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Genre : Drame, historique

Année : 1964

Durée : 2h21

 

Synopsis :

A travers quatre histoires qui renforcent l'idéal communiste face à la mainmise du capitalisme, Soy Cuba dépeint la lente évolution de Cuba du régime de Batista jusqu'à la révolution castriste. Lors d'une fête luxueuse, un homme s'éprend de Betty, s'étant perdue dans la prostitution. Pedro travaille dans les champs de cannes à sucre. Au moment d'une récolte qui s'annonce fructueuse, le propriétaire des terres lui annonce que sa maison et des terres ont été vendues à une société américaine. A l'université de La Havane, Enrique fait partie d'un jeune groupe d'opposants au régime de Batista. Il s'apprête à assassiner un policier, mais au moment fatidique, le courage lui fait défaut. Dans la Sierra Maestra, Mario et sa famille vivent pauvrement. Après avoir accueilli un jeune soldat luttant aux côtés de Castro, Mario et sa famille sont bombardés sans raison apparente par les forces aériennes de Batista.

 

La critique :

Le cinéma d'Europe de l'Est ou l'une des destinations privilégiées des cinéphiles pour s'acoquiner de chefs d'oeuvre confidentiels. Après m'être dernièrement attelé au cinéma polonais, c'est un autre pays reconnu pour ses qualités dans le domaine du Septième Art qui fera l'objet de notre attention. Ce pays est la Russie. Fief de nombre de réalisateurs de talent dont le plus connu est, à n'en point douter, Andreï Tarkovski dont j'ai vanté les mérites il y a quelques jours. Les spécialistes citeront aussi Paradjanov, Dovjenko, Balabanov ou bien sûr Eisenstein. Aucun de ces cinéastes aujourd'hui mais Mikhail Kalatozov. Un bonhomme n'étant pas souvent cité en premier lieu.
Très étrange d'ailleurs car son court parcours mérite un respect de premier ordre. Ce respect s'axera surtout sur ses deux films les plus célèbres : Quand Passent les Cigognes, détenteur de la convoitée Palme d'Or et Soy Cuba. Ce dernier, étrangement, sera oublié puis seulement redécouvert en 1990. Un parcours de création pour le moins tumultueux.

A l'époque du tournage, les relations entre Fidel Castro et L'Union Soviétique s'étaient considérablement dégradées en quelques années. Ceci impacta, sans trop de surprises, le projet où des femmes, faisant la file pour des boîtes de raisins bulgares, criaient avec haine "Russes, rentrez chez vous !". Le climat tropical ne facilitera pas les choses mais une grosse difficulté s'ajoutera aussi. Je crois que vous avez une petite idée de la chose. L'année 1964 s'inscrit en pleine période de la Guerre Froide et qui dit Guerre Froide dit aussi blocus américain. Un blocus ne facilitant pas le remplacement d'un matériel technique inadapté et rapidement tombé en panne. Kalatozov se devra de continuer avec les moyens du bord. Comme vous vous en douterez, Soy Cuba fut interdit dans les cinémas américains et mis sous clef pour cause de représentation inexacte de la société cubaine. Redécouvert 30 ans plus tard où il remporte deux récompenses au Festival de San Francisco, il bénéficia du soutien d'éminents réalisateurs : Martin Scorsese et Francis Ford Coppola unissant leurs efforts pour assurer au film une distribution américaine.
A l'heure actuelle, Soy Cuba est devenu l'un des grands classiques du cinéma russe mais pas que. Elevé au rang de film culte, il n'est pas rare de le voir classé parmi les grands chefs d'oeuvre du Septième Art. Bref, enfilez vos sombreros, servez-vous un verre de rhum et allumez-vous un petit cigare. C'est un long voyage à Cuba qui nous attend.

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ATTENTION SPOILERS : A Cuba, sous le régime de Batista. Maria, qui vit à La Havane, sombre dans la honte lorsque l'homme qui l'aime apprend comment elle gagne sa vie. Pedro, un vieux paysan, doit quitter ses terres, qui viennent d'être arbitrairement vendues à la firme United Fruit. Un étudiant est le témoin des brutalités de la police à l'égard des opposants. Et un paysan rejoint la guérilla castriste.

Il n'est pas surprenant de voir une certaine idéologie revendiquée à travers le film. Le communisme avait une influence sans précédent à l'époque et nombre de réalisateurs ne se cachaient pas d'adhérer au régime tout puissant. Il n'est donc pas étonnant non plus que Soy Cuba s'attira la véhémence des USA face au capitalisme vitupéré, créateur d'une grande pauvreté au sein de cette île paradisiaque que n'aurait pas renié Dieu en personne de par sa beauté. A l'époque, le récit du film était encore flou. Fallait-il faire une fresque sur le Cuba contemporain ? Devant l'hostilité des autochtones, c'est le début de la fameuse Révolution qui sera traité. Une révolution, dirigée par Fidel Castro, qui entraînera la chute du dictateur Batista chassé du pouvoir et du pays en 1959.
Une parenthèse historique nécessaire avant d'appréhender la chose afin d'être un minimum renseigné. Soy Cuba, dont la traduction n'est autre que "Je suis Cuba", débute par de larges plans à bord d'un hélicoptère sur les forêts luxuriantes du pays. Après quoi, on atterrit au beau milieu d'une fête huppée au sommet d'un building. Un long plan-séquence s'articule sur les invités s'ébaudissant avant de plonger net dans la piscine pour nous offrir une scène de toute beauté de cette caméra filmant les personnages sous eau, dans une façon limite documentaire. C'est à partir de ce moment-ci que débute la première histoire. Kalatozov nous confie dans le luxe où richissimes clients côtoient les splendides cubaines de la capitale. Un groupe d'amis se divertit dans un bar hype où musiques et boissons locales comblent la troupe. Si les deux premiers se montrent très joviaux, le dernier homme est un peu plus réservé. Préférant la limonade, il n'accorde guère d'attention aux femmes que ses amis ont séduit au milieu de cette soirée mondaine.

Un autre soir, son attention va se focaliser sur une jeune métisse seule au bar en qui il ressent une irrépressible attirance. Le jeu de séduction va se former et cette femme, Betty, le ramènera chez elle. A la beauté vintage des lieux, c'est la pauvreté des quartiers qui prendra le relais. Les cahutes insalubres garnissent une capitale loin d'être propice au bien-être de tous ses habitants. Kalatozov nous convie à une observation du malheur social de ce pays ensoleillé. Arrivant à son semblant de domicile, l'homme sera choqué d'apprendre que Betty ne gagne sa vie que par la prostitution. Soy Cuba affiche la déshumanisation de ces femmes qui n'ont comme seule alternative, parfois, que d'aller jusqu'à vendre leur corps pour survivre et se sustenter d'un maigre repas.
La honte va frapper Betty n'arrivant pas à se consoler de l'amère déception de l'homme qui, sans doute, pour la première fois, fut séduit par son charme incomparable. Cet homme s'enfuira sans tarder au petit matin en traversant ces favelas où une troupe de bambins accourront près de lui afin de quémander l'aumône. Difficile que de ne pas être autant interpellé par toutes ces familles miséreuses entraînant leurs enfants dans une précarité toute sauf propice à leur épanouissement. La survie, ayant supplanté la vie, est devenu le mot d'ordre de ce microcosme. Démarrant dans le raffinement, on termine dans un cauchemar social que rien ne semble être en mesure de contrecarrer. 

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La deuxième histoire fait un revirement à 360° et balaie tout luxe pour nous convier au milieu d'un champ de cannes à sucre que le vieillard Pedro entretient avec toute sa force malgré son grand âge. Il est, par ailleurs, assisté par son fils lui offrant une précieuse aide. Mais cet ersatz de vie paisible loin de la richesse n'est pas sans fin vu que ses terres ont été vendues à une société américaine. Privé de son métier et de sa maison, le ciel tombe sur Pedro qui, pris dans un excès de rage lié à sa profonde souffrance, pratiquera une politique de terre brûlée pour se venger du propriétaire l'ayant trahi sans le moindre soupçon d'empathie. Le propos anticapitaliste de Soy Cuba est ici à son paroxysme. Kalatozov affiche cette mauvaise face du capitalisme où l'argent surpasse la solidarité humaine.
L'enrichissement est devenu le maître mot de certains n'ayant aucune pitié à ruiner la vie de leurs semblables pour du pécule. Au sein de Cuba, tout aspect humanitaire a été balayée pour le profit et rien d'autre. Pedro est cette victime sacrifiée sur l'autel du sacro-saint argent qui ne peut se remettre psychologiquement d'une telle trahison. Qu'a-t-il à perdre au vu de son âge avancé que de détruire tragiquement tout ce, en quoi, il fut attaché ? La passion du métier et un toit annihilé en une fraction de folie. La vengeance du peuple sur les tout puissants. 

La troisième histoire prend une autre dimension et nous fait retourner à La Havane et plus précisément au sein de son université. Dans ce bâtiment, siège de la future élite intellectuelle du pays, les critiques vont bon train pour dénoncer un régime oppresseur et antipathique. Un groupe d'activistes étudiant participe avec beaucoup de zèle à la critique férocement acrimonieuse du pouvoir politique exécutant froidement l'opposition. Rien de plus simple que d'illustrer un écran télévisé géant offrant un documentaire sur Batista et subissant les lancers de cocktail Molotov. La police militaire va commencer à durcir son emprise et à tuer sans état d'âme les belligérants.
Parmi ceux-ci, Enrique, enragé contre la mort continue de ses connaissances, va être pris d'une animosité à vouloir tuer Batista avec un fusil de sniper du haut d'un toit. Face à un Batista, en compagnie de ses enfants, il ne saura tirer, ayant trop d'humanisme en lui. Pourtant, l'histoire sombrera dans la violence la plus totale quand un étudiant sera mitraillé du haut d'un toit après avoir balancé des tracts anti-régime. Une manifestation de grande envergure prendra place et dans une scène de la descente d'un long escalier rappelant Le Cuirassé Potemkine, une émeute se déclenchera. Au sein de cette histoire souffle une profonde idéologie de partisans ne rêvant que de liberté. Des partisans étant prêt à mourir pour défendre un idéal de société où les gens pourraient s'épanouir sans le spectre du meurtre derrière eux, prêt à frapper à tout instant. 

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La quatrième et dernière histoire nous place dans un contexte de violence absurde, toujours au sein de la pauvreté sociale. Dans la Sierra Madre vivent un couple précaire en compagnie de leurs deux enfants. Une connaissance débarque un jour pour inciter le père à rejoindre l'armée de révolutionnaires. Celui-ci refuse et peu après, un bombardement absurde, sans logique apparente vient les frapper. Ceux-ci s'enfuient, pris par une terreur sans nom, afin d'échapper à une violence disproportionnée. Après un incident impardonnable, le mari va prendre la décision de rejoindre les forces anti-gouvernementales pour mettre fin au régime de terreur. Avec cette histoire, Kalatozov illustre le courage et poursuit la thématique précédente de l'homme ayant besoin d'un idéal si il veut survivre dans une atmosphère propre à susciter son épanouissement tant physique que psychologique.
Un véritable manifeste révolutionnaire flotte en Soy Cuba. Il est triste de voir une observation sociologique de base comme quoi l'homme ne se rebelle que quand un grand drame le frappe. A ce niveau, je ne suis pas d'accord avec l'expression "du pain et des jeux" car la terreur gouvernementale est elle aussi un point à ne pas négliger, canalisant les possibles débordements à son encontre.

Comment ne pas être tourmenté par un tel drame historique passé ? Manifeste anticapitalisme oui mais manifeste anti-dictature aussi. Un peu paradoxal sachant que Kalatozov officiait dans une URSS tendancieuse dans sa politique menée. Mais au-delà de ça, le réalisateur en profite aussi pour fustiger l'ingérence américaine et son impérialisme néfaste ne faisant qu'empirer un Cuba plongé en léthargie économique et une pauvreté persistante. Eclipsé par certains milieux guindés, elle n'en demeure pas moins présente. Il ne s'agit pas de ne se baser que sur une promotion de Fidel Castro à la tête du gouvernement. Le déploiement économique américain sous fond de blocus a tôt fait de condamner les plus vulnérables. Une absence totale de logique car ce ne seront jamais les éminences du pays qui seront touchées par cela mais bel et bien la plèbe oubliée, rejetée, indésirable, masquant l'échec d'un pouvoir n'ayant pas réussi à magnifier son emprise et montrer au monde sa grandeur économique.

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Soy Cuba est ce genre de film maniant habilement le drame politique et le drame historique. D'une grande profondeur, il multiplie les sujets les plus brûlants d'un monde en pleine décrépitude. Un propos brillant mâtiné d'une mise en scène de génie. Les histoires sont chacune prenantes au plus haut point. Nous sommes intéressés par le sort de ces individus condamnés à leur propre marasme actuel. Une empathie non négligeable nous prend aux tripes. Etant moi-même hostile au communisme, je dois bien avouer avoir temporairement mis mes opinions capitalistes (mais le bon capitalisme bien sûr) de côté pour prendre le parti des communistes suscitant le respect à croire dur comme fer en leur idéologie. Une foule n'aspirant qu'à une vie meilleure, peu importante l'idéologie revendiquée, ne peut que nous toucher en notre fort intérieur. C'est un manque de respect que de ne pas chercher à comprendre ce qui pousse un individu à voter pour une idéologie catégorisée comme étant dans les extrêmes.
C'est illogique que de ne pas analyser son mode de vie en plongeant dans son milieu. Il est tout à fait compréhensible que, au vu de la politique de terreur cubaine et d'une pauvreté négligée par le monde politique, la population combatte une oligarchie toute puissante pour des conditions de vie meilleures. Un combat pour, elle aussi, ne pas vivre à faire la manche.

A ce sujet, je me permettrai aussi de faire un parallèle avec Le Triomphe de la Volonté où la population aspirait à des conditions de vie meilleures, tout en voulant mettre fin au blocus du bassin de la Ruhr. Là aussi, être touché par des partisans guidés par un idéal ne peut que susciter un profond respect. Durant 2h20 passionnantes en tout point, Soy Cuba nous fait voyager, nous évader quand bien même le climat délétère. Le tout est mâtiné par l'une des plus belles esthétiques qu'il m'ait été donné de voir dans le cinéma. A ce niveau-là, ça ne relève plus d'un cinéaste de talent mais du professionnalisme d'un véritable Dieu cinématographique. Les plans-séquence se succèdent avec une virtuosité exemplaire. Le noir et blanc lumineux est propice à déverser des torrents de bave tant Soy Cuba est dans la perfection visuelle. La caméra souvent en diagonale n'est, à aucun moment, dérangeante. L'aspect quelque peu documentaire à plusieurs reprises est du plus bel effet.
Les musiques du film sont tout autant de qualité, tandis que l'interprétation des acteurs laisse pantois. On pense surtout aux acteurs principaux bien sûr. Le casting se composera essentiellement de José Gallardo, Raul Garcia, Sergio Corrieri, Luz Maria Collazo pour ne citer que les personnages les plus importants.

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En conclusion, Soy Cuba est, sans contestation possible, une merveille cinématographique d'une beauté visuelle renversante et qui peut s'enorgueillir de nombreuses thématiques d'époque mais qui n'ont pas totalement disparues à l'heure actuelle. Kalatozov ne nous offre pas qu'une critique du capitalisme et de l'ingérence américaine mais un véritable manifeste envers la vie, envers l'émancipation d'un peuple de son malheur, envers un idéal dans lequel il croit, envers des conditions de vie meilleures et aussi envers la liberté. La liberté de penser, de vivre une vie décente.
Trop peu souvent cité, il fait pourtant partie de ces drames que tout cinéphile doit impérativement visionner, au moins, une fois. Il a aussi cette dimension éducative d'un peuple, personnes âgées comme la jeunesse, à être concerné par son avenir. C'est quelque chose qui manque cruellement à notre époque où nombre de gens semblent avoir accepté le fatalisme de conditions de vie loin d'être épanouissantes dans une Europe mal gérée et sous le diktat de l'impérialisme américain. La cohésion sociale s'est perdue dans le pain et les jeux calmant les ardeurs d'une population qui en a marre. Un exemple à montrer à tout un chacun. Aussi je vous prierai de croire que Soy Cuba est indubitablement l'un des plus grands films de tous les temps. Proche, très proche de la perfection.

 

Note : 19,5/20

 

 

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