Genre : drame, érotique (interdit aux - 16 ans aujourd'hui, film classé "X" à sa sortie en France)
Année : 1972
Durée : 2h09
Synopsis : Paul, un Américain établi à Paris, et Jeanne font connaissance alors qu'ils visitent, un matin d'hiver, un grand appartement vide. Ils font l'amour sans rien savoir l'un de l'autre, pas même leurs prénoms. Paul loue l'appartement et le couple s'y donne rendez-vous jusqu'à ce que la situation devienne insoutenable.
La critique :
Le scandale, la polémique, la censure et les films anathématisés par le sceau de l'opprobre et de l'avanie sont les principaux leitmotivs de Cinéma Choc. Par le passé, le blog a déjà chroniqué ce genre d'édifice cinématographique semoncé, rabroué, gourmandé et persifflé par des critiques unanimement sarcastiques. Pour souvenance, des oeuvres telles que Baise-Moi (Virginie Despentes et Coralie Trinh Thi, 2000), Salafistes (François Margolin et Lemine Ould Mohamed Salem, 2015), Irréversible (Gaspar Noé, 2002), Massacre à la Tronçonneuse (Tobe Hooper, 1974), Cannibal Holocaust (Ruggero Deodato, 1980), Funny Games (Michael Haneke, 1998), Martyrs (Pascal Laugier, 2008), Salo ou les 120 Journées de Sodome (Pier Paolo Pasolini, 1975), ou encore le célébrissime Philosophy of a Knife (Andrey Iskanov, 2008) ont déjà fait l'objet de diverses chroniques sur Cinéma Choc.
Mais jusqu'ici, le site consacré au cinéma expérimental, trash, extrême et autres pellicules insolites, voire dénotatives (entre autres...), n'avait pas encore abordé le cas, lui aussi éristique, de Le Dernier Tango à Paris, un drame érotique réalisé par la diligence de Bernardo Bertolucci en 1972. Certes, naguère, Cinéma Choc avait déjà publié un article élusif sur cette oeuvre controversée, mais guère plus. Il était donc temps de consacrer, à cette dramaturgie, une chronique exhaustive. En sus, ce billet permet également d'aborder un autre parangon éminent du noble Septième Art.
Durant sa jeunesse et sa période juvénile, Bernardo Bertolucci se passionne rapidement pour le cinéma. Ce dernier s'accointe et s'acoquine avec Pier Paolo Pasolini et officie sur le tournage d'Accattone (1971). Bientôt, il aiguise et peaufine ses talents de monteur et de caméraman sous l'égide et l'érudition de Sergio Leone et de Dario Argento.
Parmi les oeuvres notables et éventuellement notoires, les thuriféraires de Bernardo Bertolucci n'omettront pas de stipuler des films tels que La stratégie de l'araignée (1970), 1900 (1975), La tragédie d'un homme ridicule (1981), Le dernier empereur (1987), Beauté Volée (1987), ou encore Innocents : The Dreamers (2003). Indubitablement, Le dernier Tango à Paris reste son oeuvre la plus sulfureuse, longtemps considérée, voire répertoriée comme un film "X", donc comme une pellicule pornographique, certes aujourd'hui interdite aux moins de 16 ans.
Dire que le film a bouleversé les moeurs et même sévèrement courroucé les critiques de l'époque, relève du doux euphémisme. Au moment de sa sortie, Le Dernier Tango à Paris écope de l'ultime réprobation, soit une interdiction aux moins de 18 ans.
Le film est carrément banni et censuré dans plusieurs pays européens. Quant à Bernardo Bertolucci et ses deux principaux interprètes (Marlon Brando et Maria Schneider), les artistes décontenancés n'échappent pas aux saillies rédhibitoires de la nation transalpine. Bernardo Bertolucci est carrément déchu de ses droits civiques dans son propre pays natal. Marlon Brando et Maria Schneider sont jugés coupables de verser dans l'outrance pornographique. En outre, c'est une scène lascive et de débauche sexuelle qui fait figure de véritable bouc émissaire.
Si la saynète de sodomie est évidemment simulée, elle est néanmoins réalisée à l'insu de la comédienne effarouchée. Par ailleurs, Maria Schneider ne s'en remettra jamais. Elle s'enlisera dans la consommation et l'accoutumance aux substances illicites, frôlant même la mort à maintes reprises par la même occasion.
Hormis Marlon Brando et Maria Schneider, la distribution de cette dramaturgie se compose de Jean-Pierre Léaud, Massimo Girotti, Marie-Hélène Breillat, Veronica Lazar et Catherine Breillat. Aujourd'hui, Le Dernier Tango à Paris est répertorié parmi les films cultes et s'est même octroyé la couronne sérénissime de classique du cinéma. Vilipendé en son temps, ce long-métrage contristé n'est plus cet objet d'acharnement ni de diatribes un peu gratuites. Pour le scénario du film, Bernardo Bertolucci s'inspire de ses propres affabulations satyriasiques.
Le réalisateur admet que la trame narrative est en réalité la genèse d'une rencontre fictive, puis d'un coït fantasmatique avec une jeune femme anonyme. Mais ne nous égarons pas et revenons à l'exégèse du film. Attention, SPOILERS !
(1) Un matin d'hiver, sous le pont d'un métro aérien, Jeanne, une jeune femme française d'une vingtaine d'années dépasse un homme à l'allure fatiguée, Paul, quadragénaire américain établi à Paris. Les deux arrivent à quelques secondes d'intervalle pour visiter un appartement à louer du 16e arrondissement de Paris, au-dessus du pont de Bir-Hakeim et de la station de métro Passy. En tirant les volets, Jeanne découvre avec surprise Paul recroquevillé dans une encoignure. Après avoir échangé quelques banalités, sans rien savoir l'un de l'autre, ils se mettent brusquement à faire l'amour, puis repartent sans savoir leurs noms respectifs car lui ne veut pas le savoir.
Paul loue l'appartement que Jeanne visitait en vue de son mariage et le couple s'y donne rendez-vous pour leurs rapports charnels d'une violence croissante (1).
Il serait probablement inconvenant de rappeler dans quelles conditions s'est tournée la fameuse scène de sodomie, pour laquelle du beurre sera utilisé comme lubrifiant vaginal. Voilà pour la faribole superfétatoire ! Toutefois, impossible d'évoquer Le Dernier Tango à Paris sans réactiver cette séquence infamante, surtout pour sa comédienne, encore dans les balbutiements de l'âge adulte. Indubitablement, Le Dernier Tango à Paris reste une oeuvre symptomatique et emblématique de son époque, et surtout d'une société mouvementée par ses propres chamboulements politiques, sociologiques et sexuels. Auparavant, personne n'aurait songer à imaginer un oaristys amoureux entre un homme quadragénaire et une jeune femme encore adulescente, surtout dans une société encore régentée par ce couple rigoriste et discipliné, et qui ne divorce pas pour le moindre coup de canif.
Autant l'annoncer sans ambages. Tout a été dit, tout a été analysé ou presque sur Le Dernier Tango à Paris, une dramaturgie aux consonances lubriques, quitte à atteindre une polémique un tantinet démentielle ; et se transmutant subrepticement en accusations de viol. Maria Schneider aura payé très cher le lourd tribut - le fardeau - de cette saynète volage, certes savamment fomentée par Marlon Brando et Bernardo Bertolucci lui-même. Plus qu'un film érotique, voire pornographique, Le Dernier Tango à Paris réitère, in fine, le bon vieil adage de Stendhal : "Au premier grain de passion, il y a aussi le premier grain de fiasco". Une maxime millénaire et immémoriale corroborée par une Maria Schneider dogmatique : "Amour, je ne peux vivre sans toi".
Dès lors, Le Dernier Tango à Paris s'apparente à une allégorie désenchantée sur la passion éphémère, et donc sur un amour impossible.
Cette exaltation charnelle baguenaude et s'achemine sur la même déconstruction de notre société occidentale, qui se délite, périclite, se désagrège, s'étiole et se déracine sous le regard éploré de nos deux tourtereaux éberlués. Via Le Dernier Tango à Paris, Bernardo Bertolucci propose une introspection douloureuse, presque en forme d'autoscopie mentale, sur le paradoxe de la passion. Les failles, les fêlures et les excoriations entre Paul et Jeanne sont beaucoup trop profondes pour s'agencer sur une relation pérenne. Même l'environnement extérieur vient s'immiscer dans ce précipice de géhennes et de copulations dévorantes. Ce n'est pas aléatoire si Bernardo Bertolucci transmue cette passion en huis clos anxiogène et happant littéralement ces deux principaux protagonistes à la gorge.
Certes, le metteur en scène signe une oeuvre irréprochable d'un point de vue technique et stylistique, par ailleurs à référencer parmi les drames intellectifs et conceptuels. Paradoxalement, Le Dernier Tango à Paris n'est pas exempt de l'objurgation de circonstance. Si Maria Schneider brille à la fois par sa vénusté et sa nonchalance, Marlon Brando joue probablement son propre personnage à l'écran. L'acteur, visiblement harassé par ses tensions perpétuelles avec Hollywood, est égal à lui-même. Son stoïcisme apparent ne parvient jamais à feindre une lassitude ostentatoire.
Le comédien, jadis orfèvre, se fait presque chiper la vedette par sa partenaire féminine, d'une grâce voluptuaire. Et rien que pour Maria Schneider, Le Dernier Tango à Paris mérite bien nos louanges et nos congratulations immanentes dans les colonnes de Cinéma Choc !
Note : 16/20
Alice In Oliver
(1) Synopsis du film : https://fr.wikipedia.org/wiki/Le_Dernier_Tango_%C3%A0_Paris