Genre : Thriller, horreur (interdit aux - 18 ans au moment de sa sortie/interdiction inconnue aujourd'hui)
Année : 1969
Durée : 1h35
Synopsis :
Mme Fourneau dirige d'une main de fer une maison de redressement réservée aux filles. Dans cet univers quasi carcéral, lesbianisme et torture sont monnaie courante. Mme Fourneau est également la mère d'un adolescent qu'elle essaie de tenir à l'écart de toutes ces jeunes filles et du vice. Bientôt, des filles commencent à disparaître mystérieusement de la résidence.
La critique :
On a souvent tendance à l'oublier mais l'Espagne a su accoucher au fil des décennies de certaines oeuvres horrifiques qui ont durablement marqué les rétines de par leur qualité. Si l'on regarde le cinéma actuel, on pense directement à la licence REC dont le premier opus fut une excellente surprise, de même que le deuxième qui fut de qualité honorable. Inutile par contre de parler de la suite de la licence qui, compte tenu du succès, n'eut d'autre alternative que de sombrer entre les mains de producteurs mercantiles désireux de tirer encore et encore sur la corde. Mis à part, on pourra citer, entre autres, le thriller ultraviolent La Secte sans Nom ou encore La Piel Que Habito qui remportèrent un grand succès. Maintenant, là on parle du cinéma contemporain mais que peut-on dire du vieux cinéma espagnol ?
Il ne fait aucun doute que l'un de ceux qui s'imposa le plus à l'époque fut un personnage du nom de Narciso Ibañez Serrador. Oui, c'est bien celui qui est à l'origine du film choc et polémique du nom de Les Révoltés de l'an 2000, chroniqué il y a peu pour les intéressés. Ceci dit, Serrador est un réalisateur dont 95% de son oeuvre fut consacrée à la TV ou sous forme de série télévisée. Seuls deux vrais films virent le jour et justement, son premier film est celui qui sera chroniqué aujourd'hui, à savoir La Résidence, sorti 5 ans avant Les Révoltés de l'an 2000.
Déjà là, le réalisateur avait le goût du scandale vu qu'à sa sortie, le film choqua et suscita la polémique au point de carrément écoper d'une interdiction aux moins de 18 ans. Interdiction dépassée aujourd'hui due à une violence décomplexée qui n'était pas d'application en l'an de grâce 1969, année précédant la libération sexuelle et la libération des moeurs. Un témoignage d'une époque révolue mais qu'en est-il de la qualité ? Réponse dans la critique.
ATTENTION SPOILERS : Une nouvelle élève arrive au pensionnat de jeunes filles dirigé par Mlle Fourneau. Celle-ci fait régner une discipline de fer sur ses protégées. Non contente de soumettre ses élèves à la torture, Mlle Fourneau se révèle une mère possessive à la limite de l’inceste avec son jeune fils, à qui elle interdit tout contact avec l’extérieur. Bientôt, des pensionnaires disparaissent.
Il est flagrant de se rendre compte du pourquoi de la polémique que le film suscita à l'époque, de par les thématiques traitées. Ainsi, Serrador déroule la totalité de son récit au sein d'un pensionnat pour jeunes filles difficiles où l'éducation y est faite d'une main de fer pour remettre ces demoiselles sur le droit chemin. C'est l'occasion pour le cinéaste de critiquer le mode d'éducation rigide et impartial de l'époque où sévices physiques n'étaient pas rares du temps de nos parents et grands-parents. Les filles sont cadrées et doivent suivre un règlement bien précis où la moindre anicroche est synonyme de les voir se faire embarquer à la cave et subir les sévices du fouet, le tout avec la participation de certaines élèves à la solde de cette directrice totalitaire. Justement, ce n'est pas seulement l'éducation violente qui y est tancée mais La Résidence s'apparente à une forme de parabole du fascisme de l'époque alors que Franco était encore à la tête de l'Espagne franquiste. Réduites au silence, baissant souvent les yeux tout en ayant un mal-être palpable en elles, les filles vivent tant bien que mal dans ce microcosme dictatorial.
Un microcosme dont les influences peuvent directement rebondir à Sade avec son lot de tortures physiques, d'individus soumis à l'avilissement et à l'obéissance la plus totale de leurs supérieurs. Une sorte de Salo édulcoré. Mieux encore, l'hypocrisie de la directrice est affichée dans une séquence où il y a intermittence de deux scènes bien précises. L'une avec les pensionnaires exerçant leur prière du soir, en ligne droite et de l'autre, une pensionnaire du nom de Catherine se faisant fouetter par Irene, la chef sadique des pensionnaires à la solde de la directrice. Une hypocrisie qui met en avant l'incohérence et le manque de respect envers les valeurs catholiques prônées par le pensionnat.
Mais ce n'est pas tout vu que la sexualité sera bien sûr au centre du récit. Sans surprise, les relations sentimentales, tout comme les rapports sexuels sont interdits ou presque. Les pensionnaires sont plongées dans un marasme sentimental et une misère sexuelle qu'elles ne peuvent que combler un temps avec le livreur de bois faisant sa tournée toutes les trois semaines. Pourtant, à côté, la directrice très hostile au bien-être sentimental de ses élèves nourrit une sorte de pulsion incestueuse qu'elle essaie tant bien que mal de refouler. L'air de rien, La Résidence pourrait s'apparenter à un brûlot envers les valeurs rigides de l'époque et la promotion d'une liberté sexuelle, religieuse et sociale plus grande. Ses nombreux thèmes, il faut le dire, sont bien traités et renforcent la complexité du long-métrage.
Qu'on se le dise, Serrador a su mettre en place une atmosphère trouble et étouffante où les désirs sexuels restent de l'ordre de l'interdit, où les pensionnaires ne peuvent que subir le châtiment de leurs bourreaux. Une preuve étant qu'il n'y aura jamais quelconque forme de rébellion, ce qui souligne bien le phénomène d'avilissement et de main-mise totale des hautes instances. Bref, tout pourrait aller pour le mieux mais là où les choses se gâtent fortement, c'est dans le déroulement du récit. Le début fait naître en nous l'espoir de visionner un grand film mais au fur et à mesure du récit, une forme de plat et d'ennui s'installent et brident la séance. On a un peu cette impression que Serrador ne savait pas trop où aller dans le déroulement de son intrigue. Si les scènes de meurtre sont bien réussies, on commence à devenir sceptique sur la suite des événements et le choc finit par en pâtir.
Pareil pour le malaise qui était aux abonnés présents mais qui devient évanescent. La mise en scène se gâte et la dernière partie risque de faire perdre le fil aux spectateurs.
Le fait d'avoir l'impression de se retrouver devant une forme de tranche de vie avec quelques soubresauts en est la cause. On sera aussi sceptique de cette volonté de dévier la dernière partie dans un climat d'épouvante qui, malgré une idée judicieuse et bien malsaine, n'était pas nécessaire. Idée judicieuse mais malheureusement mal amenée, la faute à une personnalité du fils contrastant totalement avec la personnalité qu'il avait durant le restant du récit. Je n'en dirai par contre pas plus mais vous comprendrez ce que je veux dire quand vous le verrez.
La fin un peu vite expédiée pourra aussi faire tiquer certains. Il est dommage de réaliser que La Résidence, alors que son niveau de lecture était de grande qualité, peine à susciter un intérêt constant chez le spectateur, la faute à une mise en scène maladroite à de nombreuses reprises. Sans quoi, on aurait pu très rapidement se retrouver devant un petit chef d'oeuvre.
Pour ce qui est de l'aspect physique du film, le niveau est assez bon. On appréciera cette atmosphère gothique et oppressante malgré le fait que les cadrages et plans soient ouverts et favorisent les grands espaces. A ce niveau, les références au giallo sont nombreuses tant dans les meurtres que dans les décors luxueux. Pourtant, suivant les copies proposées, la possibilité de se retrouver face à de mauvais jeux de lumière ne sera pas rare. Dans ce cas de figure, les scènes dans l'obscurité seront un calvaire pour bien suivre l'action. La bande sonore reste agréable à l'écoute et le jeu d'acteur est de bonne qualité. Lilli Palmer est impeccable dans le rôle de cette directrice froide, implacable et tyrannique dont on salue la providence de ne pas l'avoir eu comme mère.
On sera aussi comblé par la prestation de Mary Maude dans le rôle de la belle mais sadique Irène. Face à ces deux grandes prestations, le personnage principal de Theresa fraîchement débarqué dans cet institut et allant de surprise en découverte, incarné par Christina Galbò, suscite moins l'adhésion. Pareil pour John Moulder-Brown dans le rôle du fils de la directrice, quelque peu maladroit dans son jeu d'acteur. En ce qui concerne le jeu d'acteur, c'est donc en demi-teinte.
En conclusion, La Résidence n'est bien sûr pas un mauvais film. Le film s'apparente à une allégorie de Sade où Serrador retranscrit le cauchemar totalitaire dans un pensionnat de jeunes filles soumises et réduites à l'impuissance la plus totale. Les nombreuses dénonciations font de La Résidence, une oeuvre froide, glauque, malaisante, parfois même dérangeante et loin d'être débile. Une métaphore de l'Espagne franquiste où les disparitions ne choquent finalement personne. Une critique acide sur l'hypocrisie de certains personnages pratiquant le catholicisme alors qu'ils se montrent dépravés et sadiques. Cependant, le réalisateur a eu le malheur de galvaniser dans un premier temps le spectateur pour faire retomber le soufflé via un scénario qui s'éternise parfois trop et sur une mise en scène brouillonne dans sa dernière partie. On pourra aussi parler des éclairages désastreux de certaines copies. Bref, ces derniers points font pas mal chuter la note finale de La Résidence qui ne peut tenir tête à Les Révoltés de l'an 2000, définitivement le chef d'oeuvre majeur du réalisateur.
Mais bon, ne soyons pas mauvaise tête, le film est raffiné et de qualité certaine (et à même le luxe de se payer une belle couverture), à condition de fermer les yeux sur certains défauts rédhibitoires.
Note : 12/20