Genre : anticipation, science-fiction (interdit aux - 12 ans)
Année : 1984
Durée : 1h53
Synopsis : Manipulant et contrôlant les moindres détails de la vie de ses sujets, Big Brother est le chef spirituel d'Oceania, l'un des trois Etats dont la capitale est Londres. Le bureaucrate Winston Smith travaille dans l'un des départements. Mais un jour il tombe amoureux de Julia, ce qui est un crime. Tous les deux vont tenter de s'échapper, mais dans ce monde cauchemardesque divisé en trois, tout être qui se révolte est brisé.
La critique :
Scénariste, producteur et réalisateur britannique, Michael Radford débute sa carrière cinématographique à l'orée des années 1980 via un documentaire, Van Morrison in Ireland. Il enchaîne alors avec plusieurs longs-métrages notoires, notamment Sur la route de Nairobi (1987), Le Facteur (1994), Le marchand de Venise (2004), Le Casse du Siècle (2007) et La Mule (2011). En 1984, il décide de transposer le roman anticipationnel de George Orwell, justement intitulé 1984.
Pour l'anecdote, ce n'est pas la première fois que le célèbre opuscule fait l'objet d'une adaptation cinématographique. Déjà, en 1954, Rudolph Cartier s'était essayé à l'exercice via un téléfilm britannique, sans néanmoins laisser un souvenir impérissable. Même remarque concernant le réalisateur Michael Anderson via un long-métrage cinématographique éponyme.
Le roman de George Orwell est jugé inadaptable au cinéma, notamment pour sa portée politique, philosophique et idéologique, difficilement transposable sur une pellicule cinématographique. Si la version de Michael Radford n'obtient qu'un succès d'estime lors de sa sortie en salles, le long-métrage suscite à l'inverse des avis unanimement dithyrambiques, obtenant par ailleurs le prix du meilleur film lors des Evening Standard British Film Awards et lors du festival de Fantasporto.
Reste à savoir si 1984 (ou Nineteen Eighty-Four) mérite un tel panégyrisme. Réponse dans les lignes à venir. Plus de 65 ans après sa sortie, l'opuscule de George Orwell continue de fasciner et d'influencer le cinéma d'anticipation et de science-fiction. Des films tels que V pour Vendetta (James McTeigue, 2006), Equilibrium (Kurt Wimmer, 2002) et Brazil (Terry Gilliam, 1985) s'inspirent directement de l'univers "orwellien".
Pour mémoire, le roman originel est une dystopie à consonance politique qui dénonce un système autocratique et totalitaire influencé à la fois par les régimes fascistes et communistes, en particulier staliniens. De facto, difficile de retranscrire, via une adaptation cinématographique, une telle société despotique dictée, entre autres, par la surveillance permanente, la manipulation de masse, le mensonge et l'utilisation d'un langage dévoyé (le novlangue) consistant à réduire la pensée, ainsi que toute diatribe du régime. Pour Michael Radford, la tâche s'annonce particulièrement difficile.
La distribution de 1984 - le film se compose de John Hurt, Richard Burton, Suzanna Hamilton, Cyril Cusack et Gregor Fisher. Attention, SPOILERS ! (1) En 1984, le monde est divisé en trois parties : l'Oceania, l'Estasia et l'Eurasia.
Ces trois nations sont en guerre. Winston, un simple employé au service de Big Brother, va commettre un crime par la pensée et vivre un amour avec une jeune femme. Winston vit dans un très modeste appartement. On découvre que la société est divisée en trois parties : le Parti intérieur, le Parti extérieur et les Prolétaires, les Prolétaires vivent dans des zones spéciales. Le maître de l'Océania est Big Brother, dont le portrait est affiché sur tous les murs et télécrans.
Son visage est le suivant : il a une petite moustache, son visage semble vouloir rassurer mais aussi montrer une certaine sévérité. Les gens disposent chez eux de télécrans, sorte de télévision qui peut les regarder, les entendre et les réprimander au besoin. L'opposant politique de Big Brother est Emmanuel Goldstein. Les restrictions alimentaires sont très dures, ainsi que les libertés et les mouvements des gens, sauf pour les prolétaires, qui sont considérés comme des animaux (1).
Premier constat, Michael Radford a parfaitement cerné la quintessence du roman originel via une adaptation probe et fidèle. Ainsi, le film s'ouvre sur l'assertion suivante : "Qui gouverne le passé gouverne le présent. Qui gouverne le présent gouverne l'avenir". Dans une telle société, ce n'est pas que l'histoire qui est annihilée, mais aussi la mémoire. Ainsi, l'histoire est réécrite de façon à falsifier les faits, par ailleurs sans cesse modifiés. Dans ce monde cauchemardesque, c'est un souverain potentat, Big Brother, qui impose le diktat et la doxa d'une société bureaucratique, visiblement diligentée par des technocrates. Michael Radford opacifie son propos en nimbant sa pellicule de couleurs sépia, ce qui n'est pas sans rappeler, par certaines accointances, la tonalité de Stalker (Andreï Tarkovski, 1979).
Pourtant, sur la forme, le film de Michael Radford s'apparente à un curieux maelström mélangeant malhabilement un contexte politique délicat et une situation internationale des plus alambiquées.
Par exemple, difficile dans le film de faire la distinction entre l'Oceania, l'Eurasia et l'Estasia et donc de comprendre les belligérances entre ces trois pôles mondiaux. La police de la pensée est rapidement éludée, tout comme les différents ministères régentés par un régime dictatorial et totalitaire. Bien conscient des écueils de son scénario, Michael Radford décide de se polariser sur l'histoire d'amour entre Julia et Winston Smith. Hélas, la mise en scène, beaucoup trop théâtrale et dramaturgique, pâtit d'une interprétation en demi-teinte. Mention particulière à Suzanna Hamilton qui ne parvient pas vraiment - du tout - à transcender cette jeune femme en pleine insubordination contre le régime.
En revanche, rien à redire sur les prestations de John Hurt (dans le rôle de Winston Smith) et de Richard Burton (dans le rôle d'O'Brien).
En outre, c'est surtout John Hurt qui tire son épingle du jeu et apporte beaucoup de modestie et de sensibilité à ce quarantenaire alangui et bientôt torturé pour crime de la pensée. "Le crime par la pensée n'entraîne pas la mort. Il est la mort !" déclame péremptoirement un Winston Smith médusé. Evidemment, dans une telle société totalitaire, l'amour est interdit. Toute pensée belliciste à l'égard de Big Brother doit être révoquée. Impitoyablement. Le long-métrage retrouve enfin toute sa magnificence dans sa dernière partie lorsque Winston Smith est écroué puis reprogrammé.
Dommage que le prisme du langage et de ses corollaires ne soit pas davantage évoqué. Curieusement, Michael Radford choisit d'éluder le champ de la pensée via le novlangue, un langage condensé et codifié. De facto, difficile d'adhérer totalement à cette version cinématographique en partie dévoyée, en raison d'une approche théorique parfois galvaudée et de choix scénaristiques discutables voire inappropriés. Par exemple, pourquoi évoquer l'enfance de Winston Smith alors qu'elle ne sert en rien le scénario du long-métrage ? Nul doute qu'un tel roman aurait probablement mérité une version cinématographique de trois heures pour réellement magnifier l'opuscule originel.
C'est sans doute pour cette raison que 1984 - le film reste encore aujourd'hui confiné dans les affres des oubliettes. Mais ne soyons pas si sévère. Michael Radford réalise une adaptation plutôt éloquente en dépit de menus détails qui ne manqueront pas de faire tiquer les adulateurs du roman de George Orwell.
Note : 14/20
(1) Synopsis du film sur : https://fr.wikipedia.org/wiki/1984_(film,_1984)