Genre : Drame, thriller (interdit aux - 16 ans)
Année : 2015
Durée : 1h35
Synopsis :
Deux gangs des banlieues bruxelloises, les Black Bronx et les 1080, se mènent une lutte sans merci. Mavela, s’éprend de Marwan, membre du gang rival. Les deux amants s’enlisent alors dans une intense passion interdite et dangereuse.
La critique :
Vous vous souvenez de Loft que j'avais présenté comme étant l'un des meilleurs thrillers contemporains et qui faisait honneur au cinéma belge ? Eh bien, je me permets, déjà, de revenir avec un nouveau film de mon petit pays natal de 11 millions d'habitants. Il est clair que la Belgique n'a pas son cinéma parmi les plus connus dans le monde du Septième Art. Éclipsé par les cinémas américains, japonais, anglais ou français, la reconnaissance internationale n'est pas la plus fréquente que nous pourrions le penser. Pourtant, il serait dommage que de ne pas s'y intéresser, ne fut-ce que pour les fameux frères Dardenne. Bref, nous allons nous intéresser au métrage sobrement intitulé Black, réalisé par Adil El Arbi et Bilall Fallah, deux flamands d'origine marocaine.
Voilà un film qui a beaucoup fait parler de lui au moment de sa sortie en France. Alors que l'Europe est plus divisée que jamais sur la question de l'immigration quasiment imposée sans que la population n'ait eu son mot à dire et que les attentats prennent une dimension inédite, la crainte d'oeuvres sensibles sur le sujet, le racisme, est présente. Souvenons-nous du cas d'Un Français traitant des bandes skinhead.
A sa sortie, une frilosité non négligeable flotte chez les distributeurs. Il était évident que ce film allait faire polémique en raison d'un sujet extrêmement tabou. Taxé de prémonition alarmiste, de film créateur d'émeutes, Black, en raison de sa classification "Interdit aux moins de 16 ans" et des réticences des exploitants de cinéma à le programmer dans le contexte actuel ne sortira pas dans les salles. Une autre raison est que, forcément, le film a fait parler de lui en Belgique puisqu'il causa des échauffourées au Kinépolis de Bruxelles. Des bagarres ainsi que des affrontements ont éclaté, en pleine salle de cinéma. Le personnel a aussi dû refuser à un grand nombre de mineurs de rentrer. Ce qui fait que le personnel a perdu le contrôle de la situation et a dû solliciter en urgence une intervention policière. Les deux salles furent évacuées, la séance annulée et, une fois dehors, les jeunes auraient lancé des projectiles sur la police dont des poubelles. Aucune interpellation et fort heureusement, aucun blessé. Il est évident qu'un tel film ne pouvait échapper à l'oeil avisé de Cinéma Choc.
ATTENTION SPOILERS : Mavela est une jeune fille de 15 ans, membre des Black Bronx, une bande urbaine connue dans le quartier congolais de Matonge à Ixelles. La jeune fille va faire la rencontre d'un jeune marocain qui lui, appartient à une bande rivale de Molenbeek, les 1080. Les deux amoureux vont alors devoir faire des choix difficiles qui auront par la suite de lourdes conséquences.
A la lecture du synopsis, je pense que vous ne devez guère être surpris des tensions que provoquèrent Black à sa sortie. Inédit jusqu'alors, les deux cinéastes vont y aller frontalement en traitant du contexte des bandes rivales en se basant sur le livre éponyme écrit par Dirk Bracke, publié en 2008. L'auteur est un spécialiste des bandes urbaines et s'est notamment basé sur des histoires vraies pour rédiger son ouvrage. Pour se faire, le film va s'aventurer dans les quartiers très sensibles de Molenbeek, à la popularité, désormais, internationalement reconnue pour son très bon pedigree dans l'hébergement de fichés S, et de Matonge où la population africaine est très importante.
Rassurez-vous, le film n'a aucunement pour objectif de faire de la bien-pensance en traitant de la place des immigrés dans les sociétés occidentales. D'ailleurs, ne vous attendez à aucune forme de bien-pensance. Black est ce genre de film n'ayant pas été jugé à sa juste valeur par certains. Y voir une quelconque promotion de violence ou de propos alarmiste mériterait d'arrêter de regarder des films et jouer à la marelle (ou la pétanque). El Arbi et Fallah cherchent avant tout le souci du réalisme en traitant de problématiques récurrentes ayant lieu dans Bruxelles : incivilité, délinquance des populations immigrées, caillassage de fourgons de police, trafic de drogue régenté par la mafia africaine, le tout bien sûr au sein des décors authentiques (donc pour la beauté des quartiers, vous repasserez).
Dans ce climat d'ultra violence, des bandes se font justice personnelle et deux grosses se livrent une lutte sans merci. D'un côté les Black Bronx et de l'autre les marocains de la bande des 1080. Parmi ceux-ci, Marwan et Mavela, deux jeunes bien connus des services de police et tous deux membres opposés de ces deux bandes rivales vont se voir être attirés l'un par l'autre pour nouer une relation innocente mais d'une beauté touchante. Évidemment, vous vous douterez que cette relation sera très mal vue et que ces personnages n'en ressortiront pas intacts.
A travers ceci, les cinéastes fustigent une société en déliquescence ayant perdu le contrôle de ses éléments. Visiblement, les instances juridiques ont accepté vainement cette fatalité sans prendre de mesures radicales. On arrête, on menotte, un peu de garde à vue et puis elle est faite jusqu'au prochain délit. Bienvenue en Belgique et sa justice légendaire de connerie. Les populations immigrées non assimilées sont, à juste raison, tancées. Au sein d'une atmosphère sous tension, certaines personnes ne respectent pas le pays qui les a accueillis. L'autorité parentale inexistante en prend aussi pour son grade. C'est un retour à la bestialité à l'état pur qui se fait. Une déshumanisation totale où l'individu est régi par ses pulsions de violence et de sang. Un cri de rage flottant en lui et tenant plus du foutage de gueule quand ils disent qu'ils ne seront pas acceptés sur le marché de l'emploi en raison de leur couleur de peau. Ca serait plutôt le fait que l'on soit face à des truands, qui empêcherait de vouloir les embaucher. Mais bon, l'excuse facile est de notre époque. Le pire étant que tout ça est en parfait accord avec la réalité.
Ces deux jeunes, commençant à s'émanciper du milieu hostile dans lequel ils vivent, chercheront à fuir et à se lancer dans un véritable périple à travers Bruxelles, avec derrière le spectre des bourreaux en qui ils ont prêté allégeance. Comme un cri de fatalisme, ceux-ci semblent incapables de s'extirper de leur condition et toute tentative semble vouée à l'échec. A l'instar d'un Roméo et Juliette qui séduisait par son lyrisme, Black se caractérise par une brutalité et un réalisme glaçant. La violence est inhérente et est intégrée à une morale bien présente. La violence subie par un individu rejaillit irrémédiablement sur autrui. Cela se passera dans le cas de Mavela, jeune fille calme et réfléchie au début changeant radicalement après une sanction pour le moins choquante.
Cette morale étant bien sûr au service d'une dénonciation du banditisme prenant la vie de jeunes personnes facilement influençables et qui n'ont grandi dans aucun autre milieu que le crime. De fait, il n'est guère étonnant que le film ait suscité de telles animosités par des jeunes y voyant une incitation à réduire en bouillie leurs adversaires noirs ou arabes.
Mais dans cette atmosphère nihiliste, une étincelle. Ce couple brisant les conventions établies. Un véritable hymne à la tolérance entre des populations immigrées. Un amour germant sur du fumier, offrant un rayon de soleil parmi ce massacre. Il faut voir en Black plus qu'un simple film choc mais avant tout un récit centré sur l'amour. Un amour se déroulant dans un climat d'inhumanité. Autant être honnête, Black est un film qui accroche, qui marque et qui prend le spectateur par la gorge. Il est vrai qu'il faut savoir rentrer dedans et accepter le style : des racailles parlant comme des charretiers et toutes propices à ne pas éveiller la moindre sympathie de notre part, du moins au début.
Un milieu hostile, ravage d'une immigration incontrôlée entre ces cités délabrées, vandalisées de Molenbeek, de Matonge, du quartier des Marolles (juste à côté du légendaire temple de la techno, le Fuse, que je recommande au plus haut point) ou encore des gares de Bruxelles-Midi et Bruxelles-Nord. Comme il est dommage de voir que le film ne dure que seulement 1h35 et se termine trop brièvement car un allongement de 10 minutes n'aurait pas été de trop. C'est d'ailleurs là les seuls points négatifs vraiment frappants.
En ce qui concerne l'esthétique, si l'image est impeccable à ce point de vue, il est clair qu'en comparaison de Loft, Black en est l'antithèse. Après ce n'est pas le même objectif non plus. Comme j'ai dit, il n'y a guère de charme dans tout ce bordel insalubre. Le sentiment d'insécurité prédomine et les belges, fréquentant un tant soit peu la capitale seront ravis de certains décors proposés. Je pense surtout à la course-poursuite au niveau du Palais de Justice. Pour la bande son, on apprendra que les deux comparses ont tenu à inclure Back to Black de Amy Winehouse dans leur long-métrage au point de se battre durant un an dans le but d'obtenir les droits d'en faire une reprise. Finalement, le père de la regrettée artiste a donné son accord après avoir visionné la séquence du film.
En ce qui concerne les acteurs, par pur souci de réalisme des quartiers et de la rue, El Arbi et Fallah ont préféré travailler avec des acteurs non professionnels. Ils ont ainsi organisé des castings sauvages à Bruxelles afin de repérer les talents nécessaires à l'authenticité souhaitée pour le film. Le grand méchant du film, incarné par Emmanuel Tahon, est cuisinier à la Villa Lorraine. Marouane, interprété par Aboubakr Bensaihi, était encore collégien au moment du tournage. Tout ce que je peux dire est qu'il ne faut pas être nécessairement une pointure du paysage cinématographique car tous les acteurs délivrent une performance épatante, suscitant le respect. On est loin d'ersatz de talent comme Dany Boon ou Gad Elmaleh.
En conclusion, Black est ce genre de film qui a le mérite d'exister et qui a les couilles de véhiculer une réalité cachée par les bien-pensants. Manque de pot pour eux, qui plus est, vu que ce sont des cinéastes de talent d'origine marocaine qui ont illustré ça avec brio (et pas les méchants facho). Sous couvert d'une lutte acharnée teintée de sauvagerie, le métrage illustre une romance transcendant les préjugés liés aux origines. Des préjugés qui montrent aussi que toutes les nationalités sont sujettes à la xénophobie et pas les blancs contre le monde entier.
C'est avant tout un véritable manifeste pour la tolérance, pour la réconciliation des peuples ou tout simplement pour l'humanisme dans sa globalité. Le genre de film laid en apparat mais magnifique sur le fond. Un drame choc, coup de poing qui met le nez du spectateur dans la merde réelle des bas-fonds bruxellois. Il est clair que Black interpellera plus le belge confronté depuis longtemps à ce genre de problème mais ce n'est pas une raison pour ne pas visionner cette pépite récente du cinéma belge loin d'être morne. Agressif et à l'interdiction aux moins de 16 ans parfaitement justifiée en raison de scènes de violence brutales et très réalistes, c'est le genre de pellicule qu'il nous faut actuellement. Vous étiez curieux, après tous ces drames liés au terrorisme, de voir à quoi ressemblait Molenbeek ? Suivez-moi, c'est par ici !
Note : 16/20