Genre : Guerre, drame
Année : 1957
Durée : 1h25
Synopsis :
En 1916, durant la Première Guerre mondiale, le général français Broulard ordonne au général Mireau de lancer une offensive suicidaire contre une position allemande imprenable, surnommée "La fourmilière". Au moment de l'attaque, les soldats tombent par dizaines et leurs compagnons, épuisés, refusent d'avancer...
La critique :
Une fois n'est pas coutume, il est l'heure de retrouver, à mes yeux bien sûr, l'un des plus grands cinéastes de tous les temps en la personne de Stanley Kubrick auteur de films, quasiment tous cultes entre Orange Mécanique, Shining, Barry Lyndon, ou encore Full Metal Jacket pour ne citer que les exemples les plus fréquemment rencontrés. A cela peut s'ajouter aussi Les Sentiers de la Gloire réalisé en 1957 mais seulement sorti en 1975 en France. C'est une habitude élémentaire avec Kubrick de tomber sur des films qui déclenchent la polémique et celui-ci n'échappe pas à la règle.
A ce sujet, il est bon de rappeler que ce film s'inspire de plusieurs fait réels à une époque où fusiller les soldats était la norme si ceux-ci n'étaient pas considérés comme suffisamment aptes au combat ou courageux. Ainsi, environ 2500 soldats ont été condamnés à mort par des conseils de guerre dont environ 600 furent réellement fusillés "pour l'exemple". Aussi impressionnant que cela puisse paraître, la décision d'un général français de bombarder ses propres troupes refusant de sortir des tranchées lors d'un assaut suicidaire contre une colline occupée par des Allemands, séquence de guerre phare du film, est aussi un fait réel dont ce film s'appuiera principalement.
Pour vous dire, même le soldat sur une civière exécuté après une parodie de procès, s'inspire aussi d'un fait réel. En d'autres termes, comprenez bien qu'on a là une oeuvre sulfureuse, vraie et sujette à polémique et la rapidité avec laquelle elles sont apparues en témoigne. Malgré plusieurs récompenses, le gouvernement français fera face à des pressions et des menaces de représailles d'associations d'anciens combattants français et belges. Techniquement parlant, on ne peut pas parler de film réellement censuré mais plutôt de film que l'on a tenté de cacher et de faire oublier, vu que les producteurs de film ne distribueront pas de visa d'exploitation en France. Mais ce pays ne sera pas le seul et d'autres d'Europe comme la Suisse en feront de même. Ce semblant d'interdiction sera levé 18 ans plus tard.
Le film mérite-t-il sa réputation au parfum teinté de scandale ? Stupide question.
ATTENTION SPOILERS : En 1916, dans les tranchées. Conscient que seule une victoire spectaculaire pourra rehausser sa réputation peu brillante, le général Broulard incite le général Mireau, en mal d'avancement, à lancer une offensive suicidaire contre une position allemande imprenable, connue sous le nom de «Fourmilière». La perspective de promotion rapide que lui a fait miroiter Broulard décide Mireau à engager ses troupes dans cette incroyable opération. C'est le colonel Dax qui doit conduire l'attaque, mais ses hommes sont épuisés. Dax, conscient des pertes humaines que va provoquer cette action, se résout toutefois à obéir. Comme prévu, l'opération tourne au massacre.
Niant l'absurdité de sa stratégie, le général Mireau accuse les soldats de lâcheté et réclame des exécutions pour l'exemple. Ce qui est fascinant est que la lecture du synopsis, à elle seule, suffit déjà à procurer un sentiment très désagréable et de mépris en nous et qu'on se le dise, le film remplit largement plus que ce que l'on pouvait en attendre de lui.
Rarement, il nous aura été donné de voir une critique aussi virulente envers le principe même de la guerre. Avec ce film, Kubrick dénonce toute l'absurdité de la guerre, pas nécessairement dans la finalité même mais dans les actions et décisions qui régissent cette guerre. Vous connaissez sans doute le proverbe "La fin justifie les moyens", eh bien dites-vous que ce film en est l'exemple flagrant. Sauf que la fin ne se résumera qu'au massacre inutile de soldats envoyés dans un assaut, disons-le, strictement impossible dont seule l'action était pour les intérêts d'un haut gradé et non pas pour la France.
On obtient ici un film avant tout pacifiste et au propos férocement antimilitariste tapant en permanence sur les états-majors français déshumanisés et déconnectés de la réalité du terrain. Ceux-ci se pavanant dans leur tour d'ivoire à faire la guerre dans un bureau et face à des papiers. Il est tout aussi bon de remarquer que cette guerre a une véritable dimension à des kilomètres du traitement des films de guerre classiques.
Ici il n'y a pas un seul ennemi distinct mais deux. D'un côté, on a l'armée allemande qui, cependant, ne sera jamais montrée autre que via des tirs de mitrailleuse et d'obus et, surtout, ne sera montrée que durant une seule partie du récit. Une manière pour Kubrick de prouver que le véritable ennemi est avant tout interne et parasite non pas l'instinct de conservation mais la morale à elle seule. On ne peut que constater que la véritable guerre du récit se fera entre les soldats et leurs supérieurs hiérarchiques. Non content d'être de parfaits technocrates d'une imbécilité stratosphérique considérant le soldat comme un simple chiffre, aucune empathie ne se dégagera d'eux en faveur des soldats qu'ils côtoieront envers lesquels ils se montreront condescendants. Ayant un respect immense envers les soldats de cette époque, je peux vous dire que je n'en étais pas loin de vouloir donner un gros coup de poing dans mon écran devant certaines séquences intolérables.
Assurément, on tient là l'un des films les plus révoltants du monde cinématographique tant par ce qu'il montre que par ce qu'il dénonce. Le propos est frontal, agressif et jusqu'au-boutiste et ne peut que malmener le spectateur et faire de sa séquence cinématographique nocturne, un calvaire moral devant l'injustice et l'absurdité de l'affaire face à laquelle il se trouve. Rarement un film ne nous aura pris autant à la gorge. Cela étant dû également à une mise en scène à un poil de cul de la perfection. Le film se divise en 2 parties très distinctes. La première partie nous envoie dans les tranchées et le quotidien de ces hommes comme les autres confrontés à l'adversité avant l'assaut final contre la Cote 110. Si l'on pourra souligner durant cette avancée suicidaire contre l'ennemi, un manque de réalisme dans certaines réactions de soldats qui s'effondreront un peu bizarrement au sol, l'intensité est là et le propos ne se fera que du point de vue des soldats français avançant, vu que l'on ne verra jamais le moindre soldat allemand.
La deuxième partie s'éloigne du front de guerre pour se concentrer sur les conséquences judiciaires envers le 701ème bataillon qui n'a pas eu d'autre choix que de se replier tant l'assaut était vain. Les généraux, atteints dans leur semblant de fierté face à leur décision absurde, vont intenter un simulacre de procès pour punir des individus innocents pour l'exemple et se dédouaner de toute responsabilité. Comprenez bien que le propos hostile à la guerre et le crachat purulent à la face des états-majors français est toujours constant à travers ces 85, trop courtes, minutes de bobine.
Aucune objectivité ne sera de mise dans les condamnations et nous sommes là à assister à une parodie nihiliste en même temps que des capacités d'avocat s'éveillent en nous pour vouloir les défendre. Malgré tout le cynisme et la critique indirecte et réaliste du sergent Dax, les officiers supérieurs n'y prêtent guerre attention, abusant de leur pouvoir, alors que leur malaise est directement visible à l'écran.
Pas la moindre once de gloire ou d'honneur ne se dégage d'eux. Même un cloporte a plus de fierté que ces individus. Vous l'avez compris, en plus d'être féroce dans son propos, Les Sentiers de la Gloire peut s'enorgueillir de tout le talent de Kubrick avec un rythme intense qui fait que jamais, il n'y aura le moindre petit temps mort. Le suspense est incisif et même dans les moments calmes, on reste accroché à l'histoire dont on espère une fin en happy-end, ce que Kubrick avait envisagé, mais qu'en est-il ? A ceux qui ne l'ont pas encore vu, je vous laisse la découverte.
Je n'ai d'ailleurs pas honte de dire que Les Sentiers de la Gloire, avec Elephant Man et Bienvenue à Gattaca, fait partie des films dont la fin m'a fait avoir les yeux humides. Assurément, l'une des plus belles fins vue dans le cinéma.
Parlons maintenant du visuel qui est tout aussi beau que le reste du film, déjà là on peut voir que Kubrick était un génie et un professionnel. Les plans souvent serrés fonctionnent et sont pensés de façon telle que jamais l'on ne soit étouffé ou que l'action et décisions des personnages soient difficilement visibles à l'écran. Les plans plus larges sont majestueux et emplis de détails. L'esthétique est remarquable avec ce superbe château gangrené par de sombres connards (désolé du terme) de pseudo-soldats. La bande sonore est tout aussi exemplaire. De même, le jeu d'acteur peut se parer d'un casting solide, déjà en la personne du, désormais centenaire, Kirk Douglas, trouvant l'un de ses plus grands rôles.
Au reste du casting, on notera la présence de George Macready et Adolphe Menjou parfaits en salauds de service et de Ralph Meeker, Timothy Carey et Joe Turkel dans la peau de ces trois victimes de leur propre hiérarchie que l'on trouve rapidement attachants de par leur condition. A noter que la future femme de Kubrick fera une apparition à la fin.
En conclusion, il ne sera pas de trop de dire que Les Sentiers de la Gloire n'a absolument pas usurpé sa réputation de grand classique du cinéma et de l'un des meilleurs films de guerre sortis à ce jour. Loin de l'héroïsme que nous sommes fréquemment habitués à voir, Kubrick met en scène une guerre sale où l'ennemi n'est pas celui que l'on croit et qui peut être même encore pire que les soldats ennemis par moment, car se cachant derrière un sentiment hypocrite de fierté nationaliste. Fusiller de simples soldats par tirage au sort est-il si exemplaire pour la fierté nationale ?
Cherchez l'erreur. Que cela soit dans la mise en scène exemplaire à tout point de vue, le très bon jeu d'acteur et un propos d'une virulence rarement vue, Les Sentiers de la Gloire fait un sans-faute. Cette oeuvre n'a comme seul défaut que d'avoir une durée un peu trop courte tant on est plongé dans l'histoire. Une belle bombe lancée dans le paysage cinématographique susceptible de ne pas mettre de bonne humeur son spectateur et de le laisser avec un goût fort amer dans la bouche arrivé au générique de fin. Un des meilleurs Kubrick à mes yeux et pour clôturer la chronique, j'emmerde fortement les associations d'anciens combattants qui ont tenté, dans une mascarade, de cacher ce film criant de vérité.
Note : 19/20