L_Essayeuse

Genre : pornographique (interdit aux - 18 ans)
Année : 1975
Durée : 1h20

Synopsis : Lenna est essayeuse dans une boutique parisienne de lingerie de luxe. Il lui arrive parfois aussi "d'essayer" des clients qui viennent acheter de beaux dessous pour leurs épouses. Un jour, elle se fait inviter par un couple pervers en pleine séparation qui décide de se servir de la jeune femme pour résoudre ses problèmes.

La critique :

Attention, c'est un film historique qui débarque sur le blog aujourd'hui. Je devine votre incrédulité. Au vu du titre du film et de sa catégorie, vous penserez sans doute qu'il ne s'agit que d'un énième porno vintage usé jusqu'à la corde et vaguement scabreux. Pas de quoi fouetter un chat, donc. Eh bien, vous êtes loin du compte car L'essayeuse de Serge Korber est tout simplement le seul film, depuis la libération en 1944, qui fut condamné à la destruction en France. Oui, la destruction pure et simple. Encore plus fort que Maléfices Pornos qui lui fut "juste" totalement interdit de toute diffusion en 1976. Mais pourquoi tant de haine ? Pour répondre à cette question, il faut se replacer dans le contexte de l'époque et se remémorer les événements qui s'y sont déroulés.
Rappel des faits : en 1974, avec l'arrivée de Valery Giscard d'Estaing au pouvoir, les moeurs se libéralisent. La majorité passe à dix-huit ans et l'avortement devient légal. La société se laisse porter par un souffle d'émancipation dans cette période où la vie est agréable. La crise économique n'est pas encore là et la France finit ses "Trente Glorieuses" paisiblement.

Au cinéma, l'émancipation arrive aussi en ce début des années soixante-dix. Venue des États-Unis où le porno chic explose en 1972 grâce au phénomène Gorge Profonde, une vague érotique envahit peu à peu les écrans hexagonaux. En 1974, le succès colossal d'Emmanelle ne fait que confirmer la curiosité grandissante du public pour un cinéma d'adulte, totalement décomplexé des conventions et des moeurs rigides de la France de papa. De l'érotisme d'Emmanelle à la pornographie brute, il n'y a qu'un pas que franchit allègrement Jean-Francois Davy avec Exhibition. Ce documentaire, sorti le 25 juin 1975 et racontant l'histoire de la hardeuse Claudine Beccarie, fait lui aussi exploser le box-office avec 3 500 000 spectateurs. En cette même année 75, la moitié du nombre total de spectateurs dans les salles obscures est portée au crédit des films pornographiques !
Mais le 31 octobre, une loi voit le jour : l'attribution du X et de l'interdiction de ce genre de films aux mineurs. Tous les films pornos à l'affiche se retrouvent alors mis à l'index et condamnés à une diffusion réduite aux cinémas de quartier où à passer après minuit.

La carrière d'Exhibition s'arrête, brisée net alors que ce documentaire était bien parti pour battre le record d'Emmanelle (8 893 896 spectateurs, source Wikipédia). Avec cette loi, l'âge d'or de la pornographie française est bel et bien terminé et le genre qui avait pignon sur rue est désormais condamné à la confidentialité, aux affres de la censure et à l'ire de l'intelligentsia médiatico-parisienne. Cette longue introduction était nécessaire pour situer la période durant laquelle sortit L'Essayeuse de Serge Korber (qui, pour l'occasion, prit le pseudonyme de John Thomas). Pour son malheur, le film est donc présenté pour la première fois sur les écrans le 15 de ce fameux mois d'octobre 1975. Et puisqu'il est toujours de bon ton de brûler ce qu'on a adulé, les mouvements bien-pensants de l'époque vont s'en charger. Et notamment de l'Union des Associations Familiales Catholiques.
Il faut trouver un bouc émissaire à désigner ; il faut dénoncer à tout prix une oeuvre symbolique de cet étalage scandaleux de chairs dénudées sur les affiches de cinéma : ce sera L'essayeuse... Et le film va prendre cher ; très cher. Mis au banc de la critique, L'Essayeuse va cristalliser toute la haine accumulée par les ligues moralisatrices, ulcérées devant cette "déliquescence des moeurs". La décision est prise : le film doit être détruit.

Immédiatement retirées du circuit, toutes (enfin, presque) les bandes existantes du film seront brûlées. Le 10 juin 1977, la Cour d'Appel de Paris confirmera cette décision en infligeant, en plus, d'importantes amendes aux acteurs ayant participé à ce "délit filmique". Plus de quarante ans après, ce procès d'intention fait à une oeuvre somme toute bien inoffensive, nous apparaît vraiment injuste et déplacé. Heureusement pour la culture cinématographique française, quelques bandes ont été sauvées. Je me suis donc procuré la seule édition dvd-R disponible sur le marché via le distributeur spécialisé XCollectors afin de témoigner aujourd'hui de l'histoire assez incroyable de ce film maudit.
Car la notoriété de L'essayeuse doit beaucoup plus à sa destinée hors du commun qu'à ses "débordements" qui ne sont en fait que des actes pornographiques d'un classicisme tout à fait banal. De plus, le film n'est pas dénué d'une certaine qualité et mérite vraiment d'être découvert. Je n'ose imaginer la réaction de la censure française de l'époque si elle avait dû faire face aux roughies américains ultra violents qui sévissaient en même temps de l'autre côté de l'Atlantique...


Attention spoilers : la charmante Lenna est essayeuse dans une boutique de lingerie de luxe. Nymphomane chronique, elle se laisse souvent séduire par ses riches clients et les "essaye" aussi au lit de temps à autre. Un jour, un dénommé Étienne fait irruption dans son magasin. Pour relancer le désir de Karine, son épouse frigide et conventionnelle, l'homme d'affaires fortuné fait de Lenna sa maîtresse. Tout d'abord jalouse de cette aventure extra-conjugale, Karine va se laisser s'encanailler par Lenna et se prendre peu à peu au jeu de la perversion pour se transformer elle-même en une femme qui va assouvir tous ses fantasmes. 
Serge Korber n'était pas un pornographe spécialisé.
Bien au contraire, il se fit connaître par des films ô combien grand public puisqu'il eut l'occasion de mettre en scène l'acteur populaire par excellence, Louis de Funès, dans L'Homme Orchestre ou encore Sur Un Arbre Perché. Il terminera sa carrière par Les Bidochons en 1996 ; encore un film populaire. Sans être un vulgaire tâcheron, on ne peut pas dire que Korber fut un grand cinéaste. Son film le plus réussi reste sans nul doute Les Feux De La Chandeleur, une comédie dramatique remarquable avec Annie Girardot et Jean Rochefort.

Professionnellement au creux de la vague et profitant de l'engouement pour le cinéma d'adulte, Korber tente sa chance dans la pornographie au milieu des années soixante-dix en mettant en scène une dizaine de films X. Tous tomberont dans les oubliettes du cinéma français ; tous sauf L'Essayeuse. Pour les raisons que nous connaissons à présent, ce film demeurera dans l'histoire. Film fort sympathique au demeurant puisque sans être un chef d'oeuvre pour autant, il se laisse suivre sans déplaisir et possède un certain charme. Charme désuet du porno à la française de ces années-là, encore imprégné de la touche "chic" venue des États-Unis. La réalisation de Korber est d'un classicisme absolu, sans aucun excès hardcore et se permet d'être distrayante sans infliger au spectateur des scènes de fesses toutes les deux minutes. Le cinéaste prend le temps de nous présenter les personnages et en particulier la situation de ce couple en crise qui sera "sauvé" du divorce par une Lenna à la fois ingénue et catin.
L'histoire nous permet d'assister à quelques jolis ébats en pleine campagne et la scène finale où une chasse à courre avec des participants coutumiers finie en orgie naturiste est particulièrement réussie. La seule séquence  très osée pour l'époque se situe au milieu du métrage : Lenna entraîne Karine dans un sauna gay où des homosexuels font l'amour en partouze. Cette scène assez glauque et graphiquement agressive pour des esprits étriqués a peut-être été une des causes des déboires qu'a connus le film par la suite. Ce n'est qu'une supposition...

L'Essayeuse, c'est Lenna interprétée par Emmanuelle Parèze. Jolie sans être sophistiquée, naturelle sans être vulgaire, aussi à l'aise dans les scènes dialoguées que dans les scènes chaudes, cette actrice réalise une excellente performance. Ses collègues de plateau sans être géniaux, sont aussi à la hauteur. Bref, ces acteurs sont de véritables comédiens et se situent à des années-lumière des vulgaires bimbos et étalons de bas étage qui s'affichent dans les films pornographiques actuels. Sans être aussi voluptueux que les classiques de Brigitte Lahaie, le film de Serge Korber fait étalage d'une certaine qualité esthétique au niveau des décors et des tenues vestimentaires des actrices.
Pour ne rien gâcher, Korber introduit (sans jeu de mot) quelques passages humoristiques qui maintiennent l'histoire dans une tonalité légère et décomplexée. Le seul bémol étant la très mauvaise qualité de l'image, repiquée d'une vieille vhs. Mais ne nous plaignons pas, c'est déjà un miracle que quelques bandes de ce film aient été retrouvées... 
Un film à découvrir pour les amateurs de raretés, de jolies femmes et d'érotisme intelligent. Certains extraits sont d'ailleurs à présent disponibles sur YouTube. Ça valait bien la peine de brûler ce film sur la place publique pour qu'il soit visible par tous quatre décennies plus tard ! Choquant L'Essayeuse ? Pas le moins du monde.
Mais pourquoi diable la censure s'est-elle  acharnée sur ce film ? Il en fallait un qui paie pour tous les autres. Ce fut lui. Au nom d'un retour de morale aussi brutal qu'inattendu, L'Essayeuse créa un scandale sous la France de Giscard. Triste ironie quand on sait qu'il s'agit certainement de la période la plus libérée au niveau des moeurs que le pays ait jamais connue...

Note : 13.5/20

tumbling doll Inthemoodforgore