le vieux fusil

 

Genre : drame (interdit aux moins de 12 ans)
Année : 1975
Durée : 1h42

Synopsis : L'action se déroule en 1944, à Montauban. Le chirurgien Julien Dandieu y mène une vie paisible avec sa femme, Clara, et leur fille Florence. Cependant, l'invasion allemande ne peut le laisser indifférent : préférant les savoir éloignées des tourments de cette guerre, Julien demande à son ami François de conduire Clara et Florence à la campagne, où cette famille possède un château, véritable forteresse médiévale qui surplombe un village. Une semaine plus tard, ne supportant plus l'absence des siens, Julien rejoint sa famille pour découvrir, avec effroi, que les Allemands ont déjà semé la terreur dans le village...

La critique :

Pour ceux et celles qui suivent régulièrement l'actualité de ce blog (soit quatre personnes dans le monde...), ils savent pertinemment que le vigilante movie fait partie des principaux leitmotivs de Cinéma Choc. Ce registre cinématographique ratifiera son acte de naissance durant les années 1970 via plusieurs productions proverbiales. Les thuriféraires citeront aisément Un Justicier dans la Ville (Michael Winner, 1974), Exterminator : le droit de tuer (James Glickenhaus, 1982), Taxi Driver (Martin Scorsese, 1976), Death Sentence (James Wan, 2007), Mad Max (George Miller, 1979), J'ai rencontré le Diable (Kim Jee-Woon et Seok Min-Woo, 2010), Impitoyable (Clint Eastwood, 1992), ou encore Old Boy (Park Chan-Wook, 2003) parmi les références les plus notables et notoires.
Le cinéma français tentera lui aussi de s'immiscer dans ce style radical, virulent et comminatoire, mais avec beaucoup plus de frilosité.

Serge Leroy réalisera La Traque en 1975 qui, par certaines assonances, n'est pas sans rappeler Les Chiens de Paille (Sam Peckinpah, 1972), une autre référence proéminente. Hélas et à tort, le film de Serge Leroy reste confiné dans les affres des oubliettes. En contrepartie, notre cinéma hexagonal peut s'enorgueillir d'afficher un vrai classique du vigilante movie. Son nom ? Le Vieux Fusil, réalisé par les soins de Robert Enrico en 1975. Evidemment, la simple évocation de ce long-métrage peut prêter à esquisser un petit rictus imbécile tant la date de sortie de ce drame paraît joliment surannée.
Pourtant, sur la forme comme sur le fond, le film de Robert Enrico n'a rien à envier aux références les plus érubescentes. Autant l'annoncer de suite. Le Vieux Fusil est un film éminemment violent. A ce titre, difficile de comprendre l'interdiction aux moins de 12 ans.

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A minima, une interdiction aux moins de 16 ans nous paraît beaucoup plus idoine. Quant à Robert Enrico, le scénariste et réalisateur français a débuté sa carrière cinématographique durant les années 1950. Les laudateurs du metteur en scène notifieront des films tels que Les Grandes Gueules (1965), Les aventuriers (1967), Boulevard du Rhum (1971), Au nom de tous les miens (1983), ou encore La Révolution Française (1989) parmi ses réalisations les plus populaires. Le Vieux Fusil reste évidemment son long-métrage le plus véhément.
Pour l'anecdote, le film "est librement inspiré d'un fait historique réel. Lors du débarquement de Normandie en juin 1944, la Panzer division SS Das Reich est appelée en renfort en Normandie. Excédée par les harcèlements des résistants français qui font tout pour freiner sa progression, elle sème la terreur et la mort sur son passage.

Des membres du 1er bataillon du régiment Der Führer commettent le massacre d'Oradour-sur-Glane au cours duquel ils assassinent 642 civils, hommes, femmes et enfants et mettent le feu au village" (Source : https://fr.wikipedia.org/wiki/Le_Vieux_Fusil). Alors que l'été 1944 approche, l'armée d'Hitler a connu plusieurs défaites cinglantes sur le front russe. C'est donc une armée agonisante et tétanisée qui revient vers la capitale allemande (Berlin), au grand dam d'un Hitler courroucé. Le chancelier a bien compris que ses rêves de gloire, d'ascension et d'éternité étaient voués à péricliter, vaincus par l'Alliance et par les efforts conjugués des Anglais, des Russes et des Américains.
Mais peu importe. Avant de disparaître dans la pénombre, l'Allemagne nazie se doit d'exterminer, de massacrer et de mutiler quelques communautés de passage.

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Tel est le témoignage, voire le brûlot eschatologique laissé par Le Vieux Fusil. Inutile de préciser que le film a largement estourbi les persistances rétiniennes en son temps. Même encore aujourd'hui, le métrage de Robert Enrico reste un véritable parangon dans le cadre du cinéma en général et du vigilante movie en particulier. A l'origine, le rôle du chirurgien Julien Dandieu devait être confié à Lino Ventura, un comédien avec lequel Robert Enrico avait déjà collaboré à moult reprises, notamment dans Les Grandes Gueules, Les Aventuriers et Boulevard du Rhum (trois films précédemment mentionnés). Mais l'acteur, ulcéré par la violence de la trame narrative, refuse d'endosser le rôle principal.
Que soit. C'est Philippe Noiret qui écope finalement des oripeaux de ce médicastre aux intentions bellicistes et vindicatives.

Viennent également s'agréger Romy Schneider, Jean Bouise, Joachim Hansen, Robert Hoffmann, Karl Michael Vogler et Madeleine Ozeray. Le Vieux Fusil a évidemment divisé les critiques, pour le moins dubitatives, au moment de sa sortie. Pour certains avis sarcastiques, le film de Robert Enrico constitue au mieux une variante d'Un Justicier dans la Ville, à la seule dissimilitude que les belligérances prennent fait et forme durant la Seconde Guerre mondiale. A contrario, Le Vieux Fusil culminera dans les salles françaises et se soldera par un succès commercial, engendrant plus de 3 500 000 entrées ; une vraie performance pour un vigilante movie à la française !
De surcroît, Le Vieux Fusil s'arrogera plusieurs récompenses éminentes, entre autres le César du film, le César du meilleur acteur pour Philippe Noiret et le César de la meilleure musique originale pour François de Roubaix. 

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Attention, SPOILERS ! L'action se déroule en 1944, à Montauban. Le chirurgien Julien Dandieu y mène une vie paisible avec sa femme, Clara, et leur fille Florence. Cependant, l'invasion allemande ne peut le laisser indifférent : préférant les savoir éloignées des tourments de cette guerre, Julien demande à son ami François de conduire Clara et Florence à la campagne, où cette famille possède un château, véritable forteresse médiévale qui surplombe un village.
Une semaine plus tard, ne supportant plus l'absence des siens, Julien rejoint sa famille pour découvrir, avec effroi, que les Allemands ont déjà semé la terreur dans le village... Certes, Le Vieux Fusil compte désormais presque 45 années au compteur. Pourtant, contrairement à Un Justicier dans la Ville et aux autres vigilante movies sorties durant les décennies 1970 et 1980, le film ne souffre d'aucune obsolescence et pour cause...

Toute l'intelligence de Robert Enrico est d'amorcer la violence à un contexte historique nimbé par les martialités, la vengeance expéditive et le nazisme. Sur ce dernier point, certains contempteurs et esprits chagrins ne pourront y déceler qu'un vigilante movie prosaïque qui conte l'entreprise meurtrière d'un chirurgien en dissidence contre l'ennemi nazi. En outre, Le Vieux Fusil n'est pas seulement une parabole, voire une hyperbole, sur la thématique - toujours spinescente de la vengeance expéditive. Le film n'est pas seulement - non plus - une allégorie sur nos pulsions reptiliennes et archaïques. Le Vieux Fusil, c'est avant tout le portrait d'un homme qui a tout perdu et qui devient le témoin (malgré lui...) de toute la barbarie des hommes en temps de guerre.
C'est sûrement pour cette raison que Robert Enrico procède essentiellement par flashback. 

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En résumé, le cinéaste opère une véritable dichotomie entre le Julien Dandieu avant le massacre de sa femme et de sa fille et celui qui va naître à postériori. Ce Julien Dandieu atrabilaire n'est plus qu'un animal totalement décharné et déshumanisé. Pour répondre aux Allemands, l'homme se munit d'un fusil et extermine ses bourreaux un par un ; jusqu'à prendre un lance-flammes ; une saynète qui répond au meurtre effroyable de son épouse. La vengeance appelle la vengeance et vice versa. Elle est incoercible, intangible et inextricable. Point de porte de sortie pour Julien Dandieu.
Même le prologue final s'achève sur un cet état d'alanguissement et de neurasthénie mentale. Une fois dépêché dans le village censé abriter et sécuriser sa famille, le chirurgien ébaubi assiste à toute une pléthore d'exécutions dans les églises. Hommes, femmes, vieillards et enfants... Les "nazillards" ne font pas de prisonnier. Tuer et punir. Mais même la vengeance n'éteint pas la douleur. Certes, Dandieu punira et exécutera sommairement ses tortionnaires. Et après ? Que restera-t-il de cette boucherie massive ? Quelle morale retiendront notre Histoire et notre travail de Mémoire de tous ces crimes abominables ? Autant de questions posées en filigrane par un Robert Enrico circonspect.
A toutes ces introspections, point de réponse si ce n'est une conclusion amère qui se parachève sur une réminiscence à caractère euphorique (Julien Dandieu, sa femme et sa fille qui se promènent en bicyclette...), une façon comme une autre de phagocyter toute la véhémence de notre Histoire atrophiée et en résipiscence... 

Note : 17.5/20


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