monstre des temps perdus

Genre : fantastique, science-fiction
Année : 1953
Durée : 1h20

Synopsis : A la suite d'une expérience nucléaire, un dinosaure refait surface et menace d'attaquer l'île de Manhattan..

La critique :

Réalisateur, directeur artistique et chef décorateur français, Eugène Lourié s'est surtout spécialisé dans le cinéma fantastique et de science-fiction. Les thuriféraires du cinéaste citeront aisément un épisode la série télévisée World of Giants (1959), The Colossus of New York (1958), Gorgo (1961) et Behemoth the Sea Monster (1959) coréalisé par Douglas Hickox. Vient également s'agréger Le Monstre des Temps Perdus, sorti en 1953. Comme le stipule l'intitulé, le long-métrage d'Eugène Lourié s'inscrit dans le sillage et le continuum de Le Monde Perdu (Harry O. Hoyt, 1925).
A tort, on euphémise parfois l'impact du chef d'oeuvre d'Harry O. Hoyt. A l'époque, Le Monde Perdu marque une rupture fatidique et rédhibitoire dans le cinéma fantastique. Pour la première fois dans les salles de cinéma, les spectateurs béats assistent au retour de l'ère paléontologique.

Willis O'Brien, qui diligente les effets visuels du film, redonnent vie à des dinosaures gargantuesques via la stop motion, une technique d'animation d'image par image. En l'occurrence, le scénario de Le Monde Perdu va bientôt devenir l'apanage de tout un pan du cinéma bis. Ainsi, le schéma narratif obéit toujours à la même antienne : l'organisation d'une expédition aventureuse, la découverte d'une île inconnue, la présence de créatures préhistoriques, une chasse au monstre, une idylle amoureuse, puis une créature géante qui assaille la cité moderne. En outre, King Kong (Ernest B. Schoedsack et Merian C. Cooper, 1933) réitérera la même didactique, toujours la férule et l'oeil avisé de Willis O'Brien. 
Les travaux du technicien influence un autre parangon de la stop motion. Son nom ? Ray Harryhausen. Surnommé le "Titan des effets spéciaux", Ray Harryhausen va longtemps officier pour le cinéma bis.

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De nombreux réalisateurs requièrent sa dextérité et son érudition pour les effets spéciaux. Le nom de Ray Harryhausen est donc intrinsèquement associé à des longs-métrages proverbiaux, entre autres Monsieur Joe (Ernest B. Schoedsack, 1949), Les Soucoupes Volantes Attaquent (Fred F. Sears, 1956), Le Septième Voyage de Sinbad (Nathan Juran, 1958), Jason et les Argonautes (Don Chaffey, 1963), Les Premiers Hommes dans la Lune (Nathan Juran, 1964), La Vallée de Gwangi (Jim O'Connolly, 1969), ou encore Le Choc des Titans (Desmond Davis, 1981).
A tort, Le Monstre des Temps Perdus est souvent considéré comme l'avatar, version occidentale, de Godzilla (Ishiro Honda, 1954) premier du nom. Pourtant, le métrage d'Eugène Lourié est sorti un an avant celui d'Ishiro Honda.

A contrario, The Beast from 20,000 Fathoms - titre original du film - est beaucoup moins populaire, probablement parce qu'il n'est pas nimbé par cette catastrophe nucléaire qui a frappé, au Japon, les villes de Nagasaki et d'Hiroshima. Sur la forme, on pourrait presque considérer Godzilla comme un remake assez libre de The beast from 20,000 Fathoms en raison d'un scénario peu ou prou analogue. Seule différence, le monstre de Godzilla est incarné par un acteur alors que celui d'Eugène Lourié requiert (encore une fois) la technique de la stop motion.
A l'origine, Le Monstre des Temps Perdus est l'adaptation libre d'une nouvelle publiée par Ray Bradbury. En outre, le film de Lourié ne partage presque aucune accointance avec l'opuscule originel. Dans la nouvelle, l'action se déroule à proximité d'un phare et oppose deux marins d'infortune à une créature titanesque. 

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Eugène Lourié conservera seulement le monstre gargantuesque. La distribution du film se compose de Paul Hubschmid, Paula Raymond, Cecil Kellaway, Kenneth Tobey, Donald Woods, Lee Van Cleef et Steve Brodie. Attention, SPOILERS ! (1) Dans les années 1950, un test nucléaire, Operation Experiment, est conduit au-delà du Cercle Arctique. Mais l'explosion réveille une créature gigantesque, endormie sous la glace depuis 100 million d'années, qui commence à se diriger vers la côte Est des Etats-Unis, coulant de nombreux navires et un phare sur son passage. 
Lorsque le monstre arrive à Manhattan, il sème le chaos le plus total. Tirée au bazooka par les militaires du Colonel Evans, la Bête relâche un germe préhistorique virulent qui contamine la population. La seule façon d'en venir à bout est de brûler la créature pour éviter une pandémie.

Cette dernière est finalement vaincue dans un parc d'attractions à Coney Island... (1) Premier constat, Le Monstre des Temps Perdus s'inscrit dans cette paranoïa de la Guerre Froide. Dans les années 1950, les belligérances entre Américains et Soviétiques font rage. Cette peur est alimentée par la technologie de masse et cette capacité à frapper n'importe où et n'importe qui via la bombe nucléaire. De facto, on comprend mieux la hargne et la colère de Ray Harryhausen envers le film d'Ishiro Honda. Au moment de sa sortie, Godzilla est perçu comme une production novatrice et iconoclaste.
Or, le chef d'oeuvre science-fictionnel d'Ishiro Honda est, en réalité, un copie (presque) éhontée de The Beast from 20,000 Fathoms. D'autre part, Eugène Lourié n'a pas pour vocation de s'égarer dans les frivolités. 

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Dès les dix premières minutes de bobine, la complexion gargantuesque de la créature préhistorique est promptement dévoilée sous les yeux médusés d'un militaire d'infortune. Son témoignage est recueilli par ses supérieurs circonspects. Mais plusieurs indices laissés par le monstre corroborent de telles allégations. Dès lors, Eugène Lourié adopte un cheminement classique en transposant le scénario de King Kong et de Le Monde Perdu (deux oeuvres déjà précitées). En gros, comprenez que le monstre ne va pas tarder à assaillir la ville et ses habitants ulcérés.
Ou lorsque le consumérisme doit se colleter avec une entité primitive et archaïque... Eugène Lourié joue habilement de cette dichotomie. L'armée et ses escouades de militaires sont donc dépêchées sur place. Hélas, la créature semble insensible aux balles et aux grenades.

Pour occire le vil animal, il faudra donc employer, derechef, l'arme nucléaire. Encore une habile ritournelle qui sera encore appliquée par Ishiro Honda sur le tournage de Godzilla. Techniquement, rien à redire sur la mise en scène probe et efficace d'Eugène Lourié. Indubitablement, le cinéaste est un orfèvre avisé de la mise en scène, nous gratifiant même de plusieurs saynètes savamment aiguisées. Toutefois, rien de sensationnel non plus. Dans l'ensemble, l'intrigue reste beaucoup trop conventionnelle pour susciter l'adhésion sur la courte durée de cette pellicule (à peine une heure et vingt minutes de bobine). In fine, on aurait aimé un peu plus de truculence et un peu moins de pragmatisme dans le ton employé. En résumé, Eugène Lourié n'est pas Harry O'Hoyt ni Ernest B. Schoedsack.
Mais ne soyons pas trop sévères. En dépit de quelques menus détails et de son obsolescence, Le Monstre des Temps Perdus ravira les thuriféraires d'expéditions grand-guignolesques et de créatures protéiformes. C'est déjà pas mal...

 

Note : 14/20

sparklehorse2 Alice In Oliver