Genre : fake documentary, drame, inclassable (interdit aux - 16 ans en version intégrale)
Année : 1974
Durée : 38/44 minutes (versions censurées)
1h05 (version intégrale)
Synopsis : Pour prévenir des dangers de l'auto-stop au début des années 70, le réalisateur anglais Ken Rowles décide de mettre en scène, sous la forme d'un faux documentaire, les mésaventures de plusieurs jeunes femmes qui ont eu le malheur de croiser la route d'automobilistes mal intentionnés.
La critique :
Au tout début des années 70, de nombreuses autoroutes ont été construites en Grande Bretagne. Comme partout dans le monde, c'est l'époque de la voiture reine, de l'individualisme à tout crin et de la liberté des moeurs. Les garçons ont les cheveux longs et les filles, des jupes courtes. Un peu trop courtes d'ailleurs puisque cette libération sexuelle s'est accompagnée d'accidents, voire de crimes qui ont bouleversé le Royaume Uni. En effet, durant les premières années de la décennie hippie, plusieurs jeunes femmes qui faisaient de l'auto-stop ont été violées et sauvagement assassinées sur des aires d'autoroutes anglaises. Le réalisateur Ken Rowles s'inspira directement de ces faits divers pour débuter une série télévisée, intitulée Go Go Girl en 1972, qui aurait eu pour objet de prévenir les jeunes femmes du danger qu'elles courraient en faisant du stop. "Je désirais tourner un film d'information publique sur les périls de l'auto-stop et du fait que monter dans la voiture d'un étranger était un acte risqué" déclara-t-il plus tard. Mais la série ne verra jamais le jour. Rowles n'abandonne pas cependant le thème de l'auto-stop et tourne un premier projet pilote Give Merci A Ring Sometimes.
Encouragé par le distributeur de la société de production Hammer House, Davy Grant, le réalisateur décida de concrétiser son premier essai par un métrage de cinéma. Rowles affirme avoir été inspiré par Cathy Come Home, un téléfilm de 1966 signé Ken Loach qui dénonçait les problèmes sociétaux bien particuliers du chômage et de la pauvreté.
On veut bien le croire sur parole mais son style cinématographique n'a vraiment rien à voir avec celui de son illustre compatriote. Et ce n'est guère lui faire injure en précisant que Ken Rowles fut plus un tâcheron besogneux qu'un grand metteur en scène. Qui dans sa vie a, avant aujourd'hui, entendu parler de Take An Easy Ride ? Peu d'entre nous, il faut bien l'avouer. Voué à sa sortie en 1974 à l'anonymat le plus complet hormis à l'intérieur de ses frontières, ce film connaît pourtant depuis sa sortie dvd, une certaine curiosité et un début de notoriété dans le petit monde du cinéma underground. Cet intérêt est-il mérité pour autant ? Rien n'est moins sûr.
Une idée de ce à quoi peut ressembler cet objet filmique indéfini ? Prenez une ambiance seventies à outrance (hippies, sexe, drogues et rock'n'roll), filmez avec du 16mm pour accentuer le côté authentique, ajoutez des scènes de viols, de lesbianisme, de la nudité à profusion et quelques crimes gratuits ou crapuleux, et vous obtenez un résultat pour le moins surprenant à mi-chemin entre le documentaire sur Woodstock (1969) et La Dernière Maison Sur La Gauche de Wes Craven (1972).
Sous couvert d'un message (auto-proclamé) d'utilité publique d'avertissement sur les dangers de l'auto-stop, Ken Rowles nous sert un remarquable spécimen de pur film d'exploitation made in England où aucun poncif n'est épargné aux spectateurs. L'esprit du Swinging London et du Festival de l'Île de Wight (1970) était encore très présent lors du tournage du film. Les moeurs restaient délibérément libertaires et dans l'air, flottait une atmosphère d'insouciance et de jouissance de l'instant présent. Quant aux jeunes anglaises délurées de cette période, elles ne pensaient qu'à fumer des pétards, à s'envoyer en l'air et à s'amuser tout en écoutant de la musique rock.
Take An Easy Ride est de ce point, un témoignage sociologique et symptomatique de cette époque définitivement révolue. Attention spoilers : Le film débute sous un pur aspect documentaire. Promenant sa caméra dans les rues de Londres, le réalisateur interviewe plusieurs personnes de différentes nationalités en les questionnant sur les pratiques de l'auto-stop dans leurs pays respectifs.
Puis, l'histoire s'attache à nous présenter plusieurs groupes de jeunes femmes, toutes tentées par ce moyen gratuit de locomotion. Certaines pour se rendre à un festival musical, d'autres pour rejoindre leur domicile, d'autres encore par seul goût de l'aventure. Mais entre les rencontres avec un vieux routier libidineux, un riche couple libertin et un maniaque sexuel, les adolescentes post-pubères un peu trop confiantes, vont aller au-devant du vice, de l'horreur et pour certaines, de la mort. Take An Easy Ride, que certains sites taxent de pornographique, n'est en fait rien qu'un "fake documentary" teinté d'une touche d'érotisme. Rien de scabreux même dans sa version intégrale, inédite jusqu'il y a peu.
Ce film n'est rien moins qu'un pur produit de sexploitation comme il en pullulaient dans les années 70/80. Jess Franco, Russ Meyer ou encore Joe d'Amato étaient les maîtres incontestés de ce genre cinématographique putassier qui ne s'embarrassait guère de fioritures dans les outrances. Un genre dont, de l'autre côté de l'Atlantique, les productions Troma s'étaient fait la spécialité par un étalage de mauvais goût légendaire, délivrant généreusement le quota requis de gore, de gros seins et d'amateurisme.
Là où Ken Rowles a essayé de se démarquer de ses "glorieux" congénères, c'est qu'il prend le parti de présenter un film sérieux. Pédagogique même. Un film d'utilité publique selon lui qui, suite à divers viols et crimes de jeunes auto-stoppeuses lors de l'instauration des premières autoroutes anglaises, aurait mis en garde les intéressées sur les dangers de cette pratique hasardeuse de déplacement. Il met donc en scène une oeuvre hybride entre le faux documentaire et le film de fiction. Mais force est de constater que la mayonnaise a bien du mal à prendre.
La faute, principalement, à un manque de talent flagrant de la part du réalisateur et de ses interprètes qui ne livrent pas une prestation inoubliable. Certes, le film se laisse regarder d'un ennui poli, mais nous sommes très loin de ressentir un quelconque intérêt pour le sort de ces jeunes effrontées qui défient l'autorité parentale et qui veulent s'affranchir de toutes règles moralisatrices. Rebelles d'accord, mais surtout inconscientes. Bien sûr, ces comportements à risque étaient monnaie courante dans les seventies où la transgression était devenue une sorte de deuxième mode de vie. Une autre manière d'affirmer sa liberté en brisant les tabous et en cassant les codes rigides de la génération précédente.
Beaucoup de jeunes n'ont d'ailleurs pas survécu aux excès en tous genres qui ont accompagné cette décennie. Et ce n'étaient pas tous des stars du rock appartenant au fameux Club des 27... Annoncé par certains commentaires sur la toile, comme une oeuvre ultraviolente, Take An Easy Ride est là aussi, sujet à déception. À part un viol suggéré et deux crimes peu sanglants, le spectateur féru d'artifices horrifiques restera sur sa faim. Il semblerait bien que la réputation du film soit un fantasme résultant de sa rareté et donc du nombre infinitésimal de personnes qui l'ont visionné. Pourtant, le film a connu son heure de gloire à sa sortie il y a quarante-quatre ans de cela, puisqu'il est resté à l'affiche pendant 48 semaines au célèbre cinéma "Le Pigalle", situé au non moins célèbre carrefour londonien, Picadilly Circus. Puis, il disparut des radars durant plusieurs décennies.
Il retrouvera une nouvelle vie en 2010 lorsque les productions Odeon Entertainement ressortirent le film des tiroirs poussiéreux dans lequel il végétait, en présentant enfin le dvd de la version intégrale de 65 minutes, totalement remastérisée.
Avant cela, cette oeuvre obscure n'était disponible que sous la forme de court ou moyen-métrage d'une durée de 38 ou 44 minutes selon les versions. Quant au film en lui-même : ambiance seventies garantie. Cheveux longs, mini-jupes, jeans patte d'eph, cols pelle à tarte, et décapotables Triumph TR4 sont au programme. L'image granuleuse du film tourné en 16mm et les agressions de jeunes femmes se rendant à un festival font évidemment penser à La Dernière Maison Sur La Gauche, sorti deux ans auparavant. Mais c'est bien la seule similitude que l'on pourra trouver avec le film culte de Wes Craven. Beaucoup moins violent que ce dernier ; beaucoup moins choquant aussi, Take An Easy Ride se rattrape quelque peu sur la nudité et les ébats amoureux (lesbianisme, triolisme) immoraux.
Cela reste toutefois très soft et ferait presque sourire de nos jours. Reste à savoir ce que Ken Rowles a voulu démontrer avec ces scènes qui n'ont rien à voir avec le message initial qu'il était censé délivrer puisque la jeune fille "prise au piège" d'un riche couple libertin deviendra plus que consentante à leurs activités sexuelles.
Le seul passage qui se révèle un poil plus intéressant que l'ensemble du métrage est, de façon inattendue, lorsque les rôles sont inversés. Un duo de délinquantes juvéniles se sert de l'autostop pour charmer, détrousser et finalement tuer, un homme sympathique qui les avait accueillies dans sa voiture. Une séquence assez jouissive de perversité, mais c'est beaucoup trop léger pour rehausser la valeur d'un ensemble, somme toute, très passable. Au final, nous restons dubitatifs à la fois sur le concept de ce film et sur sa qualité cinématographique.
Il est d'ailleurs à noter qu'après avoir réalisé ce film à l'âge de vingt-neuf ans seulement, Rowles restera confiné à l'anonymat le plus complet sans plus jamais avoir proposé d'oeuvres notoires. Plus qu'un véritable film, Take An Easy Ride est à considérer comme un instantané d'une certaine époque où des images jaunies par le temps, ressurgit le souvenir lointain de la jeunesse des sexagénaires d'aujourd'hui. Une curiosité à voir une fois. Puis à oublier aussitôt.
Note : 09/20
Inthemoodforgore