Genre : thriller
Année : 1959
Durée : 2h09
Synopsis : Scottie est sujet au vertige, ce qui lui porte préjudice dans son métier de policier. Rendu responsable de la mort d'un de ses collègues, il décide de quitter la police. Une ancienne relation le contacte afin qu'il suive sa femme, possédée selon lui par l'esprit de son aïeule. Scottie s'éprend de la jeune femme et se trouve ballotté par des évènements qu'il ne peut contrôler.
La critique :
Est-il encore nécessaire de présenter Alfred Hitchcock, le maître du suspense ? Si le grand public affectionne tout particulièrement les films des années 1960 (Psychose, Les Oiseaux et Pas de printemps pour Marnie principalement), les admirateurs du cinéaste citent également Rebecca (1940), La Maison du Docteur Edwardes (1945), Les Enchaînés (1946), L'Inconnu du Nord-Express (1951), Le Crime Etait presque parfait (1954), Fenêtre sur Cour (1954), La Main au Collet (1955), L'homme qui en savait trop (1956) et La Mort Aux Trousses (1959).
Vient également s'ajouter Sueurs Froides, sorti en 1959. A l'origine, le long-métrage est l'adaptation d'un opuscule, D'entre les morts, de Boileau-Narcejac.
Si Sueurs Froides fait désormais partie des grands classiques "hitchcockiens", à l'inverse, il rencontrera un succès mitigé au moment de sa sortie. Ce n'est qu'au fil des années que le film va s'octroyer les ferveurs de la critique et de la presse cinéma. A ce sujet, certains fans le considèrent comme le "sommet absolu" du maître du suspense. Un véritable plébiscite qui s'explique, en partie, pour sa maîtrise technique et narrative. En outre, Sueurs Froides va inspirer de nombreux films et plusieurs générations de cinéastes, notamment Chris Marker pour La Jetée (1962), Terry Gilliam pour L'Armée des 12 Singes (1996), ou encore David Lynch pour Lost Highway (1997).
En 2012, un magazine britannique (Sight and Sound) classera Sueurs Froides comme le meilleur film de tous les temps, juste devant Citizen Kane (Orson Welles, 1941), Source : https://fr.wikipedia.org/wiki/Sueurs_froides).
Reste à savoir si le long-métrage mérite un tel dithyrambe. Réponse dans les lignes à venir... La distribution de Sueurs Froides réunit James Stewart, Kim Novak, Barbara Bel Geddes, Tom Helmore, Henry Jones, Raymond Bailey, Ellen Corby et Konstantin Shayne. Attention, SPOILERS ! (1) John Ferguson, surnommé "Scottie", est pris de vertige tandis qu’il poursuit un malfaiteur avec un collègue policier. L’incident vaut la mort de ce dernier et la démission de Ferguson des services de police.
Peu après, une ancienne connaissance de Scottie le contacte afin de lui demander de suivre sa femme, Madeleine, qui semble hantée par l’esprit d’une morte, en l’occurrence sa grand-mère, qui se suicida après avoir sombré dans la folie. Ferguson mène donc son enquête en filant la femme de son ami.
Un jour, il assiste horrifié au plongeon de Madeleine dans la baie de San Francisco. Après l’avoir sauvée, Scottie continue à suivre la jeune femme, mais ils finissent par se rejoindre et poursuivent ensemble leur promenade. Scottie tombe fou amoureux de Madeleine mais hélas, son handicap va coûter une deuxième fois la vie de quelqu’un : toujours hantée par le souvenir de sa grand-mère, Madeleine se jette du haut d’un clocher sous les yeux de Scottie, incapable de la rejoindre...
Psychologiquement anéanti, l’ancien policier est interné. A sa sortie, il va rencontrer Judy, une jeune femme qui ressemble à Madeleine (1). En l'occurrence, difficile de dire si Sueurs Froides est bel et bien le sommet d'Alfred Hitchcock sans minorer l'impact de Psychose, Les Oiseaux et de La Mort aux Trousses, pour ne citer que ces classiques incontournables.
En l'état, Sueurs Froides est probablement son oeuvre la plus maîtrisée et la plus aboutie. A contrario, l'ambiance glaciale (et glaçante) risque de désarçonner les spectateurs les plus aguerris. Autrement dit, Sueurs Froides n'est pas forcément l'oeuvre la plus accessible du maître du suspense. Visiblement, le réalisateur britannique cherche à décontenancer son audimat via un scénario nébuleux et alambiqué qui va peu à peu s'agencer au fil du récit.
De surcroît, Alfred Hitchcock prend son temps pour planter le décor et ses principaux protagonistes. En outre, le scénario du film se centre sur une triade amoureuse. De facto, avant d'être un thriller, Sueurs Froides s'apparente avant tout à une romance amoureuse. C'est probablement pour cette raison que le film fascine autant Chris Marker et Terry Gilliam (entre autres), qui reprendront peu ou prou le même concept avec La Jetée et L'Armée des 12 Singes.
A juste titre, Sueurs Froides mérite amplement le titre de plongée vertigineuse dans les affres de l'inconscient et de la psychanalyse. Ainsi, le long-métrage se divise en deux parties bien distinctes. La première se résume à une quête effrénée du désir. John Ferguson, qui souffre d'acrophobie (la peur du vide), est chargé d'épier et de surveiller Madeleine, qui semble poursuivie par l'esprit d'une morte (je renvoie au synopsis). Très vite, John s'acoquine et s'énamoure de cette jeune femme belle et énigmatique. Hélas, même après avoir sauvé sa dulcinée d'une mort certaine, John ne peut empêcher l'inévitable. Madeleine se jette du haut d'un clocher. Pour John, cette séquence symbolique et traumatique n'est qu'une réminiscence de son passé. Dès lors, Sueurs Froides se transmute subrepticement en thriller métaphysique.
Puis, dans la seconde partie du film, John fait la connaissance de Judy, le parfait sosie de Madeleine. A travers cette femme transformée en véritable poupée fétichiste, John va reproduire la même trajectoire funeste... Avec Sueurs Froides, Alfred Hitchcock aborde de nombreuses thématiques complexes et amphigouriques. En vérité, l'acrophobie sous-jacente n'est qu'un miroir, un leurre et un simulacre des pulsions archaïques et primitives de John Ferguson.
A travers cette quête effrénée d'une femme inaccessible, c'est bien la peur de ne pas être à la hauteur (c'est le cas de le dire...) qui poursuit inlassablement le héros du film. Puis, dans la seconde partie, cette angoisse reptilienne se transmue en jeu de manipulation et de transformation. Judy se doit de revêtir les oripeaux et les plus beaux atours de Madeleine sans jamais barguigner.
Pourtant, la jeune femme est bien destinée à suivre la même trajectoire morbide. Tel est, par ailleurs, l'avertissement rédhibitoire de Madeleine, son index désignant le tronc d'un arbre : "Je suis née ici et je suis morte quelque part par-là...". Chaque être humain poursuit son propre fantôme et son propre passé, semble nous dire Alfred Hitchcock... Le maître du suspense se languit lui-même de cette confusion entre les deux personnages féminins. Contre toute attente, Judy accepte cette duplicité et ce cheminement hébéphrénique. A cela, viennent également s'ajouter les thématiques de la mémoire et du temps qui passe, comme si le passé devait inexorablement se rappeler au présent et s'imbriquer sur un avenir chimérique. Pour Alfred Hitchcock, ce sont les morts qui gouvernent les vivants, à l'image du personnage de Madeleine, poursuivant inlassablement la mémoire de John Ferguson.
Bref, un tel film mériterait sans doute un meilleur niveau d'analyse. En l'état, chaque spectateur pourra avoir sa propre interprétation du film. En quelques mots : un vrai coup de maître !
Note : 18.5/20
(1) Synopsis du film sur : http://www.dvdclassik.com/critique/sueurs-froides-hitchcock
C'est le seul Hitchcock auquel je n'ai pas adhéré.