Genre : Thriller, drame (interdit aux - 12 ans)
Année : 2005
Durée : 2h05
Synopsis :
Bénédicte et Alain Getty, jeune et brillant ingénieur en domotique, récemment installés dans une nouvelle ville, reçoivent à dîner le patron d'Alain, Richard Pollock, et son épouse Alice. Cette rencontre ne sera pas sans conséquences sur l'harmonie du jeune couple. La découverte du cadavre d'un mystérieux rongeur dans l'évacuation bouchée de leur évier n'arrange pas les choses et annonce l'irruption de l'irrationnel dans ce qui était jusqu'alors une vie bien rangée.
La critique :
Toujours la même antienne, le cinéma français se montre de plus en plus dénigré à notre époque, et même les cinéphiles commencent à se rendre d'un problème de plus en plus alarmant. Le cinéma français est en crise et c'est un fait qui n'est plus à démontrer. Trop de réticences face à l'audace et l'originalité, un ratio films financés/flop bien trop important, des acteurs surpayés pour une prestation au ras des pâquerettes. Nombre de projets intéressants ne voient pas le jour et pour les amateurs de films fantastique, de thrillers et même de films d'horreur (ne parlons même pas du cinéma trash), la France est une toundra sibérienne en terme d'offres valables.
Certains réalisateurs tentent de bouleverser les règles de bienséance mais se heurtent souvent à l'hostilité médiatique de critiques à la ramasse faites par des grosses têtes sur de tout petits corps. On passera outre la publicité inexistante sur ce type de métrage. Assurément, parmi ces cinéastes, on retrouve Dominik Moll qui n'est pas un inconnu des cinéphiles. Peu prolifique, il a surtout réussi à se faire connaître grâce au thriller, devenu culte, Harry, un ami qui vous veut du bien. Un métrage aux 4 Césars, au succès énorme tant en France qu'aux USA, mais qui parvint à diviser certains.
Cette pellicule lui permit de poser les bases de ce qui sera son prochain long-métrage. Prochain qui fera l'objet de cette chronique et portant le nom énigmatique de Lemming. Un film qui fut présenté en compétition à Cannes. Quésaco ? Petit cours de zoologie : le lemming est un nom désignant différents petits rongeurs vivant généralement dans les régions arctiques. L'espèce la plus connue en Europe est le lemming des toundras de Norvège qui, je le rappelle, se situe en Scandinavie. Au moment de sa sortie, comme Harry juste avant, Lemming divise les foules avec, d'un côté certaines critiques adulant et d'autres critiques plus virulentes. Inutile d'être de mauvaise foi car ce n'est pas parce qu'un film français est tout de suite un thriller qu'il en devient bon.
Le très moyen Dans Ma Peau et le navet Alléluia en sont de brillants exemples. Pourra-t-on dire que Lemming s'inscrit dans le droit sillage de Harry, un ami qui vous veut du bien ?
ATTENTION SPOILERS : Alain Getty, brillant ingénieur en domotique, s'est récemment installé dans une nouvelle ville avec son épouse, Bénédicte. Ce soir, le jeune couple reçoit à dîner le nouveau patron d'Alain, Richard Pollock, et son épouse Alice. Les Pollock arrivent en retard et rapidement, la soirée tourne à l'aigre. Alice jette un verre de vin au visage de Richard, Alain et Bénédicte découvrent que leur évier est bouché. Au milieu de la nuit, Alain, pris d'une insomnie, décide de déboucher l'évier. De la canalisation, il remonte le cadavre d'un lemming, un petit rongeur scandinave.
Brusquement, à la faveur de cette étrange découverte, l'irrationnel fait irruption dans la vie bien rangée d'Alain et Bénédicte.
Un nom intriguant pour un synopsis tout aussi intriguant. Et pourtant ça marche ! Si l'on est un tant soit peu curieux, nul doute que le résumé va tout de suite attirer notre attention et déboucher sur un visionnage imminent. Le postulat de départ est simple. Alain Getty est un ingénieur intègre, brillant et apprécié de son patron dont il est un peu le protégé. Celui-ci est marié à une charmante épouse, habite une jolie villa dans un petit lotissement du sud de la France. La vie conformiste rêvée par excellence ! Il ne manque plus que les deux chiards, le chien et le monospace Renault pour renforcer le cliché. Ce couple sans histoire et visiblement épanoui va avoir l'honneur d'inviter le patron du mari pour un petit dîner de courtoisie mais les choses tourneront mal.
Sa femme, Alice, vitupérera son mari à table en lui demandant si l'appel qu'il a reçu était l'une de ses putes. On a connu plus raffiné comme repas. Par la même occasion, Alain ne parvenant pas à trouver le sommeil durant la nuit, retourne à l'évier préalablement bouché peu avant le repas. Objectif débouchage réussi pour y extraire un rongeur insolite dont l'espèce n'est présente qu'en Scandinavie. Cet événement pour le moins insolite sera ce démarrage qui plongera ce couple banal dans l'irrationnel, le grotesque et même le surnaturel. Un peu à la manière de Sitcom de François Ozon, le rongeur va entraîner dans son sillage une déstructuration des liens sociaux.
De fait, la ténacité du couple va être mise à rude épreuve par les germes d'une histoire extraordinaire se mettant en place et dont Alice, la femme du patron, en sera un catalyseur essentiel. Moll oppose deux couples antagonistes, l'un plus obscur, pervers et déshumanisé, l'autre plus sage, conventionnel et respectueux. De manière cocasse, le couple plus âgé sera justement associé à la perte des valeurs du lien sacré du mariage, du respect du conjoint, tandis que le couple jeune inscrira ses règles morales dans un carcan rigide d'éthique du bien-être et du respect de l'autre. Plutôt marrant quand on voit, à l'heure actuelle, la destruction des rapports sentimentaux chez les nouvelles générations, loin du sérieux et de l'intégrité des anciennes générations (sans en faire une généralité absolue, bien sûr). Alice exècre son mari et va tenter de séduire Alain au travail qui parviendra à se ressaisir, nonobstant quelques innocents plaisirs buccaux. Peu après, Alice, prise d'une crise de démence après s'être ramené au domicile du couple pour y faire un somme, se suicide d'une balle dans la tête.
Parallèlement, le vétérinaire et son neveu mèneront une enquête pour connaître l'origine du lemming. Le récit prendra des proportions tout aussi grotesques, amplifiant cette situation insolite que Alain ne parvient pas à gérer. Alain qui est justement représenté comme un homme équilibré, rationnel et ayant le contrôle de son destin. Alain, c'est est ce Monsieur Tout le Monde perdant le contrôle de la situation et cherchant à retourner à sa situation de tranquillité d'avant.
Lemming n'est pas sans se parer d'une certaine dimension métaphorique marquant un certain parcours initiatique véhiculé par la reprise du contrôle du destin d'un homme dépassé par les événements. Il est aussi ce manifeste bouleversant le conformisme sentimental autodestructeur d'un petit couple à la vie millimétrée et sans saveur. Sauf qu'à la différence d'un traitement trop standardisé, Moll va s'amuser d'intégrer une dimension fantastique subtile qui ne marquera pas une réelle rupture de ton, tombant comme un cheveu dans la soupe.
Elle sera justement un astucieux prolongement du récit tout en s'éloignant des clichés un peu trop revus du cinéma fantastique tel que nous ne nous le représentons. Malin, elle coïncidera intelligemment avec la réalité dans une synergie sans quelconque contraste percutant. La situation semble réelle mais quelque chose d'inexplicable semble flotter dans ce monde grotesque. Qu'on le veuille ou non, Moll s'approprie de manière très personnelle le genre en lui offrant une identité propre plus axée sur la perte de contrôle de l'environnement de Alain. Un certain style inclassable en ressort et c'est à ce niveau que la pellicule divisera les foules.
Seulement, quand nous connaissons un peu le cinéaste, on se rend vite bien compte que le fantastique ne s'inscrira pas sous un aspect jubilatoire mais s'ancrera dans l'étrange et le glauque. Lemming privilégie la noirceur de l'âme et s'interdit toute seconde propre à faire sourire le spectateur. Une atmosphère oppressante, lugubre, limite maléfique parvient à malmener quelque peu le spectateur aux prises avec un malaise environnant bien perceptible. La scène du repas en est un brillant exemple mais elle est loin d'être la seule. L'apparition d'une Alice fantomatique jouera aussi pour beaucoup, de même que certaines séquences plongées dans les ténèbres les plus totales d'une maison que le Diable lui-même semble s'en être emparé. L'exercice de style pourra faire penser au seul et unique David Lynch. Seulement, voilà, autant vous dire que Dominik Moll n'est pas cette légende du surréalisme.
Si nous ne sommes pas réfractaire à la mise en scène à la française, dites vous bien que Lemming ne suscitera guère d'ennui, même si l'on pourra pester contre une durée un peu longue pour ce que le film a à raconter. Pour les autres, l'expérience pourra être plus laborieuse pour garder son attention en éveil constant. La mise en scène est très posée tout en maniant admirablement bien les moments de tension et de malaise assez nombreux au passage, sans atteindre le trait constant de Harry, un ami qui vous veut du bien. Certains la trouveront apathiques mais je ne partage pas cet avis. Le gros problème à mes yeux est que Moll a su bien gérer les 3/4 de son récit mais a fini par un peu se perdre dans la tournure du scénario en détruisant la sphère fantastique pour revenir sur du pur rationnel à la fin sur l'origine du rongeur. Le mystère est détruit. L'absurde n'est plus. C'est rageant de s'engouffrer dans la dernière partie sur du conventionnel.
De même, on pourra se montrer désappointé par quelques incohérences notables dans les réactions des personnages. Charlotte Gainsbourg est surtout ciblée par sa mollesse et sa soumission comme quand elle acceptera de servir le café et de laisser dormir Alice qui lui a pourtant dit qu'elle avait essayé de coucher avec son mari. Pas sûr que le commun des femmes lui laisserait leur maison comme hôtel. Quid du désintérêt total dans la confrontation finale entre Alain et son patron ? Et pourquoi le vétérinaire, ni même le zoologiste ne se demandent comment un lemming a pu survivre plusieurs heures dans une canalisation bouchée par l'eau ? Il y a des petits détails comme ça qui font tiquer et empêchent Lemming de convaincre définitivement le spectateur.
Pour ce qui est du restant du casting, les choses sont un peu mieux avec un Laurent Lucas toujours aussi attachant, un André Dussolier impeccable en salaud de service et une Charlotte Rampling que n'aurait pas renié Lynch dans son jeu d'acteur inquiétant. Au niveau esthétique, rien de particulier à dire. Le tout est tout à fait sommaire et sans surprise, sans que la caméra, les cadrages et les plans ne soient désagréables. La bande sonore est de qualité certaine avec David Sinclair Withaker derrière, ce qui n'est pas rien. Quelques apparitions de musique classique seront au rendez-vous.
En conclusion, Lemming est un thriller bien étrange, ne semblant guère posséder d'équivalent au niveau du cinéma français. Partant d'un postulat de base simple, Moll fait preuve d'une complète originalité en intégrant un rongeur inexistant en France qui sera ce signe avant-coureur de l'étrangeté qui s'annonce. Jugulant de manière adroite le réalisme et le surréalisme, le cinéaste brouille les repères de réalité, multiplie les clins d'oeil à l'épouvante par sa dimension oppressante et malsaine, nargue en jouant sur l'obscurité. Autant dire que Lemming navigue un petit peu sur la frontière de l'inclassable et de l'expérimental. Cependant, malgré toutes ses bonnes intentions, le long-métrage se pare de plusieurs défauts rébarbatifs : incohérences grotesques, tension souvent présente mais moindre que dans Harry, une Charlotte Gainsbourg que l'on a envie de gifler et une fin insipide.
Moll lui-même dira "L'important est de ne pas laisser le spectateur en plan à la fin, il doit pouvoir retomber sur ses pieds, et retrouver à des moments précis toute la logique de l'histoire". Certes, mais nous ne sommes pas dans le cas d'un film fantastique classique mais bien dans un film fantastique aux tendances expérimentales. Vouloir retourner à la logique la plus rationnelle possible est risible et particulièrement mal amenée, qui plus est ! Surtout quand la sphère fantastique a su être brillamment intégrée sans bousculer l'ordre établi. Désordonner à ce point la continuité du récit était une très grave erreur de jugement.
Mais quoi qu'il en soit, Lemming peut être recommandé comme un exemple de film français qui a au moins les couilles de tenter des trucs, d'apporter une touche de fraîcheur. Et tout cela est suffisamment trop rare que pour ne pas être mentionné. Loin de la qualité de Harry, restant définitivement le chef d'oeuvre absolu du réalisateur, on tient un cru au budget indécent de 5,33 millions d'euros qui mérite d'avoir un coup d'oeil jeté sur lui sans toutefois s'extasier devant. A l'orée d'un cinéma français en crise, il est nécessaire, à mes yeux, de mettre en valeur tout film un minimum en dehors des limites étroites et bétonnées d'un 7ème art français qui ne croit plus en ce qu'il fait. Il est indispensable d'offrir aux cinéphiles tout comme aux profanes un regard différent sur un cinéma différent qui ne suscite que peu de publicités. Il est aussi capital que le grand public change sa façon de percevoir le cinéma et parvienne à ouvrir son esprit, parvienne à laisser une chance à ce type de cinéma.
Le manque de curiosité est l'un des plus gros défauts de notre société actuelle et c'est un fait que je revendiquerai haut et fort, même enchaîné. Bref ! Adeptes de zoologie, je vous invite à vous renseigner sur cette petite bête à la réputation anciennement macabre.
Note : 13/20