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Genre : inclassable, expérimental, trash, extrême (interdit aux - 18 ans)
Année : 2017
Durée : 1h17 

Synopsis : Et si la mort n'était pas ce repos éternel auquel nous aspirons tous ? Si, au contraire, elle ne constituait qu'en un châtiment perpétuel qui condamnerait l'homme à être confronté aux pires terreurs qui l'ont hanté durant sa vie terrestre ? La vie est un long moment de souffrance. La mort est bien pire. Bienvenue dans Flesh Of The Void...

La critique :

"Certaines personnes pensent que la mort se présente comme un passage paisible vers un monde meilleur. Elles pensent que c'est pénétrer dans une douce lumière et laisser sa vie derrière soi dans un bref moment de soulagement. Et si ces gens-là avaient tort ? Et si la mort n'était qu'un voyage éternel dans une agonie implacable, vous confrontant avec tout ce que vous n'avez jamais craint, détesté, tout ce qui vous a dégoûté et profondément révolté durant votre existence terrestre ? Et si la mort n'était qu'un voyage sans fin au coeur de vos phobies les plus primitives parmi la saleté, la souffrance et la peur ? Flesh Of The Void essaie de représenter visuellement cette réalité cauchemardesque. Oubliez vos espoirs et vos rêves. Brûlez votre bible. Maintenant, le néant est votre seul dieu". 
Voilà pour le pitch glacial édité par Blacklava. Le label austro-germanique a, une fois de plus, eu le nez creux pour sortir le dvd du film le plus attendu depuis des lustres par les amateurs de cinéma extrême. Et le voilà enfin, LE film événement qui a enflammé les imaginations depuis près d'un an avec son trailer mystique et scandaleux abondamment commenté sur Internet. Oui, le voici enfin qui débarque sur Cinéma Choc, le fameux et déjà ultra culte Flesh Of The Void.

Alors le film de James Quinn mérite-t-il vraiment sa réputation ? Réponse dans les lignes à venir. Tout d'abord, qui est James Quinn ? Tout simplement, un nouveau réalisateur underground qui a su s'entourer d'une équipe et a monté sa propre boîte de production, Sodom & Chimera. À l'instar de Fred Vogel (Toetag), Brian Paulin (Morbid Vision Films) ou encore Marco Malattia (VLF Laboratories), Quinn se produit lui-même. Et avec bonheur. En effet, Flesh Of The Void n'est que l'arbre qui cache une forêt de films que le cinéaste a réalisé depuis deux ans à peine. Parmi cette liste non exhaustive, nous pouvons citer nombre de courts-métrages tels The Law Of Sodom, Temple Of Lilith, Trinity Of Decay ou Sulphur For Leviathan. L'univers visuel de Quinn est identique d'un film à l'autre. Dès les premières images, on sait qu'il s'agit d'une oeuvre du prodige autrichien.
Des images tournées en super 8 ou en 16mm sale, usé, crépitant. Un format idéal pour retranscrire le monde terrifiant que dépeint James Quinn dans ses films. Adolescent reconnu schizophrène, le réalisateur a transformé cette anomalie de personnalité en force artistique. Son plus fameux court-métrage, The Law Of Sodom (qui aura bientôt droit, lui aussi, à sa chronique), décrit d'ailleurs ce monde déformé par le prisme de la paranoïa et de la bipolarité.

 

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Le cinéma de James Quinn est fait de vibrations, d'images chocs et blasphématoires, de ressentis poisseux où l'être humain, soumis à une géhenne sans fin, erre dans un monde cauchemardesque. Présenté par de nombreux observateurs comme le nouveau Begotten, Flesh Of The Void part pourtant du postulat inverse au film d'Elias Mehrige. Begotten tentait de mettre en forme la naissance d'un monde nouveau enfanté dans la souffrance, déchiqueté par des démons et des forces impures. Ce n'est qu'une tentative de déchiffrage parmi d'autres de ce film expérimental qui reste à ce jour l'un des plus gros OFNI de l'histoire du cinéma. Flesh Of The Void est sur ce point moins complexe à décrypter. Son hypothèse initiale débute après la vie terrestre. James Quinn met en abîme le questionnement qui terrifie l'homme depuis les temps ancestraux : qu'advient-il après la mort ? Y-a-t-il une autre vie ? Une autre dimension de la conscience ? Chaque religion apporte sa propre réponse et pour l'immense majorité d'entre elles, celle-ci est positive. Mais chacune d'entre elle établit les bases bien définies de son dogme selon le mérite et l'exemplarité d'un individu au cours de son existence.
Le principe de la carotte et du bâton est de toute façon quasiment toujours appliqué. L'équation est simple : l'homme a fait le bien : il sera récompensé dans l'au-delà. Il a fait le mal, il sera puni. Par la suite, tout n'est plus question que des fondamentaux propres à chaque religion. Là où l'idée de James Quinn est terrifiante, c'est qu'elle ne laisse aucune chance de rédemption à l'être humain.

Quelle qu'ait été sa manière de vivre ; qu'il ait eu une existence exemplaire ou qu'il ait mené une vie de débauche, le résultat sera le même : une souffrance sans fin. Des tourments inextinguibles où l'âme (et le corps) du défunt n'aura aucun recours, aucune issue, aucune possibilité d'entrevoir le repos. Bien au contraire, le mort sera accablé l'éternité durant par ses peurs les plus profondes, par ses hantises les plus exacerbées, par ses répulsions les plus primitives. Rien que d'écrire ces mots est une sensation terrifiante. Assister à cette affliction mystico-charnelle sur grand écran est une expérience unique. Flesh Of The Void n'est pas un film qui retranscrit le cauchemar indicible d'un enfer ; c'est l'enfer lui-même qui s'est invité sur la pellicule d'un réalisateur en proie aux pires tourments existentiels. 
Attention spoilers : Le film est composé en cinq segments mais il n'y a aucune grande différence entre eux puisque le métrage ne  s'inscrit pas dans une histoire scénarisée mais dans une suite continue de scènes indépendantes les unes des autres. Les segments sont les suivants : Prelude - Silence, Act I - War, Act II - Blood, Interlude - Agony, Act III - Ecstasy et Epilogue - Void.

 

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Le film débute par des voix-off d'un individu qui décrit ses sensations lorsqu'il rend son dernier souffle. Incrédule d'abord, il se rend compte qu'il est bel et bien mort. Arrivent alors les premiers plans et de suite, le spectateur est plongé dans une atmosphère malsaine et surréaliste. Un monde désert nous est présenté, où des usines désaffectées et des cabanes abandonnées sont plantées au beau milieu d'une nature qui semble avoir colonisé toute autre trace de civilisation. L'image en Super 8 est très dégradée, saccadée, saturée de lignes blanchâtres, parfois tournée au ralenti, le noir et blanc délavé annoncent clairement la couleur (enfin, si l'on peut dire !): nous allons assister à un très gros morceau de cinéma expérimental. On ne sera pas déçus... Une voix de gamine gémit : "Where is my mommy ? I wanna see my mommy !" ; un homme, la voix déformée par un vocodeur, gémit lui aussi : "Daddy, please don't hurt me ! I don't wanna die !". Et la déferlante de scènes chocs peut commencer.
Des êtres masqués et cagoulés divaguent sans but dans la nature. Devant l'entrée d'une cave, devant les grilles d'une maison en ruine, des hurlements s'élèvent : l'âme en errance sait qu'elle va être confrontée à sa pire hantise ; voilà sa punition. On découvre avec effroi un cadavre d'enfant découpé à la scie baignant dans un landau de sang.

Parmi les aspérités granuleuses de l'image, on devine un pénis transpercé d'aiguilles. La première demi-heure, qui constitue les deux premiers segments, est de loin la plus expérimentale. Il est parfois extrêmement difficile d'entrevoir ce qui se passe à l'écran tant la pellicule a été (volontairement) raclée et brûlée à certains moments. Avec Act II Blood, le métrage bascule dans le scabreux le plus trash et l'atteinte sans détour au politiquement correct. En effet, si le film ne peut pas être catalogué comme pornographique, il n'en demeure pas moins que les actes sexuellement explicites sont assez nombreux. Ainsi, un homme au crâne à moitié arraché en viole un autre au détour d'un bois.
Si on ne voit pas de véritable pénétration, l'agresseur, une fois son forfait terminé, se masturbe jusqu'à éjaculation. 
Autre joyeuseté : un homme se fait vomir et régurgite trois sexes qu'il aligne comme autant de trophées... Une des séquences les plus choquantes du film reste sans aucun doute celle où un invalide parkinsonien, coincé sur un fauteuil roulant, se fait lécher le moignon de sa jambe amputée avant de subir une fellation par un homme cagoulé qui rampe au sol dans une position d'esclave SM. Bien dérangeante, cette scène...

 

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Après un interlude assez plat et sans relief, le métrage devient moins épileptique et plus lisible. Act III Ecstasy voit le bref passage à la couleur. Une couleur fade virant au sépia qui n'est pas sans rappeler quelque peu le style de Marian Dora. Ce troisième segment constitue incontestablement le point culminant du film dans sa plus provocation la plus radicale et sa dénonciation anticléricale la plus virulente. Deux scènes peuvent traumatiser les spectateurs catholiques ou tout simplement sensibles. La première présente une nonne se servant d'un crucifix pour se ramoner le vagin qui, une fois l'acte terminé, laissera tomber la croix de bois toute ensanglantée de ses menstruations.
Quant à l'autre, elle mérite sans doute de figurer au "palmarès" des scènes les plus scandaleuses de l'histoire du cinéma. Un prêtre portant un masque blanc s'allonge contre un tronc d'arbre et se masturbe devant une photo. Peu à peu, la caméra s'approche de cette image et le spectateur effaré découvre qu'il s'agit du portrait d'un bébé de deux ans tout au plus. Le prêtre commettra l'irréparable en souillant le papier glacé de son sperme qui s'étale sur la représentation du visage de l'enfant. Condamnation évidente de la pédophilie rampante qui gangrène les milieux ecclésiastiques, cet acte infâme même pratiquée pour les besoins d'une oeuvre de fiction, possède en lui tant de dépravation blasphématoire qu'il crée un malaise indescriptible pour le spectateur. 

Curieusement, le film s'achèvera sur un épilogue tout en douceur avec des plans superbes d'un ciel parsemé de gros nuages qui esquissent des formes fantasmagoriques aux couleurs hallucinantes de beauté.
Avec Flesh Of The Void, James Quinn signe le film expérimental ultime. Une de ces oeuvres qui marque à jamais la mémoire de ceux qui l'ont visionnée. Rarement, on aura vu un objet filmique d'une telle puissance dévastatrice et d'une telle transgression dans ses symboliques. Au centre de son propos, Quinn démolit la religion avec son cortège de représentants et de dogmes. Et comme en cette période de retour à l'obscurantisme et aux replis communautaires, on ne peut ni toucher au judaïsme et encore moins à l'islam sous peine d'être victime d'une fatwa publique, c'est le christianisme qui va faire les frais du courroux du cinéaste. Et on peut dire qu'il ne va pas y aller de main morte pour agresser le spectateur par des images toutes plus outrageantes les unes que les autres.
L'enfer, s'il existe, ne peut être que spirituel, donc impossible à représenter pour l'oeil humain. Pour rendre cet endroit terrifiant aussi tangible que possible devant sa caméra, le réalisateur autrichien transpose sa représentation infernale dans le monde terrestre. Terrestre certes, mais un monde de désolation où tout n'est que grisaille et solitude. Seules persistent une nature triste et des usines au loin, qui crachent une fumée noire dans un ciel assombri.

 

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Seraient-ce les âmes des damnés qui se consument dans ces grandes cheminées ? Ici, les maudits voués au châtiment éternel déambulent torturés par leurs remords, dévorés par l'incertitude de leur sort. L'ambiance complètement nébuleuse du film fait évoluer le spectateur dans une dimension parallèle, une sorte de voyage irréel dans un univers abscons. Sur ce point, la similitude avec Begotten est effectivement frappante. Pour le reste, Flesh Of The Void va beaucoup plus loin dans l'agression visuelle que son lointain ancêtre. Dans sa conception métaphorique, Quinn imagine des êtres fantomatiques portant des masques, puisqu'ils ont perdu toute identité par leur trépas, errant sans but dans une lande brumeuse et des forêts menaçantes. Ils sont là, pétrifiés de terreur à constater leur déchéance et plutôt que s'entraider pour soulager un peu le joug de leur punition commune, ils s'agressent à la moindre occasion et s'entretuent sauvagement tels des bêtes, des démons qu'ils sont devenus. 
Le réalisateur se représente l'après mort comme un supplice sans fin où tout n'est que sang, terreur et souffrance. Quinn fait étalage de tout un arsenal de symboles dont regorge la culture populaire pour nous présenter un Au-Delà apocalyptique à souhait. Des cadavres d'animaux en décomposition jonchant le sol, une femme aux seins nus avec une faux parcourant une forêt dans la nuit noire, une créature démoniaque avec un crâne de bouc greffé sur le visage ; certains verront des poncifs faciles pour représenter l'enfer.

Certes, mais la façon dont le jeune cinéaste les met en scène fait froid dans le dos. Aux images savamment travaillées dans leur dématérialisation qui lui donnent un côté "cassette maudite de The Ring", s'ajoutent des effets spéciaux de tout premier ordre signés James Bell (dont nous reparlerons bientôt) et une musique qui foutrait les jetons à un croquemort, Flesh Of The Void est le type même de film à ne pas regarder seul dans le noir, si vous êtes un tant soit peu impressionnable car ce méga ovni filmique ferait passer les soi-disant traumatisants Get Out ou Ça pour des comédies musicales. Il est d'ailleurs inutile de les comparer tant ces films n'évoluent pas du tout dans la même dimension.
Très proche (mais en beaucoup plus hard) des oeuvres blasphématoires de l'ICPCE, l'univers de Flesh Of The Void navigue entre mysticisme opaque et martyre charnel. 
Bardé de récompenses et couronné de prix (12 au total !) dans tous les festivals dans lesquels il a été présenté, le film de James Quinn a fait sensation et raflé la mise partout où il est passé. Toronto, Melbourne, Berlin, Cincinnati, autant de villes où il a déclenché un enthousiasme général auprès des publics amateurs d'oeuvres extrêmes et underground. On ne peut que leur donner raison.
Pour tout vous dire, j'avais très peur d'être déçu par cette oeuvre portée aux nues depuis un an par la critique spécialisée. À trop attendre d'un film sans cesse encensé, on est souvent déçu par la suite. Mais force est de reconnaitre que cette fois-ci, un film de genre fait vraiment honneur à sa réputation et la justifie pleinement. Atroce et exceptionnel, Flesh Of The Void confirme avec brio l'immense potentiel de son réalisateur. Le cinéma extrême européen avait un roi, Marian Dora. Il a désormais un petit prince nommé James Quinn qui après une telle réussite, sera le principal artiste underground à suivre dans les prochaines années. En attendant, il nous a balancé dans les gencives LE film cauchemar de la décennie...

Note : 18,5/20

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