Genre : Chanbara, drame, action
Année : 1968
Durée : 1h55
Synopsis :
Dans le Japon du XIXe siècle, un jeune paysan arrive à bout de force dans un village pour se faire embaucher comme élève-samouraï. Il fait la rencontre d’un vagabond. Tous deux vont se trouver rapidement mêlés dans les complots et intrigues des seigneurs du village.
La critique :
Depuis mes débuts de chroniqueur, amorcés quand même en 2015, vous n'êtes pas sans savoir qu'il y a une grande histoire d'amour entre moi et le vieux cinéma japonais. Pourtant, on ne peut pas dire que ça démarrait sur les chapeaux de roue. Mes préjugés avaient la dent dure sur un cinéma que je pensais has-been et ennuyant. Aussi étonnant que cela puisse paraître, le légendaire Akira Kurosawa, l'un de mes cinéastes préférés, déclenchait une certaine hostilité en mon être en y pensant. Mais la réalité me rattrapa en ressortant tout bonnement comblé du visionnage de mon tout premier film en noir et blanc japonais, à savoir Rashômon. Une fois de plus, je remerciais ma curiosité et ma volonté de découverte tout en me traitant de con, moi et mes stéréotypes avariés.
D'abord cantonné à Kurosawa, les choses progressèrent dans le bon sens du terme, d'abord timidement, puis de manière très accélérée, voyant une passion frénétique pour ce que je considère désormais comme mon époque préférée dans laquelle s'imbrique la Nouvelle Vague Japonaise bien amenée à devenir mon courant préféré. Une batterie de réalisateurs sortait et parmi ceux-ci Kihachi Okamoto pouvant s'enorgueillir d'une indiscutable réputation dans les milieux cinéphiles les plus pointilleux, alors que la bien malheureuse méconnaissance est une triste réalité si nous sortons de ce carcan.
Comme j'ai pu le dire un bien grand nombre de fois, on a souvent tort de résumer le chanbara à Akira Kurosawa, bien qu'il en soit l'emblème entièrement justifié. Il y a un petit temps, j'ai eu cet honneur de mettre en lumière ce qui pourrait être l'oeuvre la plus célèbre d'Okamoto, n'étant autre que Le Sabre du Mal. Chanbara culte, les cinéphiles à l'avoir visionné se souviennent d'un film âpre, sanguinaire à des années-lumière de la sagesse des chanbaras made in Kurosawa. Se déroulant dans un monde ultra violent, on écarquillait les yeux devant l'audace et l'absence de retenue (pour l'époque bien sûr) confirmant une interdiction aux moins de 12 ans.
Chose suffisamment rare pour être soulignée. Séduit par ce véritable chef d'oeuvre, c'est sans étonnement que je partis à la chasse des deux autres jidai-geki ayant fait sa renommée. L'un de ceux-ci, sobrement appelé Samouraï, s'inscrivant apparemment dans la même veine que Le Sabre du Mal vit un véritable parcours du combattant pour l'obtenir. L'autre plus accessible nommé Kill, la Forteresse des Samouraïs, fera l'objet d'une chronique dans nos colonnes. Reste à voir s'il peut tenir tête au mortifère Le Sabre du Mal et plus généralement aux grands classiques du genre.
ATTENTION SPOILERS : Dans le Japon du XIXe siècle, un jeune paysan arrive à bout de force dans un village pour se faire embaucher comme élève-samouraï. Il fait la rencontre d’un vagabond. Tous deux vont se trouver rapidement mêlés dans les complots et intrigues des seigneurs du village.
Kill, la Forteresse des Samouraïs, sorti en 1968, représente la fin de ce triptyque majeur de la filmographie d'Okamoto, initié en 1965. Toutefois, il se montre bien différent de ses deux augustes grands frères mais j'y reviendrai par la suite. Précisons d'emblée que le synopsis relayé par les sites de référence qui sont AlloCiné (sic..) et SensCritique sont bel et bien erronés une fois que nous nous jetons dans l'aventure. C'est par l'intermédiaire de sites plus confidentiels que j'obtins un résumé en accord avec la réalité. Peu après le générique de début, il ne faudra pas bien longtemps pour déduire que Kill est un vibrant hommage au western italien. Ni plus, ni moins !
S'inspirant très librement de Yojimbo dans un premier temps par l'entremise d'un homme ici affamé arrivant dans une ville morte, les ingrédients se succèdent pour nous plonger dans un western aux tonalités crépusculaires. Paysages désolés, village fantôme, poussière omniprésente, autant de caractéristiques qui s'allient subtilement à la tonalité d'un récit de sabre mature où les thématiques majeures de Okamoto sont de nouveau de sortie. Là encore, il est question d'une histoire se déroulant dans les dernières décennies précédant l'époque moderne comme ce fut le cas dans Le Sabre du Mal.
Mais pas que, la désolation régnant sur ces paysages s'étendant à perte de vue trouve écho dans les dénonciations d'Okamoto que partage aussi Kobayashi, à savoir un shogun perverti, des hiérarchies corrompues et dénuées d'honneur. Le célèbre code d'honneur du bushido censé dicter l'existence et les actes des samouraïs n'est plus d'application. Les seigneurs de clan exercent des politiques suicidaires tout en tenant à conserver une emprise hégémonique sur leur territoire. Ici, un groupe de 7 samouraïs, que l'on soupçonne être un clin d'oeil à Les Sept Samouraïs, entreprend de faire tomber le chambellan de son piédestal dont ils reprochent de funestes actes. Tout en envoyant un messager, ils partent se retrancher dans une forteresse située en pleine montagne.
C'est le début d'un engrenage irréversible qui s'amorce. Les intrigues de clans, les manipulations, complots et mensonges amèneront ces sept samouraïs à devoir se barricader dans cette forteresse afin d'échapper à une mort certaine. Pendant ce temps, les deux hommes arrivés au début dans le village, Hanji et Genta, vont être amenés à se retrouver dans les camps opposés tout en entretenant un profond respect l'un envers l'autre. Inutile d'en dire plus car il s'agira de suivre avec grande attention cette histoire lorgnant entre chanbara et la politique sous peine de vite perdre le fil tant la complexité est surprenante pour un film de sabre.
Encore une fois, Kill est un autre représentant de la saleté humaine à tous les étages. Les samouraïs n'exercent plus leurs enseignements, venant à sombrer dans une violence absurde. Mais encore, il semble n'y avoir plus aucune réelle organisation dans leurs objectifs. Tout est chaotique. En parallèle, on aura connaissance de clans de yakuza se disséminant ici et là et dont la morale semble être étrangement plus respectueuse. Ceci se vérifiant lorsqu'un membre dira qu'un yakuza se doit de rendre la pareille quand il a droit à un signe de bonté. De plus, Genta est l'archétype du samouraï repenti, qui a tourné le dos aux enseignements du bushido pour devenir un yakuza à l'existence de vagabond. Un fait passible de seppuku si l'on s'en réfère aux codes.
La raison est qu'il ne se reconnaissait tout simplement plus dans ce mode de vie qu'il juge vain et sans intérêt. Il en est arrivé à développer une philosophie de vie propre et simple, amené à parcourir un semblant de quête initiatrice pour se détourner de la violence prégnante dans laquelle il était autrefois. Il n'a en revanche aucunement perdu de sa technique de fine lame, faisant de lui un combattant hors pair.
A n'en point douter, Kill est un film ambitieux et profondément humaniste. La vision pacifiste d'Okamoto dénonçant une violence dégénérée se fait avec une maestria remarquable. Quoique nettement moins violent que Le Sabre du Mal, tout en écartant la perversité de celui-ci, Kill s'énamoure d'un style radical. Les combats sont d'une furieuse violence. Les hommes sont envoyés dans les décors. Des coups portés au visage, un bras tranché, des sabres transperçant les corps, Genta tabassé seul par un groupe de samouraïs armés de bâtons de bambou et ce même Genta poignardant à plusieurs reprises un homme. La violence est absurde, disproportionnée, faisant fi du respect de l'adversaire pour déchaîner rage et souffrance. Pire encore, l'emploi de mousquets criblant de balles les samouraïs malchanceux. Un acte impardonnable d'un point de vue moral si l'on s'en tient au caractère sacré des combats.
Cette observation témoigne aussi d'une ancienne époque et de l'avènement d'une nouvelle entrant en collision, incapables de s'agencer et de cohabiter. Les combats au sabre sont amenés à disparaître et avec eux la beauté des combats. Pourtant, si l'on peut s'attendre à un film nihiliste, sans espoir, il n'en est presque rien. Le traitement de Okamoto surprend car il mêle au drame pur des éléments comiques allégeant la tonalité scénaristique. Le pari fonctionne même si on ne peut s'empêcher de penser que l'atmosphère désespérée aurait, peut-être, offert un meilleur rendu.
Si l'on se dirige vers l'esthétique, elle est tout simplement admirable. Les plans sur ces montagnes et sur toute cette nature victime de la folie des hommes sont d'une grande beauté. Les cadrages très aérés avec travellings sont un exemple de mise en scène pour ne prendre que ceux-là. Mise en scène tout à fait plaisante dans son rythme mené tambours battants pour peu que l'on adhère à l'approche originale qu'est Kill. Une grande attention est à accorder à la dimension sonore qui est peut-être l'exemple le plus représentatif des inspirations au western italien. Si elle ne respire pas la musique nippone, force est de constater qu'elle s'intègre admirablement bien aux événements. Et enfin, finissons cet habituel avant-dernier paragraphe par le dernier point qui concerne les acteurs.
Si l'on se réfère souvent à porter aux nues le légendaire Toshiro Mifune, gare à ne pas sous-estimer le superbe Tatsuya Nakadai tenant le rôle principal, à l'opposé de la sauvagerie de Le Sabre du Mal. Elle est la parfaite expression de sa marque de fabrique qui est de ne pas en avoir, ce qui lui confère une capacité inouïe de transformation. Ce n'est d'ailleurs pas pour rien qu'il est le rival-acteur de Mifune, en témoigne sa filmographie de prestige qui l'a vu côtoyer les plus grands réalisateurs. Malheureusement pour les autres, ils sont tous éclipsés par cette "vraie gueule" comme on en fait plus. On pourra citer les principaux qui sont Etsushi Takahashi, Naoko Kubo, Shigeru Koyama, Akira Kubo, Eijiro Tono ou Tadao Nakamaru.
Alors oui, sans surprise, on se voit forcé d'admettre que Kill, la Forteresse des Samouraïs est un peu en-dessous de Le Sabre du Mal. Ceci n'est aucunement un reproche car le niveau était tellement haut qu'il aurait été extrêmement difficile de le surpasser. Dans le cas présent, on est agréablement surpris de la tournure très inattendue du spectacle proposé lorgnant dans le western, en épousant les codes mais sans jamais les pomper grossièrement. Kill construit sa propre ambiance, sa propre atmosphère apportant une bouffée d'air frais dans le glorieux monde du chanbara. Si le sadisme laisse place à la tragicomédie, on ne cache pas notre désappointement face à la nervosité des duels mettant plus en scène des bêtes que des humains. La seule chose qui risquerait de ne pas jouer en sa faveur est, je le rappelle, une intrigue complexe nécessitant une grande attention du cinéphile qui pourrait vite être largué s'il ne fait pas attention au cours de l'histoire. Pourtant, il faudrait être difficile pour ne pas se laisser porter par une, disons-le clairement, leçon de cinéma.
La seule ombre au tableau qui fera tiquer est un finish décevant ne clôturant pas l'histoire comme il se doit mais il faudrait être bien vachard pour détourner le regard de ce très bon chanbara à contre-courant des tendances de jadis.
Note : 16,5/20