Genre : horreur, gore, trash, inclassable (interdit aux - 16 ans avec avertissement)
Année : 2016
Durée : 1h09
Synopsis : À Hanoï, un docteur psychopathe, fervent amateur de chair humaine, agresse des inconnus au hasard afin de les déguster sauvagement. Ses coupables activités se déroulent dans l'arrière salle d'un fast food KFC où son jeune fils obèse qui partage ses goûts cannibales, passe le plus clair de son temps. Tout en se détectant de chair humaine, le gamin charpenté se lie d'amitié avec le fils d'une prostituée, victime des agissements monstrueux du médecin cannibale. Tandis que dans les quartiers voisins, la guerre des gangs fait rage...
La critique :
Avec KFC, réalisé par Lê Binh Giang en 2016, on se croirait vraiment revenu au temps béni des années 90 où les Catégories 3 hongkongaises dominaient du haut de leur mauvais goût, le cinéma transgressif asiatique. Ah, la jolie pépite que voilà ! Le voilà sûrement le film qui va s'imposer en digne successeur des célèbres The Untold Story et Ebola Syndrome. Ajoutez-y la perversité et la décadence des non moins renommés Ichi The Killer et Visitor Q (du très secoué Takashi Miike), et vous obtenez un aperçu détaillé de ce que peut proposer cette petite perle asiatique en termes de cinéma dégénéré. À ceci près que KFC n'est pas une oeuvre japonaise, ni chinoise, ni même coréenne.
Non, c'est du Vietnam que nous arrive ce film bien épicé de la sauce nem. Et c'est là que réside l'originalité de cette oeuvre venue d'un pays dont le cinéma est bien plus connu plus pour ses drames sociaux (L'odeur De La Papaye Verte, Cyclo) que pour ses pellicules horrifiques. En dehors de rares exceptions, dont le confidentiel Hollow ("Doat On" en version originale) sorti en 2014, le Dragon de l'Asie ne s'est guère montré prolifique en matière de films d'horreur.
Peut-être encore traumatisés par une guerre sans fin qui opposa leur pays à la puissante Amérique, les réalisateurs vietnamiens se sont-ils tenus, volontairement ou inconsciemment, éloignés du cinéma de genre. Mais cette lacune est désormais comblée avec la petite bombe KFC, signée Lê Binh Giang en 2016. Aucun doute : ce métrage constitue une réelle bonne surprise et un plaisir coupable pour tout cinéphile amateur de péloches régressives. Sans se situer dans les hautes sphères du cinéma extrême, KFC propose tout de même un sacré paquet de scènes anthologiques. Parfois drôle, souvent malsain, toujours gore, le film se laisse voir avec un plaisir non dissimulé et les soixante-dix-neuf minutes de bobine passent en un éclair. On aurait bien aimé une petite demi-heure supplémentaire...
Pour ceux, s'il s'en trouve, qui ignorent d'où vient l'acronyme KFC, cela signifie "Kentucky Fied Chicken" ; une chaîne de restauration rapide créée par le colonel américain Harland Sanders en 1939. Beaucoup moins connus et répandus que les inévitables MacDonald ou Burger King sous nos contrées occidentales, ces restaurants ont toutefois poussé en Asie du Sud Est tels des champignons à la saison des pluies. Il est d'ailleurs à noter que c'est un véritable établissement de cette chaîne qui a été utilisé lors du film. Un moyen comme un autre pour le propriétaire de se faire de la pub à moindre frais !
Il y aurait pas mal à dire sur KFC, le film. Comme tout premier essai d'un jeune réalisateur, la pellicule de Lê Binh Giang possède les défauts de ses qualités. Ce que le film gagne en fraîcheur, spontanéité et outrecuidance, il le reperd en s'éparpillant dans une histoire sans structure narrative, sans réelle colonne vertébrale d'un scénario précis. KFC où l'idée du cannibalisme de masse. Il faut l'admettre, l'idée n'est pas nouvelle. Elle date même un peu. Le cultissime Massacre À La Tronçonneuse de Tobe Hooper s'était déjà chargé du sujet (et de quelle manière !) il y a quarante-cinq ans déjà. En 1980, la série B comico-horrifique Nuits De Cauchemar de Kevin Connor, nous présentait une fratrie iconoclaste qui engraissait amoureusement les clients de son motel pour en faire une viande fumée et réputée. Je ne parle ici que des exemples les plus connus des adeptes du cinéma d'horreur.
Mais le cannibalisme au cinéma, ça ne date pas d'hier. Pourquoi pas tant qu'on y est, ne pas remonter à L'auberge Rouge (Claude Autant-Lara, 1951), comédie noire qui retraçait avec humour les meurtres qui ont été réellement perpétrés dans l'Auberge de Peyrebeille, coupe-gorges historique de l'Ardèche profonde du dix-neuvième siècle ?
En ce qui concerne le cinéma asiatique, il n'y a pas débat : la véritable transgression est née à Hong Kong avec les inénarrables Catégories 3. The Untold Story (Herman Yau, 1993), classique absolu du genre a mis le feu aux poudres en narrant les mésaventures d'un serial killer fou devenu cuisinier à un l'issue d'un massacre un peu particulier... Qui d'autre que le génial Anthony Wong aurait pu tenir ce rôle ? Personne. La preuve est que trois ans plus tard, Herman Yau rappellera son comédien fétiche pour se "remaker" lui-même avec Ebola Syndrome, un auto plagiat tout aussi réussi que l'original. Inutile de vous préciser que si par un incroyable hasard, vous ne connaissez pas encore ces deux joyaux licencieux, vous pourrez en lire les chroniques dans nos colonnes.
KFC rejoint peu ou prou les intentions de ces classiques en les remettant au goût (sans jeu de mot) du jour tout y en apportant sa fantaisie libertaire. Attention spoilers : un docteur dérangé et cannibale sévit la nuit dans les rues de Hanoï. Après avoir tué ses victimes, il les emmène dans l'entrepôt d'un restaurant KFC, transformé en salle d'opération pour les découper et les dévorer.
Les cadavres féminins sont tous violés avant dégustation. Ayant décimé la totalité du restaurant, il s'y installe en toute quiétude pour y développer ses activités monstrueuses. Son fils passe d'ailleurs le plus clair de son temps au KFC. Partageant avec son paternel, le même goût de la chair humaine, le gamin est devenu obèse à force de s'en goinfrer. Solitaire, il se lie cependant d'amitié avec le fils d'une prostituée, elle-même dévorée par le médecin psychopathe. Le gamin qu'on pourrait qualifier de croisement entre un poupon gonflable et un porcelet dodu, ne cesse de vanter les louanges de sa boisson préférée : un mix de Coca et de Pepsi. Il tente aussi d'initier son nouvel ami aux joies de la consommation de chair fraîche. Pendant que cette petite famille de détraqués vaque à leurs occupations malsaines, les gangs de jeunes voyous se déchirent en semant la violence et le chaos.
Ceux qui aiment les histoires cousues de fil blanc en seront pour leurs frais. KFC est une oeuvre qui ne se suit pas comme un film classique au sens où il n'y a pas de personnage principal et il n'y a pas de scénario linéaire auquel se raccrocher. Le réalisateur s'attelle à perturber les unités de lieux en passant d'un quartier à l'autre, d'un groupe de protagonistes à un autre groupe de protagonistes. Si cela peut rappeler quelques peu la structure de Pulp Fiction, il n'en est rien car contrairement au film culte de Tarantino, les saynètes ne sont pas reliées par un quelconque fil conducteur.
Il y aura de quoi déstabiliser le spectateur qui croira qu'il a loupé un épisode quelque part. Pour ma part, il m'a fallu deux visionnages pour comprendre... qu'il n'y avait rien à comprendre ! Ça va vite, ça part dans tous les sens, ça bastonne, ça viole, ça découpe, ça crame ; bref, Lê Binh Giang met en scène (si on peut employer ce terme) un "joyeux" bordel qui ne plaira pas à tout le monde, c'est certain. Pur moment de détente, KFC est à prendre pour ce qu'il est : soixante-dix minutes d'exutoire et de mauvais goût. Quelle aubaine pour les amateurs de ce genre de cinéma de retrouver l'irrévérence de feux les Catégories 3 ! Alors bien évidemment, le film est truffé d'imperfections.
A commencer par le psychopathe de service incarné par un acteur qui n'a pas le dixième du charisme et de la folie d'un Anthony Wong. Les personnages sont d'ailleurs le gros point faible du film. Aucun d'entre eux n'attire la sympathie si ce n'est peut-être le gamin grassouillet avec sa bonne bouille rondouillarde. Pourtant, malgré ces écueils qui pourraient paraître rédhibitoires, on marche, on court même. Car au delà de la violence particulièrement graphique (découpage de langue, arrachement dentaire à la pince, visages cramés à la cigarette, immolations, émasculation, etc), le film évolue dans une atmosphère si spécifique qu'il emporte l'adhésion du spectateur.
Trop deuxième degré pour être vraiment pris au sérieux, trop virulent pour arracher un sourire, KFC navigue dans une dimension parallèle à laquelle il est difficile de ne pas souscrire. Au niveau formel, l'image est correcte. Sans être du 35mm, la pellicule est propre, loin des tournages amateurs en DV ou pire encore, en caméscope (Visitor Q, par exemple). N'oublions pas que Lê Binh Giang n'a que 28 ans et qu'il n'en est qu'à ses débuts. Débuts franchement prometteurs en ce qui me concerne. En dehors du film d'horreur pur et dur que d'aucuns voudront juste voir, le jeune cinéaste délivre aussi en filigrane une critique acerbe contre la déliquescence d'une société vietnamienne gangrenée par la violence ordinaire. Voir KFC ne donne pas franchement pas envie d'aller se balader dans les rues de Hanoi, même en journée. Ces rues, qui sont le royaume des bandes organisées de gamins hauts comme trois pommes détroussant les touristes, s'entretuant pour défendre un bout de ruelle et réglant leurs comptes à la manière des mafieux. Une scène m'a particulièrement interpellé : lors d'une baston générale (filmée en stop-motion accéléré du plus bel effet), un gamin tabassé par plusieurs jeunes tombe et est en train d'agoniser sur le trottoir. Son petit frère lui allume alors une cigarette qu'il fume dans une coolitude absolue.
Comme si c'était normal de mourir comme ça, pour rien, à 13 ans à peine. Une scène marquante qui vaut bien des discours sur l'état de délabrement des moeurs et sur le peu de valeur que ces jeunes accordent à leur existence... Le film montre un Vietnam paradoxal. D'un côté, un pays toujours hanté par les fantômes de son passé, de cette guerre qui l'a mis à feu et à sang en le laissant exsangue ; de l'autre, une société consumériste qui l'a poussé à adopter les moeurs occidentales et surtout, de manière ironique, celles de l'Amérique honnie. Les fast food bien sûr, mais aussi le zippo. Briquet culte d'outre Atlantique qui tient un rôle prépondérant dans le film (je ne dirai pas lequel pour ne pas plus spoiler...). Bref, autant d'éléments de consommation importés par les ennemis d'autrefois et qui sont aujourd'hui, totalement implantés dans le paysage vietnamien.
J'ai eu pour cette pellicule délurée, un petit coup de coeur que j'ai essayé vous transmettre avec mes modestes moyens littéraires du moment. KFC est donc sans conteste un film à découvrir d'urgence. Tant pour son côté foutraque et gore que pour son témoignage sociologique plus sérieux, ce nouveau venu sur la scène du cinéma transgressif devrait séduire bon nombre de cinéphiles.
Note : 15,5/20
Inthemoodforgore