Genre : Comédie dramatique, romance, expérimental (interdit aux - 12 ans)
Année : 2003
Durée : 1h36
Synopsis:
Durant la Grande Dépression, une baronne de la bière cul-de-jatte organise un concours de la musique la plus triste du monde. Les musiciens affluent de tous les pays et s'affrontent pour remporter le prix.
La critique :
Après avoir chroniqué deux oeuvres de ce réalisateur injustement méconnu, mettons en avant le vieil adage "jamais deux sans trois" pour faire honneur à nouveau à une autre oeuvre de ce réalisateur talentueux, en la personne de The Saddest Music In The World, sorti en 2003, et se déroulant toujours dans la ville chère du réalisateur, j'ai nommé Winnipeg. Ce film marquera surtout une certaine forme de reconnaissance du cinéaste aux yeux du monde cinématographique car il sera mis en avant, en séance spéciale, au festival de Venise où il remporta un grand succès.
Plus encore, et pour la première fois, Guy Maddin recevra un budget plus important, ce qui lui permit de toucher avec ce film, un plus large public que d'ordinaire.
Bien évidemment, savoir cela pour les inconditionnels du cinéaste, a de quoi inquiéter quand on sait que son cinéma est à des années-lumière d'un style classique. On peut légitimement se poser la question : est-ce que monsieur Maddin va conserver son style qui lui est propre malgré le fait de permettre une plus large diffusion du film au public ? A cela vous rajoutez un casting plus ambitieux et loin des inconnus de ses précédentes oeuvres où nous retrouverons Isabella Rossellini rencontrée, entre autres, en personnage important dans Blue Velvet. L'actrice Maria De Medeiros sera surtout connue pour sa présence assez importante dans Pulp Fiction. Seul Mark McKinney ayant officié dans des films dont l'affiche et le titre font déjà office de repoussoir visuel fait figure d'exception à l'affiche.
Les autres acteurs principaux étant de parfaits inconnus. Vous l'avez compris, le film peut se baser sur 2 actrices de bonne figure mais reste à voir si le film remplira son contrat.
ATTENTION SPOILERS : Winnipeg, au Canada, en 1933, au cœur de la Grande Dépression. Lady Port-Huntly, baronne locale de la bière, bien décidée à profiter de la fin proche de la Prohibition, lance le concours de la musique la plus triste du monde. Des candidats du monde entier affluent vers la ville enneigée et glaciale. Attiré par le prix de 25 000 $, chacun tente d'interpréter à sa manière la plus profonde tristesse au cours d'une compétition euphorique, largement arrosé à la bière locale, la Muskeg, et suivie à la radio par des américains qui ont soif. De retour dans sa ville natale accompagné de la belle Narcissa, amnésique et nymphomane, Chester Kent, producteur de Broadway ruiné et cynique représentera les États-Unis. Réunis à cette occasion, les trois membres de la famille Kent s'affronteront bien au-delà de la seule musique et règleront à l'occasion d'anciens secrets de famille.
Une fois n'est pas coutume, Guy Maddin nous gratifie d'un synopsis très intéressant et emplis d'originalité où la dimension dramatique sera inévitablement présente. Qu'en est-il ? Je répondrai bien sûr par l'affirmative tant l'envoûtement fut présent tout au long de la durée démocratique de 96 minutes de bobine. Comme à son habitude, le réalisateur nous emmène dans un monde où l'onirisme côtoie un simili cauchemar. Ici, le ton change et Maddin s'éloigne des influences expressionnistes et du jeu des ombres pour aboutir à une oeuvre scintillant les années 30, pas seulement par l'époque douloureuse pour tous les amateurs d'alcool mais aussi au travers de toute l'atmosphère.
A ce niveau, on n'ira pas par 4 chemins en disant que The Saddest Music In The World est une ode à la tristesse où mélancolie et nostalgie se mélangent dans un tourbillon fantasmagorique. Maddin ne mettra pas seulement en scène une Star Academy de la tristesse mais celle-ci servira de fond à une histoire de famille bien plus cruelle que ce que l'on s'attendait à voir.
De fait, le scénario est avant tout désespéré mais surtout très pensé et mélange habilement la tragédie, quelques moments de comédie et une atmosphère lorgnant parfois vers le glauque et confirmant une certaine interdiction aux moins de 12 ans. Une balance toujours très bien régulée et ne ridiculisant jamais le récit. Ceci dit, le ton rencontré est nettement plus léger que ses premières oeuvres. Maddin n'hésite pas à mettre aussi une certaine loufoquerie en avant comme ces deux présentateurs assurant au micro un véritable show quand ils décriront avec un entrain joyeux, le thème très triste de la chanson de chaque pays se présentant au concours.
Le réalisateur les faisant passer plus pour des vampires se nourrissant du malheur et de la tristesse des gens en rendant le ton comique et parfois grotesque.
Certes, le scénario est un point fort du récit et le pari est largement gagné mais qu'en est-il du reste ? Maddin s'est-il vendu à des producteurs trop capitalistes ? Loin de là, le cinéaste n'a pas l'intention de servir de dindon de la farce et confirme pleinement tout le style caractéristique unique dont il fait preuve. Le noir et blanc assez flou se mélange de manière très habile aux lumières scintillantes dans les rues sans ne jamais gâcher le visuel d'une quelconque manière.
Vous avez aimé l'esthétisme d'Archangel ? Alors vous aimerez l'esthétisme de The Saddest Music In The World, à même de décontenancer les plus réfractaires à ce type d'ambiance surréaliste, et donnant l'impression d'évoluer comme dans un rêve. Le film, bien qu'il n'atteigne pas la quasi perfection d'Archangel, est un régal visuel et chaque scène, chaque plan est travaillé de manière à toujours émerveiller le spectateur qui aura du mal à détacher ses yeux de l'écran.
La bande sonore étant un des thèmes centraux du film n'est pas en reste et une flopée de musiques du monde se succédera au rythme de l'intrigue familiale sous-jacente. Tambours, flûtes, piano, violoncelles, tout y passe et fait de cette oeuvre, un film véritablement esthétique sous toutes les coutures. A ce sujet, on se souviendra longtemps de l'interprétation par Narcissa de "The Song Is You", d'une splendeur désarçonnante. D'ailleurs, concernant l'interprétation des acteurs, ceux-ci tirent admirablement leur épingle du jeu. Isabella Rossellini crève littéralement l'écran de par sa grâce et sa beauté, tout comme Maria de Medeiros se montre belle et touchante. Marc McKinney et Ross McMillan dans le rôle des deux frères ennemis parviendront aussi à se défendre tout comme leur père interprété par David Fox. Aucune fausse note n'est présente dans le jeu d'acteur.
Concernant la mise en scène, on lorgne toujours dans l'expérimental et l'inclassable et les fans de Guy Maddin n'auront pas trop à s'inquiéter là-dessus mais il y a un revers car le cinéaste s'éloigne du maelström surréaliste de ses précédentes oeuvres pour aboutir à une intrigue scénaristique en grande majorité très logique et sans que le spectateur ne soit perdu. La construction narrative s'éloigne du trait austère et typique de l'OFNI pour livrer un film nettement plus accessible et cohérent.
Ainsi, The Saddest Music In The World sera souvent considéré comme l'oeuvre la plus accessible du réalisateur et pour les puristes et ardents défenseurs du cinéma expérimental, cela pourra les faire tiquer. Cela serait cependant bien dommage d'en arriver à ça tant le film est beau narrativement et esthétiquement et se pare de superbes séquences dont celle des jambes de bière qui en est un très bon exemple.
En conclusion, The Saddest Music In The World est une autre grande réussite de Guy Maddin qui, s'il s'éloigne de l'austérité de ses précédentes réalisations, parvient toujours, avec sa maestria propre, à combiner de manière efficace une trame narrative riche d'inventivité et un esthétisme au travail que l'on imagine titanesque. Un noir et blanc d'une rare beauté, un travail sonore de grande qualité, des actrices d'une superbe grâce et une mise en scène plus accessible mais qui n'en fait pas moins, malgré tout, une oeuvre difficile d'accès qui ne plaira pas à tout le monde.
Plus qu'une simple leçon de raffinement esthétique, l'oeuvre a une véritable dimension tragique, ce qui se ressentira dans la fin. Bien que l'on ne déversera pas 3000L de larmes au cours de la séance, nul doute que le film touche et bouleverse. On aimerait avoir plus de romance de ce genre dans un paysage cinématographique foncièrement mauvais devant la quantité d'oeuvres romantiques de qualité similaire à l'étron que je lâche après un plat trop épicé. Quoi qu'il en soit, on a là un semi-OFNI hautement recommandable mais que je ne prendrais pas le risque de noter car le côté expérimental est assez costaud, quoi qu'on en dise.
Note : ???