Genre : policier
Année : 1967
Durée : 1h42
Synopsis : Jef Costello, un tueur à gages taciturne et solitaire, exécute un contrat en supprimant Martey, le patron véreux d'une boîte de nuit. Seule Valérie, la pianiste de l'établissement, a surpris le criminel au sortir de son forfait. Arrêté, Costello est formellement reconnu par un client de la boîte alors que, contre toute attente, la pianiste affirme ne l'avoir jamais vu lors de la confrontation qui les oppose. Dans quel but le protège-t-elle ? Une fois libéré, le tueur tente alors de remonter la filière jusqu'à ses mystérieux employeurs. Mais très vite, il se retrouve cerné entre la police persuadée de sa culpabilité et des commanditaires qui veulent à présent l'éliminer. Traqué de tous côtés, Costello voit l'étau se resserrer autour de lui jusqu'à le pousser à sa perte.
La critique :
"Il n'y a pas plus profonde solitude que celle du samouraï, si ce n'est celle du tigre dans la jungle... peut-être..."' Le Bushido, livre du Samouraï. Avec cette citation introductive à la première image du film, le réalisateur Jean-Pierre Melville annonce clairement la couleur : nous n'allons pas regarder un polar comme les autres. En effet, si Le Samouraï appartient au genre "policier" au sens littéral du terme, cette oeuvre contemplative et introspective dépasse de loin le cadre classique du genre avec les truands d'un côté et les policiers de l'autre. Jean-Pierre Melville, déjà porté aux nues par la critique pour ses oeuvres antérieures, a déjà près de vingt ans de carrière derrière lui lorsqu'il réalise Le Samouraï. De ses débuts dans Le Monde Du Silence à L'armée Des Ombres tournée l'année précédent Le Samouraï, Melville a su imprégner le cinéma français de son style et de son univers où la solitude, l'échec et la mort sont des thèmes récurrents et prépondérants. Ses films sont quasiment tous devenus des classiques instantanés, encensés par la critique et plébiscités par le public.
Trois ans après Le Samouraï, Melville fera de nouveau appel à Alain Delon qu'il accompagnera de Bourvil, d'Yves Montand et de Gian-Maria Volonte (sacrée distribution) dans l'autre sommet de sa filmographie, Le Cercle Rouge.
Au fil des décennies, Le Samouraï est devenu le symbole du polar existentiel, référence absolue de réalisateurs tels John Woo (The Killer, 1989), Jim Jarmush (The Ghost Dog La Voie Du Samouraï, 1997) ou encore Nicolas Winding Refn (Drive, 2011). Le film de Melville a ainsi totalement imprégné de son aura la culture populaire asiatique et japonaise en particulier. C'est avant tout grâce à cette oeuvre mythique qu'Alain Delon est un devenu presque un dieu vivant au Pays du Soleil Levant. Vénération toujours très vivace de nos jours. On peut apprécier ou pas Alain Delon, l'homme. Sa présomption légendaire et assumée, a fasciné ou exaspéré des générations de cinéphiles.
Mais le Delon de cette époque était au faîte de sa gloire et au sommet de son art. Et force est de constater que la prestation d'Alain Delon, l'acteur, est tout simplement magistrale. Par une posture monolithique, un minimum de paroles (le premier mot est prononcé seulement sept minutes après le début du film), une précieuse économie de gestes et une totale maîtrise de son rôle, il parvient à créer un personnage inoubliable.
Froid, impassible et impénétrable, en chapeau de feutre et gants blancs, Delon EST le samouraï. Par un jeu minimaliste et minéral, l'acteur fait du personnage de Costello un automate, un métronome sans passion, sans états d'âme, mû par l'unique but d'exécuter son contrat. Le film de Melville réalisé en 1967, est unanimement considéré comme l'un (le ?) des plus grands polars du cinéma français. Et qui pourrait trouver à redire à cela ? Cinquante ans tout juste après sa sortie, cette oeuvre envoûtante n'a rien perdu de sa puissance mystique, de sa beauté glaciale et de son ambiance hypnotisante. Car Le Samouraï, c'est avant tout une atmosphère unique en son genre.
Melville, en maître-orfèvre de l'onirisme et des effets sensoriels, place son histoire dans un Paris à la limite de l'artificialité. Une ville baignée par des couleurs bleues nuit légèrement irisées. Un Paris statufié, traversé par les ombres furtives de personnages qui ont perdu toute identité. Des portes s'ouvrent, des regards se croisent, des silhouettes descendent des escaliers dans une ville fantomatique. Au petit matin, le tueur, à peine libéré de son interrogatoire, s'engouffre dans un taxi qui fonce dans les rues désertes encore toutes engourdies par les pluies lancinantes de la nuit.
L'image épurée à l'extrême semble avoir été imprimée sur papier glacé ; la musique jazz aux relents d'électro composée par François de Roubaix, tend à engourdir le spectateur et à le maintenir dans un état de léthargie somnambulique sans toutefois que son attention ne puisse se détacher un seul instant de cette histoire policière qui flirte aux frontières de la transcendance fantasmagorique. Le Samouraï est une oeuvre aussi minimaliste dans sa réalisation brute qu'elle est éminemment complexe sur les thématiques qu'elle aborde : le rapport à un code d'honneur fondé sur le sacrifice et la loyauté, la recherche désespérée de la paix intérieure, la solitude d'un homme qui court inéluctablement à sa perte (c'est-à-dire vers la mort)... La destinée d'un homme est écrite à l'avance ; rien ne peut la bouleverser. Le thème est cher à Melville. Ce thème qu'il retravaillera de manière plus poussée encore dans Le Cercle Rouge où cette fois-ci, ce seront plusieurs hommes dont les routes s'entrecroiseront tout au long du film pour se réunir inéluctablement dans l'affrontement final.
Au niveau de la distribution, Delon "écrase" ses partenaires par sa seule présence. Tous ou presque sont destinés plus ou moins aux rôles de faire valoir. Signalons tout de même les performances intéressantes de François Périer en commissaire teigneux et de la mystérieuse Cathy Rosier, actrice et mannequin martiniquaise à la carrière cinématographique aussi fulgurante que fut sa mort d'une rupture d'anévrisme en 2004.
Attention spoilers : Samedi 4 avril, 18 heures. Jef Costello, fume une cigarette sur son lit. Dans quelques heures, il va exécuter un nouveau contrat et tuer Martey, le patron d'une boîte de nuit. En attendant, il va concevoir son alibi avec une minutie chirurgicale. Il vole une voiture et fait changer les plaques d'immatriculation, se rend chez Jeanne, sa maîtresse, avec laquelle il s'accorde sur les horaires, puis rencontre des partenaires de jeu dans un hôtel pour les prévenir de son arrivée tardive à la partie de poker en cours. Il peaufine les préparatifs de son crime en n'omettant aucun détail. À l'horaire prévu, il entre dans l'établissement, s'introduit dans le bureau de Martey et l'abat de trois balles. C'est alors qu'il croise Valérie, la pianiste de la boîte, qui allait prendre sa pause.
Très vite arrêté, Costello est néanmoins libéré faute de preuves et sur la base de faux témoignages. S'il est normal que Jeanne, sa maîtresse, ait menti en sa faveur, pourquoi cette pianiste a-t-elle déclaré ne pas l'avoir reconnu alors qu'elle se trouvait à deux pas de lui après qu'il ait commis son crime ? Quel est son rôle dans cette histoire? Aurait-elle un lien quelconque avec les employeurs de Jef ? Pris en tenaille par les hommes d'un commissaire particulièrement tenace et suspicieux et ses anciens commanditaires qui veulent désormais l'éliminer, Costello va tenter de remonter le cours de sa propre histoire et de survivre dans une ville dangereuse où la mort le guette désormais à tous les coins de rue. En vain.
Tel un tigre traqué dans une jungle hostile, Jef Costello se débat pour rester en vie. Pour Delon, Melville a composé un personnage sur mesure. Dénué de toute expression, économe de tous sentiments, le samouraï, froid comme la mort, traverse le film tel un fantôme en gabardine. Costello ne parle pas, il réplique : "Je ne perds jamais. Jamais vraiment"... Rien ne l'émeut, rien ne le perturbe, rien ne le déstabilise. Au sourire d'une jeune femme qui attend le même feu vert, il n'accorde aucune attention, restant de marbre derrière les vitres embuées de sa voiture. Au commissaire qui le bouscule dans ses derniers retranchements, il oppose une fin de non-recevoir par des justifications courtes, concises et abruptes. Sa défense repose sur un alibi en béton armé et il le sait. Cette carapace se fissure pourtant à deux reprises dans le film, lorsque Costello émet un geste (bref et pudique) de tendresse à l'égard de ses "protectrices", Jeanne et Valérie. Ce seront ses seuls moments d'humanité...
Le Samouraï est un digne descendant du film noir mais aux codes déstructurés par son réalisateur. Melville sublime le genre policier en créant ses propres rituels qui magnifient le métrage en une célébration funèbre confinant à la tragédie antique. De même, le cinéaste modernise la manière de voir un film. Ainsi, il fait participer le spectateur en lui réclamant une attention particulière à tous les détails ; qu'ils soient vestimentaires, scripturaux ou comportementaux.
Le spectateur ne doit plus se contenter de voir et donc de subir l'action; il doit regarder, scruter, s'impliquer directement dans les situations qui lui sont proposées. Ce déchiffrage optique implique une concentration analytique de tous les instants. C'est pour cela que malgré son rythme anesthésiant, Le Samouraï n'en absorbe que plus la capture visuelle. Et le visuel reste indéniablement le point fort du film. Dès la scène introductive, la caméra transfigure l'appartement de Costello par un jeu de lumières fait de transparence et de noir et blanc. Alors que des volutes s'évaporent dans un rayon de soleil traversant les fenêtres, la chambre du tueur, grise et monacale, est plongée dans un silence que seuls entrecoupent les brefs piaillements d'un serin en cage.
Puis, l'image se met à trembler au rythme d'une étrange pulsation qui semble distordre le plan. À la fois lisible et opaque, statique et mouvante, matérialiste et spirituelle, cette scène inaugurale instaure dès ses premiers instants, le climat très particulier dans lequel va se dérouler le film. Cette atmosphère mêlant la réalité tangible et le mysticisme hiératique est aussi l'occasion pour Melville, de se référer, discrètement mais en permanence à la culture japonaise.
L'histoire du Samouraï représente bien plus qu'une simple chasse au criminel ; c'est un voyage silencieux au plus profond de l'âme humaine. De ses tourments les plus inavouables, de ses turpitudes les plus enfouies et malgré tout, de son désir farouche de survie. Costello n'est pas un kamikaze : il n'a pas envie de mourir. Mais il sait intimement et depuis le début de sa traque, que l'engrenage dans lequel il est pris lui sera fatal. Tôt ou tard. Jean-Pierre Melville a réalisé ici un film immense et donne naissance au polar existentiel dont l'influence sera considérable pour quantité de réalisateurs à travers le monde.
Et au Japon, de vague célébrité européenne, Alain Delon passa au statut d'une icône artistique, de divinité cinématographique. Traversant l'écran et la mémoire des spectateurs tel une ombre chimérique, le tueur mutique Jef Costello restera à jamais comme le rôle phare dans la longue et prestigieuse carrière l'acteur. Et Le Samouraï, comme le film le plus emblématique de ce très grand réalisateur qu'était Jean-Pierre Melville, hélas trop tôt décédé. Rares sont les véritables cinéphiles à n'avoir jamais vu Le Samouraï, mais si jamais il s'en trouvait parmi vous à être dans ce cas, vous seriez bien inspirés de combler très rapidement cette (grosse) lacune. Le chef d'oeuvre melvillien est un immense classique du polar, du cinéma français et du cinéma tout court. Un film obsessionnel absolument unique.
Une oeuvre majeure dans l'histoire du Septième Art qui frise la perfection de la première à la dernière minute. À visionner de toute urgence.
Note : 19,5/20