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Genre : Drame, biopic, historique

Année : 1966

Durée : 3h

 

Synopsis :

À travers une série de tableaux, le film raconte le périple dans la Russie moyenâgeuse du peintre d’icônes Andreï Roublev. Tout juste sorti du monastère, cet artiste va se confronter à la beauté, mais aussi à la violence du monde.

 

La critique :

Dans mon boulot de chroniqueur, j'ai toujours été amateur de défis en chroniquant des films très difficiles d'accès, des OFNI de tout premier ordre prompt à user d'une boîte de Dafalgan après, et éventuellement pendant, la rédaction. Aujourd'hui, il ne fait aucun doute qu'il s'agira ici de l'un de mes plus grands défis de blogueur passionné de cinéma (je n'ose encore dire cinéphile). Chroniquer Andreï Roublev du cinéaste mythique Andrei Tarkovski, probablement le réalisateur russe le plus célèbre, jouissant d'un culte de nombre de cinéphiles. Austère pour les profanes, Tarkovski est un réalisateur qui divise mais les cinéphiles sont unanimes quant à son talent.
Déjà abordé auparavant sur le blog, voici la troisième chronique portant sur son deuxième film du nom d'Andreï Roublev. Un monument du biopic qui fera l'objet de vives réticences du pouvoir soviétique au moment de sa sortie. Si le réalisateur eut une grande liberté de tournage, la censure frappa pour une interdiction de deux ans. Il ne sera montré au Festival de Cannes qu'en 1969, amputé de vingt minutes par les autorités soviétiques au dernier jour des projections. Malgré une diffusion à l'étranger, la censure ne sera abolie qu'en 1971. 

Que raconte exactement ce film ? Comme son nom l'indique, le film va traiter du moine et peintre d'icônes russe du 15ème siècle au nom éponyme. Une particularité de cette pellicule est que nous connaissons peu de choses de la vie du moine. Il serait né entre 1360 et 1370 et mort entre 1427 et 1430. Nous savons qu'il a été au monastère Andronikov, près de Moscou, qu'il a été l'élève et l'assistant du peintre d'icônes d'origine grecque Théophane le Grec. La légende racontera qu'à la fin de sa vie, il aurait eu les yeux crevés pour avoir osé signer de son nom son tableau La Trinité, ce qui était interdit aux moines à l'époque. Tarkovski dira lui-même que son métrage n'avait guère de prétention historique et biographique, étant donné que la vie du moine-peintre était sujette à bien de mystères.
Pour le réalisateur, il s'agissait de s'intéresser à la personnalité d'un artiste en son temps, l'artiste comme conscience d'une société. A sa sortie, les critiques sont unanimement élogieuses et le (très)long-métrage remportera le prix FIPRESCI de la Critique Internationale ainsi que les faveurs de l'Académie européenne du cinéma et de télévision le classant à la 8ème place des meilleurs films du cinéma mondial. Aujourd'hui, Andreï Roublev est rentré dans la liste des films cultes et se montre encore fréquemment classé parmi les plus grands films de tous les temps. Les cinéphiles se faisant une joie de décortiquer précisément le film dans des dimensions parfois proches de la folie. Vous comprenez maintenant le pourquoi d'un tel challenge.

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ATTENTION SPOILERS : À travers une série de tableaux, le film raconte le périple dans la Russie moyenâgeuse du peintre d’icônes Andreï Roublev. Tout juste sorti du monastère, cet artiste va se confronter à la beauté, mais aussi à la violence du monde.

Pour la petite information, dans mes jeunes années de cinéphile, Andreï Roublev et le cinéma de Tarkovski, en général, étaient sujets à des quolibets de ma part, voyant en son cinéma une oeuvre prétentieuse, pompeuse et grandiloquente. Un véritable fouillis philosophique tout juste bon à se lustrer l'asperge en tentant la rédaction de critiques de 20 pages basées sur du vide. Oui, à l'époque, c'était un peu comme ça que je pensais. Visionner L'Enfance d'Ivan me calma, pris d'une certaine honte face à mon ignorance d'alors, et je commençais à m'intéresser un peu plus à son cinéma. Je ne mentirai pas en vous disant qu'une préparation psychologique fut nécessaire pour le visionnage de ce deuxième film de Tarkovski. L'ironie de la situation me rendant idiot sur ma pensée obtuse d'avant, est que, arrivé au générique de fin, j'ai dit, non sans une pointe d'embarras, qu'Andreï Roublev peut bien se targuer d'être compté parmi mes films préférés. Mais bon, jeune et con vont souvent de pair, quoique j'ai actuellement 24 ans donc bon. Un point important que je soulignerai est qu'Andreï Roublev est ce genre de pellicule qui impressionnera dès le début, en faisant germer cette sensation que le film devant lequel on se trouve sera un chef d'oeuvre. Ainsi, le film peut se diviser en un prologue, deux chapitres formant huit tableaux, et un épilogue. Le prologue semble être en dehors du récit originel.
Nous suivons un homme dont l'objectif est de voler grâce à un ballon à air chaud. Avec l'aide des villageois, il parvient à exécuter son plan et à s'envoler, pour finalement atterrir en catastrophe avec la mort présupposée de l'aventurier. Ce petit segment nous renvoie immanquablement au célèbre mythe d'Icare où un homme désire voler vers le soleil mais aussi se rapprocher de Dieu. Rattrapé par cette fatalité de l'impossibilité de transcender sa condition d'humain, il est souligné que l'homme ne peut se mesurer à Dieu et doit se contenter d'une vie sur la terre qu'il l'a vu naître. 

Pourtant, si le moine-peintre est absent de ce prologue, la dénonciation est là. Roublev, moine éminemment sage et pratiquant, quittera son microcosme clérical pour partir en itinérance dans un monde qu'il ne comprend pas. Face à sa sagesse se trouve la violence du monde, étouffante et sans pitié. L'homme n'a pas su seulement s'émanciper de sa condition d'être humain, mais il n'a pas non plus su s'émanciper de ses bas instincts. Perte d'éthique, détournement face aux lois divines, tout semble chaotique. C'est une épopée s'étalant sur une dizaine d'années qu'il nous est donné de suivre avec grand intérêt. Très compliqué de pouvoir analyser à sa juste valeur un tel film nécessitant sans nul doute un bagage philosophique un minimum présent. Si les dix chapitres composant le film se succèdent par ordre chronologique, donnant un sentiment de continuité et de sécurité au spectateur, la linéarité n'est pas présente pour autant. Le présent laisse souvent la place à des souvenirs et des visions de peintre, auxquels se rajoutent des ellipses prenant plaisir à égarer le spectateur.
Au sein de cet ordre chronologique, de nouvelles scènes prennent place avec des liens nouveaux, d'autres images et même d'autres personnages. Un récit quelque peu éclaté mais pas pour autant incompréhensible. La trame scénaristique s'apparente surtout à un labyrinthe dont les piliers sont l'essence de l'art et le concept de la Foi. A travers cette chronique, on s'attellera à développer un minimum chaque segment.

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Le premier tableau "L'histrion" voit Roublev, accompagné de deux acolytes du nom de Kirill et Danil, deux autres peintres d'icônes se dirigeant vers Moscou à la recherche de travail et de gloire. Ceux-ci marchant dans un champ, se retrouvent confrontés à une pluie torrentielle les forçant à s'abriter dans une ferme où ils se retrouveront face à un histrion grotesque s'ébaudissant de profanations sous les rires lubriques de la foule de gens. Ce premier acte donne un aperçu à Roublev de l'ignorance de son peuple. Loin de la sagesse des enseignements de la Bible, de la Foi, la populace s'éprend de quolibets et de moqueries désobligeantes à l'égard d'une frange de la population. La misère morale est persistante et semble faire corps avec ces personnes. 

Le deuxième tableau "Théophane le Grec" voit ce groupe entrer dans une ville où siège l'artiste Théophane le Grec. Roublev va être recruté pour décorer une église. Cette nouvelle va rendre fou de jalousie Kirill et Danil, allant jusqu'à l'éclatement du groupe. Cette histoire nous plonge dans la dimension artistique de Andreï Roublev où l'art se mêle intrinsèquement à la foi divine. Pour le moine, l'amour est une composante essentielle du peintre et tout art doit être sujet à l'amour pour être digne de ce nom. Sans amour, pas d'art. Sans croyance, pas d'art non plus mais quel amour et quelle croyance offrir dans un monde déshumanisé, empreint de violence et se détournant de la parole de Dieu ?
Kiril reniera la religion chrétienne qu'il considère comme bafouée. La simplicité, la modestie, la vertu furent sacrifiés sur l'autel de la recherche de gloire, de célébrité et d'argent. Voir en l'art christique un objet financier destiné à égarer les âmes tourmentées des moines. Ce geste lui vaudra d'être exclu de sa confrérie. De son côté, Théophane cédera sa gloire à Roublev sur qui les commandes des princes pleuvent. Un deuxième acte mettant le moine face à une population dont il ne comprend pas les moeurs.

Le troisième tableau "La Passion selon Andreï" nous place en compagnie de Roublev et de son disciple, Foma, discutant des défauts de l'apprenti et de l'importance des aspects pratiques du travail. L'art est une notion compliquée, devant être traitée à sa juste valeur et source de perfectionnement. La finalité d'une telle pratique étant l'Art avec un grand A, l'Art divin. Rendre hommage à la religion par le biais de l'art. L'art et la religion ne font qu'un. On pourrait tout simplement extrapoler la métaphysique de cette dimension christique par le fait de croire en ce que l'on peint. Une religion de l'art en quelque sorte où croire en soi, en son talent est indispensable pour réussir son objectif. Andreï finira par rejoindre Théophane, encore vivant, sur les berges d'un ruisseau. Théophane se montre profondément acrimonieux, fustigeant l'espèce humaine dont l'ignorance est la cause de sa stupidité. Un point de vue que le moine ne comprend pas car comment un peintre peut avoir de telles visions d'esprit ?
La rancoeur, l'hostilité ne sont pas des composantes propices à magnifier l'Art. Cette dernière séquence en corrélation directe avec des passages de la Bible se montre puissante et interpellant sur notre façon de percevoir le monde qui nous entoure. 

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Le quatrième tableau "La Fête" est sans nul doute l'un des passages les plus importants du film. Lors d'une promenade nocturne, Andreï se retrouvera face à un groupe de païens nus célébrant la sensualité et la luxure, dans une dimension orgiaque bouleversant profondément le peintre, renforçant sa méconnaissance totale de la pensée du peuple plus que jamais détourné de la foi. Chose ironique, il se sent attiré de manière inexplicable par ce rituel mais se retrouvera capturé, attaché en croix au poteau d'une grange et délivré par Marfa l'embrassant avant de le libérer. Un amour entièrement libéré, assumé et loin de toute pitié, qui va profondément bouleverser le peintre.
Le lendemain, traversant le fleuve en barque, il aperçoit ces mêmes païens pourchassés par des soldats. A cette époque, de telles fêtes de sabbat étaient impensables et l'on pourra vite se faire une idée de leur sort. Le tableau se clôturant par Marfa s'enfuyant en nageant alors que Andreï détourne les yeux de honte. Seulement, l'embrassade langoureuse qu'il a subi contre son gré par Marfa le poursuivra toute sa vie, tiraillé par la même occasion par la tentation qu'il a éprouvé devant ce rituel païen.

Le cinquième tableau "Le Jugement Dernier" nous fait retourner dans une église où le travail ne semble pas avancer. Cette histoire amorce les doutes du peintre qui pense avoir perdu la liberté et la puissance d'esprit de peindre comme il l'entend. De fait, il se refuse à peindre le Jugement Dernier car il ne veut pas terrifier le peuple. L'Art doit être au service du bien-être du peuple et non de son effarement et/ou de son inquiétude. L'Art doit être sain d'esprit, rassurant et dans une optique de piété christique. L'Art doit servir le beau et être à son service. Ironique sachant que le monde court à sa perte par la violence inhérente semblant grandir de jour en jour. L'arrivée dans l'église de Durochka, une sourde-muette, verra un étalement de peinture sur le mur. Un étalement sans forme semblant avoir été balancé comme ça. Cette scène serait-elle en accord avec la perte d'inspiration du moine ? On serait tenté de répondre positivement.

Le sixième tableau "Le Sac" sera véritablement le grand tournant de la vision d'Andreï sur le monde. Celui-ci se trouve au beau milieu d'un conflit où des Tatars pillent, incendient et assassinent sans aucun état d'âme la population du village de Vladimir, le tout sous la tutelle du frère du Grand Prince désireux de prendre le trône par la force. C'est la seconde moitié du film voyant le moine face au mal, à la destruction et à la barbarie d'une partie de son propre peuple s'alliant à l'envahisseur pour s'emparer du pouvoir. L'homme est définitivement retourné à ses pulsions de meurtre et de violence, sans respect pour ses semblables. Il jouit du malheur des autres par pur but opportuniste.
Se devant de recourir au meurtre pour sauver sa propre vie et celle d'une femme, Andreï en ressort traumatisé. Traumatisé des horreurs de la guerre et du chaos que peut engendrer l'homme sur cette Terre morne et déshumanisée, il décide d'abandonner définitivement la peinture et de faire voeu de silence.

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Le septième tableau "Le Silence" voit Andreï garder le silence et laisser derrière lui la peinture, de retour au monastère Andronikov. Il n'a plus rien à dire aux hommes et tient à s'éloigner de ce monde infernal pour se cloîtrer dans un silence salvateur, à l'abri du mal semblant s'être enraciné dans le genre humain. Après plusieurs années d'errance en dehors de la vie religieuse, il voit Kirill revenir et le supplier de réintégrer l'ordre. Demande acceptée mais sa pénitence sera de recopier quinze fois les Ecritures. Ce segment s'attarde bien sur le concept de pardon si ancré dans la religion chrétienne. Tout homme peut être pardonné et peut revenir dans le droit chemin.
Le départ de Durochka, affamée en ces temps de disette, nous rappelle la corruption de l'homme, sa personnalité malléable préférant se détourner de son amour propre, de sa fierté pour pactiser avec l'ennemi. Durochka ne partira pas seulement pour la nourriture mais pour le superficiel, les beaux habits et la gloire. Sauvée par un moine, elle effectue un virage moral pour partir dans une joie et une allégresse naïve. Un acte d'un nihilisme saisissant, confortant toujours notre observation pessimiste du genre humain. 

Le huitième et dernier tableau "La Cloche" voit les travaux titanesques lancées par un jeune homme semblant n'avoir aucune idée de ce qu'il fait, pour un seigneur local. Des travaux, avec l'aide d'un grand nombre de personnes, pour aboutir à la fonte d'une gigantesque cloche en cuivre. Ce qui fait la force de cette dernière section est le naturel optimiste de Tarkovski pour l'Homme. Le jeune homme n'a aucune idée d'un prétendu secret pour avoir un cuivre parfait pour la cloche. Il a juste suffisamment de foi en son projet pour ne pas abandonner et persévèrera jusqu'au bout. Dans cette section, le peuple semble s'être connecté au divin et retourner dans le droit chemin.
Au final, Andreï déboussolé par tant de foi dans le corps d'une seule personne, retrouve la foi en l'homme qu'il avait perdu. La rupture de son voeu de silence, grâce au peuple, rend d'autant plus puissante cette scène. Le peintre jurant de se remettre à peindre, jugeant que l'humanité n'est pas complètement pervertie et peut encore avoir la notion de croyance en elle.

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Enfin, l'épilogue sera entièrement en couleurs. Une métaphore évidente que l'Art peut traverser le temps. Une séquence s'éternisant longuement sur une fresque que nous nous imaginons gigantesque. Le long-métrage se clôturant par quatre chevaux gambadant dans l'herbe. Inutile de dire qu'Andreï Roublev est une oeuvre si vaste que cette chronique ne pourrait cerner toutes les facettes d'une pellicule qui a bien plus à nous offrir qu'une expérience cinématographique de grande qualité. Elle est aussi vectrice d'interpellations morales nous interrogeant sur la Foi et la croyance.
Andreï est ce genre de personnage pieux que nous n'arrivons pas à cerner entièrement. Il est ainsi face à une douloureuse contradiction. Ne pouvant refuser la quête de bonheur de la société, il réalise que celle-ci se fait dans l'ignorance et le péché. Vaut-il mieux, dès lors, accepter cet état de fait ou faire son devoir d'éducation pour ramener le peuple dans les moeurs du respect de soi et des autres ? Vaut-il mieux un hédonisme, certes, dépravé ou une sagesse rigoureuse ? Andreï se sent incapable d'être juge de ces hommes qui, partout autour de lui, vivent dans le péché le plus extravagant. L'orgie sabbatique étant le meilleur exemple d'un bonheur désoeuvré. Vouloir que son prochain soit heureux est un des principes élémentaires d'un religieux mais est-ce que cela peut se faire au risque que celui-ci soit ignare et dépravé ? Voilà probablement le plus grand questionnement du récit. 

Contre toute attente, Tarkovski se permet de prendre certains risques et d'incorporer quelques éléments semblant nous balader dans un univers fantastique. Je rappellerai encore l'orgie mais aussi la cloche tenant plus d'une parabole sur la Foi retrouvée du peuple que d'un but réaliste. Les songes et visions seront aussi de la partie. Tiraillés par nombre de questionnements intérieurs, le spectateur se retrouve comme bombardé par une introspection permanente et une violence réaliste. Un cheval qui tombe d'un escalier, une vache qui brûle, des hommes et femmes tués sans la moindre vergogne dans une atmosphère de chaos, des hommes aux yeux crevés. Ceci est mis en scène avec une telle banalité, sans quelconque artifice. Elle n'est pas là pour divertir mais bien pour dénoncer.
Elle témoigne de l'ascension de l'homme dans le carnage qu'il a lui-même engendré. Il ne fait aucun doute qu'Andreï Roublev est un métrage difficile d'accès pour le profane et même pour le cinéphile car il n'y a pas de réel équivalent cinématographique. Le long-métrage est singulier dans toute son essence et nécessite une concentration de tous les instants pour ne pas être perdu. Justement, comment peut-on décrocher devant un tel résultat laissant pantois ? Il est très difficile de garder l'attention du spectateur durant 2 heures mais alors 3 heures, cela nécessite une très grande érudition. Et Tarkovski y est arrivé avec brio. Celui qui acceptera le style rentrera directement dans le récit et vivra un moment où les émotions les plus pessimistes s'achèvent dans un climax optimiste. Je noterai que le rythme n'est pas particulièrement lent comme certains détracteurs semblent le penser. Contemplatif oui mais pas léthargique.

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L'aide se fait aussi par une somptueuse esthétique, par une image d'une beauté remarquable magnifiant le laid en beau. Des paysages désolés, des bâtiments en ruine, des champs de bataille, le tout est filmé de manière à impressionner le spectateur. De nombreux plans sont à couper le souffle via un noir et blanc très beau. Tarkovski s'attarde beaucoup sur ces âmes en perdition face à l'immensité du monde et/ou de la nature. Le premier tableau en est le meilleur exemple avec ces trois moines confrontés aux éléments, perdus, abandonnés dans un univers hostile. La bande son est tout aussi bonne, régulièrement désespérée. Pour la prestation des acteurs, beaucoup de froideur se dégage d'eux.
On savait les russes peu expressifs mais ce n'est pas dérangeant ici. Ils semblent porter une sorte de misère sur leurs épaules. Au casting, on notera Anatoli Solonitsyne, Ivan Lapikov, Nikolaï Grinko, Nikolaï Sergueïev, Irma Raush, Nikolaï (encore) Bourliaïev ou Nellie Sneguina.

En conclusion, je pense avoir suffisamment démontré que Andreï Roublev est un chef d'oeuvre majeur du cinéma russe, et du cinéma dans sa globalité. Traitant de la vie d'un moine-peintre avec beaucoup de retenue au sens historique comme biographique, Tarkovski imagine et s'autorise des libertés philosophiques afin d'interroger le peuple sur sa Foi. L'essence de l'Art et le sens de la Foi sont les deux thèmes essentiels du film, étant traités sous de multiples aspects. Ce qui fait de la pellicule, une oeuvre d'une grande complexité, jamais prétentieuse pour un sou. Andreï Roublev est ce genre de film qui nous interroge sur nos croyances, nos actes et notre façon d'être. A la fin, on ne peut s'empêcher de se poser cette question dérangeante : Suis-je péché ou sagesse ?
Bouleversant, perturbant mais tellement beau, riche et puissant. Ou quand la philosophie fait corps avec le Septième Art. Tarkovski, avec son deuxième métrage, fait, de l'art avec un petit A, de l'Art avec un grand A. Une réflexion intense sur ce qui régit notre société et ses fondements. Quand je pense que j'étais frileux de ce film et que je l'ai téléchargé il n'y a pas si longtemps que ça. Au moins, je sais quoi répondre à cette question : Péché car je n'ai pas cru, au début, en Andreï Roublev.

 

 

Note : 19/20

 

 

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