Genre : Policier, judiciaire (interdit aux - 16 ans)
Année : 1990
Durée : 2h25
Synopsis :
Depuis sa plus tendre enfance, Henry Hill, né d'un père irlandais et d'une mère sicilienne, veut devenir gangster et appartenir à la Mafia. Adolescent dans les années cinquante, il commence par travailler pour le compte de Paul Cicero et voue une grande admiration pour Jimmy Conway, qui a fait du détournement de camions sa grande spécialité. Lucide et ambitieux, il contribue au casse des entrepôts de l'aéroport d'Idlewild et épouse Karen, une jeune Juive qu'il trompe régulièrement. Mais son implication dans le trafic de drogue le fera plonger.
La critique :
Inutile de présenter encore Martin Scorsese, un réalisateur ayant su s'immiscer comme l'un des meilleurs de l'époque contemporaine. Chaque film, ou presque, suscite le respect des profanes comme des cinéphiles, fascinés par ce professionnalisme à savoir conjuguer habilement film d'auteur, divertissement et intelligence. Les thuriféraires citeront aisément Casino, Taxi Driver ou Raging Bull, ou en plus contemporain, Shutter Island ou encore Le Loup de Wall Street. Vient également s'ajouter Les Affranchis qui s'est vite imposé parmi les métrages les plus probants du cinéaste. Le film est basé sur le livre Wiseguy de Nicholas Pileggi, un journaliste spécialisé dans le monde de la mafia.
Il raconte l'histoire vraie de Henry Hill, un gangster new-yorkais. Un livre qui a intéressé le réalisateur après avoir lu une critique de l'oeuvre. Selon lui, il s'agirait de la représentation la plus honnête des gangsters qu'il ait jamais lue. Cependant, l'adaptation sera quelque peu différente de la structure originelle. Scorsese et Pileggi s'associent pour une écriture nouvelle. Le cinéaste persuade l'écrivain de ne pas suivre une structure narrative traditionnelle. Il veut traiter ce film de gangster épisode par épisode. On retrouvera aussi des changements de noms de plusieurs gangsters pour les besoins du film.
A sa sortie, Les Affranchis est un véritable succès au box-office, confirmant la grande popularité de Scorsese. 46,8 millions de $ de recettes, rien qu'aux USA, pour un budget de 25 millions de $. Les critiques souligneront également l'excellence du métrage. Le film est nommé 6 fois aux Oscars, incluant celui de meilleur film et de meilleur réalisateur. Joe Pesci remportera l'Oscar du meilleur acteur dans un second rôle. Cinq récompenses des BAFTA seront à rajouter, incluant celui de meilleur film et de meilleur réalisateur. Le film est nommé meilleur film de l'année par plusieurs groupes de critiques. L'histoire ne s'arrête pas là vu que Les Affranchis est sélectionné en 2000 pour le prestigieux National Film Registry afin d'être conservé à la Bibliothèque du Congrès aux USA pour son importance culturelle, historique ou esthétique. Bref, il m'est donné aujourd'hui de chroniquer un monument absolu du Septième Art, jouissant d'un véritable culte, tant du public que des critiques spécialisées.
ATTENTION SPOILERS : Brooklyn, dans les années 50. Depuis l'enfance, le jeune Henry Hill rêve de devenir gangster. A 16 ans, il se met en selle auprès de Paul Cicero, un caïd local, et commet ses premiers délits. Arrêté et interrogé, il refuse de parler et gagne ainsi le respect du milieu. A sa sortie de prison, il fait la connaissance de James Conway et de Tommy DeVito, deux truands d'une extrême violence, et se lance avec eux dans des trafics de grande envergure. Karen, une jeune bourgeoise qu'il courtise et finit par épouser, ne devine sa profession qu'après être passée devant l'officier d'état-civil. Grisé par le succès, Henry multiplie les coups les plus audacieux.
Les Affranchis constituera une sorte de prémisse aux films de gangsters traités chez Scorsese (Casino en 1995 et Les Infiltrés en 2006). Prémisse que suivra dans la droite lignée Casino, autant dans le choix de la mise en scène que d'un milieu criminel développé. Ce qui nous est conté ici sera la déchéance d'un jeune gangster ayant toujours rêvé de travailler dans le milieu. L'histoire prend place dans un quartier précaire de Brooklyn où se côtoie violence et malheur social. Dans ce milieu trouble, il ne faut pas être Einstein pour savoir que meurtres, vols, braquages et autres illégalités sont développés. Actes perpétrés par des hommes ne cherchant qu'à s'enrichir.
Impossible de formuler une quelconque critique sur l'enfance de ces mafieux. Ont-ils, eux aussi, grandi dans la précarité comme Henry Hill ? Mystère ! Il faudra donc adopter le point de vue de cet éphèbe pour dresser un amer constat d'une société en déliquescence. Dans ce microcosme austère, l'enrichissement par tous les moyens a tôt fait de germer dans le crâne de bonhommes n'ayant pas froid aux yeux. Des bonhommes que l'on soupçonne avoir voulu s'échapper d'une misérable condition, à l'image de celle de Henry dans son enfance. Cet enrichissement ne peut qu'être mis en corrélation avec un capitalisme déshumanisé où la fin justifiera toujours tous les moyens. Ces hommes sont prêts à tout pour vivre dans l'opulence (braquage de camions, contrebande, intimidations et même le meurtre). Toute morale, éthique n'a plus sa place et seul le culte du pécule sera un vecteur de vie pour ces escrocs.
Escrocs qui, bien sûr, tenteront de toujours protéger leurs arrières. Ceci se fera en soudoyant les instances à tout niveau, allant du corps policier aux huissiers ou même en allant jusqu'à toucher la justice. La corruption est reine et nous prouve que ces personnes, représentant pourtant la loi, sont indirectement responsables de l'instabilité sociale que ces mafias font germer dans la société. La population est donc à la fois la victime directe du syndicat du crime et la victime indirecte d'une justice corrompue. L'âme humaine n'a, au final, plus de respect. Les individus n'ont plus de respect envers eux-mêmes. Le sentiment de justice, de devoir pour le maintien d'un ordre social est supplanté par ce désir de s'enrichir. L'homme est définitivement corrompu et est prêt à balayer ses valeurs juste pour de grosses liasses de billet. Scorsese nous convie à une plongée totale dans le monde des gangsters.
Le recrutement peut se faire très tôt pour ceux désireux de se lancer dans l'aventure. Une aubaine pour les caïds car les jeunes sont vus, dans l'inconscient collectif, comme innocents. Difficile de réaliser que certains, dès leur plus jeune âge, n'ont pas de remords à semer le mal tant que l'argent suivra. On peut se dire que nous sommes bel et bien dans la merde quand l'appât du gain peut déjà se développer durant les premières années adolescentes.
Henry Hill sera de ceux-là et après une arrestation par un policier au moment où il vend dans la rue des paquets de cigarettes volés pour une parution en justice, il appliquera l'une des règles les plus, sinon la plus importante : ne jamais balancer ses copains et la fermer. Ceci lui permettra d'être applaudi, de susciter le respect dans le clan et de lui ouvrir de nouvelles portes plus ambitieuses. En s'alliant avec des gangsters de renom, Jimmy Conway et Tommy DeVito, ses deux meilleurs amis, il multipliera les coups de plus en plus audacieux. L'argent coule à flot, ce qui suscite la curiosité de sa petite copine, Karen. Intègre dans un premier temps, elle aussi succombera à la puissance de l'argent en acceptant la vie cachée de son compagnon. Devenue le cliché de la bimbo superficielle, elle sombre dans le luxe à outrance à coup de shopping et de décorations raffinées de leur chez soi.
Malgré cela, Henry aime s'acoquiner de quelques demoiselles avec qui il entretient une relation d'ordre sexuelle. Au final, le héros principal ne suscite guère notre admiration. Imbuvable à tout point de vue par son infidélité, son arrogance, sa violence, Scorsese réussit le tour de force de nous attacher à lui, tout comme à chaque personnage, à chaque fois parfaitement travaillés. Néanmoins, un bonheur aussi factice ne peut durer éternellement et, dans une parabole rappelant le mythe d'Icare, Henry sombrera, pris dans les tourments d'un trafic de cocaïne personnel dont son clan n'était pas au courant et d'opérations policières de grande envergure pour mettre fin au règne criminel de cette mafia.
Qu'on se le dise, Les Affranchis est un film passionnant en tout point, n'ayant absolument pas usurpé sa réputation et ses succès obtenus. Le dépaysement est total et nous sommes invités à suivre sous toutes les coutures cette vie constituée de vices et de rage. Difficile que de regarder sa montre tant le métrage est captivant en tout point et ratisse large à tous les étages ou presque. En effet, le fait de ne pas assez traiter la dimension des braquages est un point qui pourra faire râler. Je pense au braquage du siècle de la Lufthansa que l'on ne verra jamais.
C'est un peu dommage car une telle tranche d'action n'aurait pas été de trop. Rallonger la durée du récit n'aurait eu aucun problème au vu de son intensité diabolique. Durant 145 minutes, nous sera conté toutes les étapes d'une déchéance, que reprendra Casino 5 ans plus tard. Il se permettra aussi de reprendre le concept de la voix-off très présente pour la description des événements. Un point tout simplement génial apportant un cachet de style à un film d'un professionnalisme prodigieux.
L'esthétique du film est dans la pure veine des thrillers des années 90 dans les couleurs proposés et le choix de plans, tantôt aérés, tantôt oppressants. On apprécie cette manière de filmer la chose sans effet de style, d'effets spéciaux à outrance ou d'une caméra trop mobile. Un semblant de mise en scène posée qui surprend et s'allie remarquablement bien avec une histoire captivante. La bande son a aussi du style avec des classiques d'époque ou des classiques antérieurs tel Frank Sinatra. Pour les acteurs, c'est un nectar de choix qui nous est proposé. Robert de Niro et Joe Pesci sont, une fois de plus, au sommet en revêtant à merveille la tenue de gangster. C'est le genre d'acteur qui ont une classe naturelle quand ils jouent. Casino reprendra ce duo pour notre plus grand plaisir.
Ray Liotta se défend très bien en interprétant Henry mais pourra se montrer agaçant quand il rigole. Avis purement personnel bien sûr. On nommera les autres principaux qui ne déméritent pas pour jouer à merveille leur personnage tels Lorraine Braco, Paul Sorvino, Frank Sivero ou encore Tony Darrow. Cependant, il y a un point qui titille ma curiosité et je suppose que vous savez de quoi je parle. Ca concerne cette interdiction aux moins de 16 ans. Pourquoi ? Oui il y a du sang qui sait voler, oui il y a de la violence gratuite mais c'est un peu de trop, à mon goût, pour mettre ça à un tel niveau d'interdiction. Une interdiction aux moins de 12 ans (avec avertissements au pire) serait plus logique.
Mais que soit, Les Affranchis est l'une de ces pellicules suscitant le respect au visionnage. S'acoquinant d'une thématique passionnante sur un milieu, en fin de compte, loin d'être intouchable, nous sommes conviés à suivre durant 30 ans, la vie d'un gangster aux ambitions démesurées qui finiront par le perdre. En voulant atteindre le sommet, il réitérera la chute d'Icare. La grande force de Scorsese, que l'on a pu voir également par la suite, est d'avoir su conjuguer l'intelligence lié à tout un contexte social, à une intensité de tous les instants. Les Affranchis est l'un de ces films qui ne donne guère foi envers le genre humain malléable quand il se voit offrir l'opportunité de fermer les yeux en échange d'une petite récompense financière. Une observation psycho-sociologique de base traitée sans grandiloquence. Si l'on pourra pester sur la thématique des braquages pas suffisamment traitées, ceci reste, l'air de rien, de la roupie de sansonnet face à l'excellence que les critiques ont vendu. Une plongée dans un milieu hostile que nous ne sommes pas prêts d'oublier.
Note : 17,5/20