiques, la religion en prend, à petite dose, pour son grade et fait figure d'un avant-goût du pamphlet acide qui sortira 1 an plus tard.

05155

Définitivement, Un Chien Andalou est un film d'une rare complexité qui ne peut être un minimum compris qu'en s'intéressant au courant surréaliste. Les fourmis observées symbolisent la putréfaction. Le fait de vivre sans se poser de questions sur la vie ou sans se demander pourquoi nous agissons comme cela, mène immanquablement à la putréfaction selon Dalì dans son oeuvre. Le piano, symbole récurrent chez les surréalistes, symbolise la bourgeoisie et le fait de traîner ces pianos souligneraient le poids des valeurs bourgeoises s'imposant au héros durant le film.
On peut encore continuer comme cela mais ces 2 exemples suffisent à prouver que nous ne sommes pas face à une bête oeuvre réalisée sous acide (quoi que...), mais à un porte-étendard d'un genre loin d'être idiot en plus d'être un pur film d'auteur. 
En conclusion, on peut décemment dire de Un Chien Andalou qu'il s'agit là d'une oeuvre totalement à part dans le cinéma apportant déjà les prémisses des tout premiers films chocs que nous verrons émerger au fur et à mesure du temps.

Rarement une oeuvre n'aura été jusqu'au-boutiste et avant-gardiste que celle-ci car il aurait été impensable pour n'importe quel cinéaste de l'époque de filmer un oeil fendu, en gros plan qui plus est. L'architecture physique du film, à la fois épurée mais toujours bien filmée, continue à faire grimper le pedigree du film et la musique tango contrastant étrangement avec ce quasi cauchemar éveillé, amplifie davantage le trait surréaliste de cette bizarrerie cinématographique méritant à juste titre d'être chroniqué sur ce blog. Etrange, bizarre, glauque, le dictionnaire français manque de termes pour décrire précisément Un Chien Andalou s'achevant en beauté dans un chaos surréaliste indescriptible.
Du coup, pas de note pour cette oeuvre tout à fait recommandable pour ceux qui n'ont pas peur de brouiller leur cerveau et de vivre une expérience à la fois courte et unique parfois sujette aux critiques lui reprochant son côté proche de la branlette intellectuelle. Des critiques néanmoins compréhensibles que je ne partage cependant pas. Vous voulez de l'expérimental ? Alors n'attendez plus et jetez-y vous, pour les quelques rares du blog qui ne l'auraient pas encore vu.

 

Note : ???

 

orange-mecanique Taratata