Genre : inclassable, trash, hardcore, expérimental (interdit aux - 18 ans)
Année : 1992
Durée : 1h17
Synopsis : Le film consiste en une succession de scènes ou performances indépendantes les unes des autres, sans linéarité scénaristique précise. Dans une atmosphère science-fictionnelle expérimentale, le réalisateur Nick Zedd met en scène des personnages marginaux, déclassés ou surréalistes dans des situations de provocation extrême.
La critique :
En 2004, alors qu'il vient de perdre sa mère et que sa concubine et son associé l'aient viré comme un malpropre, Nick Zedd pousse un caddie rempli de bobines de ses films sur le pont de Williamsburg. Trop fauché pour prendre un taxi, il s'en va à pied en direction d'un night-club glauque du Lower East Side où le directeur l'a autorisé à projeter ses films. C'est comme cela qu'il survit : d'expédients et de boulots précaires. À la petite semaine. À quarante-six ans, Nick Zedd est désormais un loser. Un raté qui n'a jamais pu retrouver le punch de ses débuts qui l'avait transporté lors des deux décennies précédentes. Avec son look de punk à chien, avec ses cheveux orange coiffés en pétard, avec ses fringues pourries de vieux rocker qui s'habillerait à l'Armée du Salut, il n'a plus jamais concrétisé.
Son talent s'est évaporé dans les volutes de crack et de marijuana. Désormais, il fait pitié, il est fini. Et pourtant, à l'aube des années 80, Zedd était une légende dans le milieu du cinéma underground new-yorkais. Bien qu'il soit natif de Baltimore, la seule ville qui compte pour lui, c'est New York et plus encore, Manhattan. C'est son univers, sa respiration, le seul endroit au monde où sa puissance de création pouvait véritablement s'exprimer.
En 1985, il crée le terme "Cinéma de transgression" qui deviendra un mouvement regroupant plusieurs artistes indépendants comme son acolyte Richard Kern, leur muse commune Lynda Lunch ou encore Tessa Hughes Freeland et Lung Leg. En dehors de sa carrière de réalisateur, Zedd a participé en tant qu'acteur, à quelques films à très petit budget ou à des documentaires tels Llik Your Idols de son ami Richard Kern, en 2007. Il a également publié plusieurs manifestes dont le plus connu reste Underground Film Bulletin et a aussi écrit deux oeuvres autobiographiques. Un artiste touche-à-tout donc, qui vit son inspiration péricliter à toute vitesse en raison d'une vie beaucoup trop dissolue.
Sacré personnage que ce Nick Zedd ! Il n'a pas connu que des échecs dans sa carrière, bien au contraire. Celui que certains (dont lui-même, en toute mégalomanie) désignent comme le plus grand réalisateur underground au monde, a connu un très grand succès dans l'univers du cinéma transgressif. Et cela, dès l'âge de 21 ans, avec la sortie en 1979, de ce qui reste son film le plus connu à ce jour : They Eat Scum. Suivirent Geek Maggot Bingo (1983), Trust In Me (1984), Woregasm (1988) et le court-métrage outrancier I Shit On God (1990).
Véritables pamphlets contre l'ordre établi, la société de consommation et la moralité, ces films vindicatifs et contestataires s'inscrivent en droite ligne du courant de pensée anarchique qui guide l'artiste depuis son adolescence. Dieu est mort, le bien et le mal ne sont plus que des notions obsolètes ; puisque l'homme est condamné à disparaître, autant jouir au maximum de la vie sans s'embarrasser des carcans conventionnels, sans se préoccuper du lendemain. La philosophie punk selon son plus grand prophète : Nick Zedd... War Is A Menstrual Envy est certainement l'oeuvre la plus provocante et en même temps, la plus aboutie du cinéaste. Elle est celle de tous les excès, de toutes les folies visuelles. Interdit au Canada, en Australie et dans une trentaine d'autres pays, ce film totalement destroy et dégénéré contient, en lui, un chaos généralisé tant sur le fond que sur la forme.
C'est peu dire qu'il règne un bordel invraisemblable dans le cerveau du réalisateur, car il faut être cinglé pour sortir un film pareil. Cinglé ou révolté. De toute façon, Nick Zedd est les deux. War Is A Menstrual Envy est le produit emblématique d'une Amérique exsangue qui vomit son propre système, assoiffée d'un souffle libertaire qu'elle est prête à acquérir par tous les moyens. Un hurlement de rage...
Attention spoilers : Deux personnes couvertes de bandelettes telles des momies s'enlacent sur un sol d'une blancheur éclatante. Puis, un jeune homme se scarifie le torse à l'aide d'une lame de rasoir et inscrit le mot "War" sur son torse. S'ensuit le générique du début du film. On assiste à une longue séquence où une femme nue et cuissardée flotte sur un fond d'écran représentant un ciel bleu azur. Puis, l'écran incrusté se transmute en fonds marins. La femme peinturlurée évolue à présent, par dimensions interposées, dans un milieu aquatique où elle croise divers poissons et créatures jusqu'à ce qu'un poulpe apparaisse. Des tentacules en latex surgissent et entourent alors la femme qui commence à faire l'amour avec le céphalopode imaginaire. Puis, le film bifurque sur l'expérimentation la plus totale en alignant des scènes toutes plus improbables les unes que les autres.
Un gros biker tatoué se fait exploser la face au fusil à pompe dans un bar, des rats sont dévorés de l'intérieur par des insectes (la scène est filmée au super accéléré), des cadavres de bébés morts nés sont présentés dans des bocaux remplis de formol, des blessés de guerre aux visages monstrueux (les fameuses "gueules cassées) sont exposés sans concession, un soldat empale un nouveau-né à la baïonnette, des personnages étranges se livrent à des orgies macabres etc. Le film s'achèvera par une suture de rétine assez difficile à regarder.
Au début des années 90, l'illustre concitoyen de Zedd, John Waters, le prévint que persister dans le cinéma underground serait une grosse erreur. Le genre était passé de mode et tombait en désuétude. Waters lui-même, pourtant maitre-étalon de la catégorie, commençait à s'adapter à l'air du temps en tournant des films grand public. Mais Nick Zedd ne voulut rien entendre et continua ses oeuvres souterraines, transgressives et impécunieuses. Jusqu'au jour où son destin bascula : un casier judiciaire un peu trop chargé et une expropriation pour loyers impayés furent les éléments déclencheurs à son expatriation. Depuis 2011, il s'est installé à Mexico, refuge des renégats et des desperados.
War Is A Menstrual Envy est un énorme cri de désespoir, l'objet filmique d'un révolté. Zedd rebelle dans sa manière de vivre, l'est également dans sa façon de filmer. La transgression et la provocation sont les seuls exutoires qu'il connaisse. Choquer à tout prix pour faire bouger les mentalités, pour déstabiliser le conformisme d'une société sclérosée ; voilà le but que le cinéaste punk cherche à atteindre. Hélas, le manque de moyens l'a toujours condamné à un cinéma confidentiel et n'a jamais touché qu'un public restreint.
Devenu culte dans ce milieu underground, Nick Zedd s'est perdu peu à peu tandis que son alter ego Richard Kern bénéficiait d'une notoriété mondiale, acquise, il est vrai, grâce à ses immenses talents de photographe. War Is A Menstrual Envy est le point culminant de cette étrange carrière. Un film furieux réalisé par un furieux. Difficile d'appréhender une telle oeuvre sans éviter l'écueil du politiquement incorrect. Nick Zedd est très en colère et il se sert de son courroux pour cogner sur ses contemporains belliqueux. Il exècre ce besoin de sang et de violence que l'homme porte en lui depuis la nuit des temps. La guerre est une envie menstruelle, affirme-t-il, comme si cette nécessité viscérale de conflit était inscrite dans les gènes de l'homme en revenant périodiquement et de façon inexorable, comme les menstruations d'une femme. Aussi, il ne prend pas de pincettes pour accabler le spectateur d'images chocs en démonstration de son propos : bébé (un poupon, évidemment) empalé par la baïonnette d'un soldat, un Ayatollah prêchant en image subliminale, des chars, une explosion nucléaire, des visages défoncés par des blessures : la guerre dans toute son horreur. Le message pacifiste du réalisateur est donc très clair.
Comme quoi, Zedd a beau avoir une dégaine et des manières de bad boy, il n'en demeure pas moins un antimilitariste convaincu. Le film n'est ni plus ni moins qu'un gros doigt d'honneur à ses compatriotes. Des puritains quasi-congénitaux qui n'hésitent pas cependant à sortir le flingue dès que l'occasion se présente. Zedd se livre donc à un désossement en règle des paradoxes et de l'hypocrisie du pays de l'Oncle Sam. Et il tape violemment sur la table. Au niveau stylistique, War Is A Menstrual Envy évolue entre un univers science-fictionnel sur une musique électro-psychédélique, et un autre ultra underground bercé par des airs hip hop mâtinés de RnB. Années 90 obligent, les effets spéciaux douteux peuvent faire sourire aujourd'hui, surtout lors de la longue séquence où une femme maquillée comme une voiture volée se déplace sur des images incrustées de ciel ou de fonds marins.
Mais là n'est pas l'essentiel. Zedd utilise beaucoup les prismes, les filtres colorés et la synthétisation de l'image, surtout dans le dernier tiers du film. Des personnages hauts en couleur défilent dans une histoire qui ne s'appuie sur aucun scénario structuré : un travesti géant, un colosse tatoué jusqu'aux yeux, une nymphomane entièrement bleue et bien d'autres "créatures" improbables.
Des passages subliminaux traversent l'écran furtivement, toujours avec en filigrane ce message antimilitariste, martelé avec insistance. Pour le reste, le film qui flirte avec l'amateurisme le plus total n'en garde pas moins une grande puissance visuelle et l'on ne ressort pas indemne de sa projection. L'horreur graphique sans être insoutenable, est très agressive, choquante même à certains moments et la nudité omniprésente, fait dévier les protagonistes sur des actes sexuels qui frôlent la pornographie. L'interdiction aux moins de dix-huit ans est donc justifiée. War Is A Menstrual Envy a d'ailleurs été banni dans de nombreux pays (mais curieusement, pas aux États-Unis) en raison de sa trop grande virulence et en particulier à cause de la scène où un soldat empale un bébé. Zedd prend pourtant bien soin de zoomer afin que le spectateur voie bien qu'il s'agÏt d'un poupon.
Qu'importe, l'imaginaire symbolique de ce passage a dû déranger beaucoup de censeurs. Voilà donc pour ce film frappadingue né de l'imagination d'un réalisateur qu'il est encore plus. De son exil mexicain, Nick Zedd n'a pas fait un farniente définitif. Au contraire, il a travaillé à de nouveaux films et semble retrouver peu à peu l'inspiration de ses débuts. J'en veux pour preuve la sortie imminente d'une anthologie de courts-métrages intitulés Beyond Transgression : New Short Films qui ne laisse guère de doutes sur son contenu : la colère, la révolte et la provocation.
Toujours énervé, plus que jamais adepte de la punk attitude, Nick Zedd refuse de vieillir avec une telle obstination qu'il en devient attachant. Avec son air d'éternel adolescent à la crinière décolorée, il s'insurge toujours aussi violemment contre une société qu'il n'aura jamais réussi à accepter et qui ne l'aura jamais compris. Qu'on se le dise, le "King" de l'underground est de retour !
Note : 15/20
Inthemoodforgore