Genre : épouvante, thriller, drame (interdit aux - 16 ans)
Année : 1976
Durée : 2h06
Synopsis : Trelkovsky, d'origine juive polonaise, travaille dans un service d'archives et se lie difficilement avec ses collègues. Il visite un appartement inoccupé dans un quartier populaire de Paris et la concierge lui apprend que la locataire précédente s'est jetée par la fenêtre quelques jours auparavant. Trelkovsky s'installe dans l'appartement. Mais il est bientôt victime de multiples vexations de la part de ses voisins...
La critique :
Difficile de passer à côté de la vie tumultueuse de Roman Polanski puisque dès l'enfance, le futur cinéaste vit dans l'impécuniosité et l'insalubrité du ghetto de Varsovie. Ses parents sont occis et éliminés lors de la Shoah. Il conservera de ce passé tempétueux des fêlures et des réminiscences indélébiles, d'où ses interrogations récurrentes pour le sadisme et ces pulsions archaïques et primitives qui régissent aussi le cerveau primitif humain.
Sa carrière cinématographique démarre vers le milieu des années 1950 via plusieurs courts-métrages et documentaires parmi lesquels on relève La Bicyclette (1955), Cassons le Bal (1957), Deux hommes et une armoire (1958), ou encore Quand les anges tombent (1959). Pour Roman Polanski, il faudra faire preuve de longanimité et patienter jusqu'à l'orée des années 1960 pour réaliser son tout premier film, Le Couteau dans l'eau (1962).
Mais dès son deuxième long-métrage, Répulsion (1965) qui met en scène une Catherine Deneuve aussi jolie que neurasthénique, Roman Polanski affine et peaufine ses thématiques de prédilection, à savoir cette claustration et ce sentiment de paranoïa qui semblent nimber une société de plus en plus consumériste et sur le point de se déliter ; inexorablement... Quelques années plus tard, le metteur en scène d'origine polonaise réitère cette fascination intrinsèque pour cette solitude et cette impression de confinement avec Rosemary's Baby (1968). A l'instar de Répulsion, Rosemary's Baby s'achemine sur la dialectique du huis clos. Malicieux, Roman Polanski étaye ses thématiques via une consonance sectaire, satanique et même eschatologique.
A travers ces deux pellicules anxiogènes, le cinéaste met aussi en exergue un individualisme forcené qui confine à une sorte de délire paraphrénique et schizoïde.
Il poursuit ce didactisme avec Le Locataire en 1976, un nouveau film d'épouvante qui conclut la trilogie dite des "appartements maudits", après Répulsion et Rosemary's Baby (deux métrages précédemment mentionnés). Le Locataire est aussi l'adaptation d'un opuscule, Le Locataire chimérique, de Roland Topor. Si Le Locataire est bel et bien un film français, il est pourtant tourné dans la langue de Shakespeare. Mais lors du doublage du film, les comédiens prodigueront leurs propres voix à leurs divers protagonistes. Pour Roman Polanski, la réalisation de Le Locataire doit lui permettre d'affermir ses thématiques de prédilection, entre autres la psychasthénie mentale de son personnage principal, un certain Trelkovsky. Mais Le Locataire doit aussi parfaire certaines thèses beaucoup plus nébuleuses, notamment cet attrait pour le transformisme et la dépersonnalisation, avec une pointe de xénophobie latente ; thématiques sur lesquelles nous reviendrons ultérieurement.
Au moment de sa sortie, Le Locataire écope carrément d'une interdiction aux moins de 16 ans ; une réprobation pour le moins excessive. Certes, le film de Roman Polanski est un huis clos âpre et terrifiant, mais pas non plus une sorte de giallo aux consonances trash et sanguinolentes. La distribution du long-métrage se compose de Roman Polanski lui-même (donc à la fois devant et derrière la caméra), Isabelle Adjani, Melvyn Douglas, Bernard Fresson, Claude Dauphin, Romain Bouteille, Josiane Balasko, Gérard Jugnot, Michel Blanc, Bernard-Pierre Donnadieu et Claude Piéplu.
Attention, SPOILERS ! Trelkovsky, d'origine juive polonaise, travaille dans un service d'archives et se lie difficilement avec ses collègues. Il visite un appartement inoccupé dans un quartier populaire de Paris et la concierge lui apprend que la locataire précédente s'est jetée par la fenêtre quelques jours auparavant.
Trelkovsky s'installe dans l'appartement. Mais il est bientôt victime de multiples vexations de la part de ses voisins... Pour Trelkovsky, le cauchemar ne fait que commencer... A l'aune de cette exégèse, impossible de ne pas songer, au moins un court instant, au synopsis ténébreux de Répulsion. De facto, on peut légitimement considérer Le Locataire comme la version masculine de Répulsion ; une version masculine qui lutine prestement avec le thème du transformisme, puisque Trelkovsky ne tarde pas à être frappé par des hallucinations épouvantables.
Afin de planter le décor, pour le moins rudimentaire (en gros, un appartement assez vétuste), Roman Polanski prend son temps. Dans Le Locataire, la tension monte crescendo pour aborder sa thématique la plus prépondérante, à savoir cette appétence pour la dépersonnalisation.
Trelkovsky est donc condamné, dès le départ, à sombrer dans la déchéance et dans une forme sévère d'hébéphrénie mentale. Dans une société parisienne dénuée de toute empathie, de compassion et de bienveillance, tout concourt à faire de Trelkovsky un intrus, au mieux un étranger condamné à se désagréger au cours de ses tribulations. Ainsi, son arrivée dans son nouvel appartement est tout de suite accueilli (c'est un bien un grand mot...) par des figures retorses et impavides, un propriétaire taciturne et un voisinage suspicieux.
Depuis leurs fenêtres, ces derniers s'épient, s'observent ou alors scrutent une cour d'immeuble symbolisant à la fois le vide, la mort et en particulier le suicide. Pour preuve, la dernière locataire en date s'est jetée du haut de sa fenêtre, suscitant l'incompréhension générale.
Trelkovsky est donc sommé de suivre le même didactisme morbide. C'est aussi la principale argutie de Le Locataire. Cette oeuvre comminatoire et paranoïaque revêt les oripeaux d'un long-métrage polymorphique. Le Locataire peut donc être à la fois considéré comme un film d'épouvante, une oeuvre aux assonances fantastiques, un huis clos oppressant et un drame à part entière. Ostracisé, gourmandé et semoncé par ses pairs, Trelkovsky finira subrepticement par s'alanguir et se désintégrer, jusqu'à perdre ce prisme identitaire et sexuel. Sombrant dans la pénombre et écumant un appartement en désuétude, Trelkovsky se grime en femme et s'assimile désormais à la précédente locataire.
Mais le film de Roman Polansky a aussi une forte connotation sexuelle via les allitérations d'une Isabelle Adjani séduisante et érotomane. Dans l'entourage de Trelkovsky, elle est la seule personne à manifester une once de mansuétude et de philanthropie. En résulte une oeuvre austère, tétanisante et désincarnée qui tance et admoneste le déclin d'une société parisienne sur le point de péricliter. Pour Roman Polanski, Le Locataire fait presque figure de métaphore sur sa propre solitude et ses réminiscences du passé. Lui aussi, l'année suivante, devra se colleter avec de nouvelles affaires judiciaires et surtout des accusations de viol sur une jeune mineure.
Note : 16/20
Alice In Oliver