Genre : Drame, expérimental (interdit aux -12 ans)
Année : 1998
Durée : 1h29
Synopsis :
L'histoire de deux familles de Saint-Pétersbourg au début du XXe siècle. Celle du docteur Stasov et sa femme qui ont adopté, dix-sept ans auparavant, deux enfants siamois originaires de Mongolie et la famille Radlov, beaucoup plus modeste.
La critique :
Aujourd'hui délaissons toutes les nationalités du cinéma que nous avons l'habitude de chroniquer sur ce blog pour nous tourner temporairement vers la Russie et son cinéma relativement confidentiel dans nos régions, si ce n'est dans quelques prestigieux festivals. Il est venu le temps de chroniquer l'un des films les plus étranges du cinéma russe, à savoir Des Monstres et des Hommes, réalisé par Alekseï Balabanov en l'an de grâce 1998. Un film méconnu du grand public mais qui a su se distinguer efficacement chez les cinéphiles par son ambiance et sa perversité intrinsèque.
Certains vont jusqu'à dire qu'ils se sont retrouvés devant un des films les plus choquants jamais vus à ce jour. A vrai dire, il est assez compliqué de trouver beaucoup d'informations sur ce film tombé un peu comme un cheveu dans la soupe. De même, Des Monstres et des Hommes n'est pas le film qui lui a permis de se construire une certaine popularité chez les cinéphiles. Le réalisateur d'oeuvres comme Morphine ou Cargo 200 s'est essentiellement fait connaître grâce à Brat et Brat 2 (Le Frère et sa suite, Le Frère 2, en français). En dehors de ça, il faudra s'intéresser de plus près au cinéma russe car ses films ne sont pas souvent mis en avant, à la différence de cinéastes comme Tarkovski ou Einsenstein, pour ne citer que les plus connus de Russie. Maintenant passons à la chronique.
ATTENTION SPOILERS : Au début du XXe siècle, deux familles aisées vivent à Saint-Pétersbourg. La première est celle du docteur Stasov et de sa femme, la séduisante Ekaterina Kirillovna, qui est aveugle. Dix-sept ans auparavant, ils ont adopté deux frères siamois, originaires de Mongolie. La deuxième famille est plus modeste. C'est celle de Radlov, un ingénieur des chemins de fer, et de sa fille Lisa, innocente rêveuse d'une vingtaine d'années. Celle-ci ne déteste qu'un seul être au monde, leur bonne, Grunya, qui, à la mort de sa mère, est devenue la maîtresse de son père.
Lisa la suspecte également d'avoir une liaison secrète avec un certain Johann, propriétaire d'un studio photo. Johann va progressivement s'introduire insidieusement au sein des deux familles. Dans son studio, avec l'aide de deux assistants, il fabrique et distribue des photos de jeunes filles dénudées, fessées par sa vieille nourrice.
Il n'en est point à douter que nous sommes face à un film d'une rare imagination dans son synopsis mais pas seulement, Balabanov expose une thématique chère à lui-même qui n'est autre que l'invention du cinéma et l'ère moderne voyant débarquer les prémisses de la technologie que nous connaîtrons par la suite (trains, caméra argentique, etc...). Ainsi, cet aspect cinéma est l'essence même de ce film. Ca prend des photos en permanence et vers la fin, la caméra débarque et du coup, on remplace les clichés photographiques. Le réalisateur arrive à faire de son film un représentant majeur de l'art en lui-même, mais qu'est-ce qu'il y a de filmé justement ? Sans lire le synopsis, on se dirait que nous sommes face à un film normal mais après lecture, on décèle directement pourquoi ce film mérite largement sa place sur le blog.
Ainsi, la nudité y est filmée et prise en photo de manière la plus naturelle possible et tend vers le sadomasochisme avec ces jeunes filles fouettées par une étrange bonne intellectuellement étrange et poussant des petits cris. Ces clichés servant à flatter les pulsions voyeuristes de quelques membres dépravés de ces 2 familles. Pour ainsi dire, Des Monstres et des Hommes offre un visionnage très désagréable et qu'on ne parvient pas à expliquer clairement. Cette impression que tout est sale et que la dépravation clignote sur la tête de chaque personnage sont sans doute à l'origine de ce ressenti. Qu'on le veuille ou non, Balabanov construit une véritable ambiance mais qui se montre dérangeante, étrange et même carrément malsaine.
Il expose de nombreux personnages tous plus glauques les uns que les autres entre un ancien condamné ne faisant signe d'aucune émotion, un chauve au rictus sournois, des siamois chanteurs, une nonne dépravée qui insistera pour que l'un des siamois (des enfants, rappelons-le !) lui touche le sein, un photographe hébété aux longs cheveux, une aveugle possédée par l'amour, chose qu'elle n'avait pas connue jusqu'alors. A dire vrai, difficile de ne pas oublier ces personnages, sorte de réincarnation des individus de Freaks mais transposés dans une ambiance soviétique et évoluant dans un cadre raffiné, en total contraste avec la saleté apparente de tous les personnages.
A ce sujet, le titre sera un non-sens en montrant que les hommes ne sont pas ceux que l'on pense dans le film et que les siamois sont définitivement les plus humains dans cette histoire.
L'intrigue peut être un peu biscornue au début mais tout se stabilise très vite et le long-métrage se suit facilement dans un rythme très posé qui pourra soit fasciner, soit agacer. Des Monstres et des Hommes, c'est le film que l'on va aimer ou que l'on va détester. Et ça ne sera pas l'architecture du film qui va contredire avec ces superbes couleurs sépia rappelant les vieilles photographies d'époque, ce qui amplifie une certaine crédibilité dans la tonalité générale du titre.
A l'ère de la couleur, inutile de dire que le sépia ne plaira pas à tout le monde et va conférer un trait purement expérimental qui, comme j'ai dit avant, va rendre cette oeuvre difficile d'accès. On se souviendra aussi des très beaux chants des frères siamois et de l'ambiance sonore générale conférant à ce long-métrage d'une durée démocratique de 90 minutes, une vraie dimension esthétique.
En conclusion, Des Monstres et des Hommes, que l'on jurerait avoir été tourné dans les années 30 tant les décors sont fidèles à l'époque, est bien décidemment une expérience très étrange où des bourgeois, des employés de maison et des truands se rencontrent tous à un moment ou à un autre, des classes d'abord dominantes puis dominées par les nouveaux dominants. Balabanov brosse le portrait d'une bourgeoisie sale et se complaisant dans le voyeurisme et l'obscénité, en créant une ambiance réellement dérangeante et poisseuse. Servie par des acteurs offrant une très bonne prestation comme Sergueï Makovetski, Victor Soukhoroukov, Anzhelika Nevolina sans oublier la superbe Dinara Droukarova interprétant Liza, cette curieuse découverte sous fond de marche du progrès et de révolution industrielle est une singulière composition, où toute notion de raffinement et de chaleur est balayée pour laisser la place à une violence psychologique durable qui aura marqué les rares spectateurs s'étant essayés à ce long-métrage perturbant. Difficile, cependant, d'attribuer une note à cette oeuvre qui pourrait être considéré comme un OFNI et qui mériterait plus de publicité.
Note : ???