electric dragon 80000 V

Genre : Fantastique, science-fiction, expérimental (interdit aux - 12 ans)

Année : 2001

Durée : 55 minutes

 

Synopsis :

 

Dragon Eye Morrison a été électrocuté lorsqu'il était enfant. Depuis, il communique avec les reptiles et libère toute l'énergie électrique concentrée en lui en s'épuisant sur sa guitare. Thunderbolt Buddha, un justicier foudroyé à l'adolescence, le provoque en duel.

 

 

La critique :

Tôt ou tard, ça devait arriver... On le sait depuis longtemps, pas seulement les laudateurs du cinéma underground, trash et peu ragoutant mais aussi les profanes, à savoir que le Japon peut se targuer de remporter haut la main la palme de l'irrévérence cinématographique à tous les étages. Citer et parler de l'étendue de ce monde interlope nécessiterait une chronique aussi longue que la Bible en Arial 40 compte tenu de l'audace, des essais aussi insolites que saugrenus. Plus d'une fois, nous avons eu la joie de vous offrir sur un plateau d'argent des choses que vous n'auriez jamais pensé imaginer, même durant un bad trip au LSD. Je passerai outre la liste complète des pellicules abordées depuis la naissance du blog mais sachez que sélectionner le tag "cinéma asiatique" pourrait fort bien égayer vos soirées et vous arracher une parcelle d'innocence et/ou de crédulité quand on est biberonné depuis notre enfance à un Septième Art plus conventionnel, terre-à-terre.
Mais voilà, tôt ou tard, ça devait arriver ! Le cyberpunk est de retour le temps d'une chronique sur Cinéma Choc avec un sacré client qu'il aurait été impensable de ne pas être abordé dans nos colonnes un jour ou l'autre. Je veux bien sûr parler d’Electric Dragon 80 000 V. Un titre détonnant et au nom résonnant comme un trip boosté à la pile à uranium enrichi. Inutile de dire que la lecture seule du titre suffirait à émettre des soupçons de sa provenance nippone.

On ne présente plus ce courant alternatif très particulier en son genre dont le représentant par excellence est le splendide et culte Tetsuo, dont j'incite les hérétiques ne le connaissant pas (ou ne l'ayant pas encore vu) à le rechercher sur le blog (loin de moi l'envie de faire la pub de mes anciens billets). Mais l'heure n'est pas à Shinya Tsukamoto, mais bien à Sogo Ishii. Un hurluberlu loin d'être un anonyme dans son pays natal, mais, sans surprise, méconnu dans nos contrées. Il est plus qu'évident que son nom interpellera certains puisqu'il est le géniteur de plusieurs réalisations qui se sont vus être affublées avec le temps d'une réputation plus que favorable. Le Labyrinthe des Rêves, Burst City et Crazy Thunder Road sont souvent mentionnées comme les œuvres proéminentes de Ishii, mais c'était avant qu'un nouveau venu ne vienne se frayer une place dans ce cercle VIP, donc Electric Dragon 80 000 V.

18

Outre le fait qu'il soit un film phare de son auteur, il est très fréquemment rangé dans la case des indispensables du mouvement cyberpunk ruisselant, il faut le dire, de nombreuses réalisations souvent approximatives et parfois même molles. Du cyberpunk mou. Quel vulgaire oxymore qui reflète pourtant bien une pathétique réalité. Je ne pourrais que conseiller le visionnage de Meatball Machine si vous tenez à vous faire du mal par pure curiosité sadomasochiste. Mais oublions ce lamentable travail pour nous concentrer sur un film pour le moins endiablé.
ATTENTION SPOILERS : Dragon Eye Morrison a été électrocuté lorsqu'il était enfant. Depuis, il communique avec les reptiles et libère toute l'énergie électrique concentrée en lui en s'épuisant sur sa guitare. Thunderbolt Buddha, un justicier foudroyé à l'adolescence, le provoque en duel.

Du grand art digne du Pays du Soleil Levant avec un Sogo Ishii très en forme dans ses idées de départ. Comment et avec quelle(s) substance(s) a-t-il pondu son pseudo scénario ? Là est la question mais ce que je me permettrais à dire est que les habitués de cinéma standard risquent fort bien de passer un mauvais moment s'ils n'acceptent pas le délire de ce type. L'histoire, aussi conne qu'une quille, n'est qu'un prétexte pour l'auteur de décharger toute sa folie créative dont les limites sont bien difficiles à être aperçues tant il ne se refuse aucune excentricité et fourmille d'idées en tout genre. Autant dire que tourner la sauce dans un style basique n'aurait valu rien de plus que la fatale étiquette "insipide et à éviter de toute urgence". Démarrant par un bref moment d'histoire sur la place du dragon à travers les âges via le folklore et autres mythes, Ishii développe le pourquoi du comment.

téléchargement (2)

Le dragon est une créature imaginaire avant tout synonyme de puissance qui est partagée par tous les peuples. On trouve sa présence autant au Japon qu'en Afrique ou en Scandinavie, un peu comme si toutes ces civilisations se seraient trouvées ensemble à un instant T pour bâtir un folklore commun. Ainsi, le dragon est une entité commune à toute l'humanité et qui revêtira les traits de Dragon Eye Morrison, électrocuté dans sa jeunesse en atteignant le sommet d'un pylône électrique. Ayant un courant de 80 000 V le traversant en continu, il a parfois des sursauts de crise l'obligeant à décharger toute sa folie dans une guitare qu'il manipulera tel un Jimi Hendrix sous amphétamines.
En parallèle, Thunderbolt Buddha est un étrange homme partageant des activités d'informaticien et de justicier. A l'instar de Morrison, tout superpouvoir a ses défauts et, pour le coup, il est frappé d'une schizophrénie l'incitant à s'autodétruire. Sa schizophrénie est clairement explicite car représentée par un demi-masque qu'il arbore en permanence. Deux hommes qui en arriveront à un duel sans merci. Vous trouvez que cette chronique a des allures de présentation de match de boxe ? Rien d'étonnant puisque Electric Dragon 80 000 V est lui-même mis en scène comme tel. Et pour cause, les personnages parlent peu entre eux car l'essentiel passe par une voix-off n'étant pas apparentée à un rôle de narrateur mais plus à celui d'un présentateur ou d'un animateur.

Les inserts de texte tels qu'ils sont vus dans les films muets, mais version psychédélique, sont un exemple très représentatif du borderline recherché et revendiqué par Ishii. Mais tout cela ne peut occulter le fait que Electric Dragon 80 000 V fait parler les images sans intégrer constamment un texte oral. Les images se suffisent à elles-mêmes. Le tout prend alors des proportions de clip délirant et jouissif qui ne pourra que retourner la cervelle du cinéphile qui osera s'y essayer. Car si nous sommes forcés de reconnaître qu'il ne sera pas élu comme film cyberpunk le plus épileptique, son ingéniosité en fait un produit bon à court-circuiter nos charmants petits neurones.
Mais ne vous méprenez pas car si la mise en scène a beau se poser dans un rythme quelque fois calme, les phases plus énergétiques ont le don de secouer vos orbites partant dans tous les sens au rythme effréné de la guitare de Morrison. Ainsi, le combat final tant attendu qui mènera jusqu'à l'utilisation belliqueuse d'une centrale électrique tient toutes ses promesses en termes de dégénérescence en bonne et due forme. Cependant, attention à ne pas voir en Electric Dragon 80 000 V un film de combat original à plus d'un titre car il a d'autres atouts dans sa manche. Ainsi, Ishii remplit doctement les codes du cyberpunk consistant à sonder l'Homme en milieu urbain.

téléchargement (1)

Tout au long des 55 minutes de bobine, les personnages sont écrasés par les immeubles, buildings, rues encombrées de voitures, ruelles exiguës. La population environnante voit chacun de ses éléments semblant être dans sa propre petite bulle, déconnectés du réel. Comme de fait, l'électricité est omniprésente et est synonyme de fluide déstabilisateur du mental. Son utilité semble converger paradoxalement vers l'inutilité, à l'instar de ces larges panneaux publicitaires ou d'endroits vides où ne se justifie pas l'utilisation d'électricité. Ishii établit un lien de causalité entre l'urbanisation oppressante et tape-à-l'œil et l'atteinte psychologique des personnes entrant dans un état de rage face à ces espaces ternes, se déchargeant d'une nature indésirable. Une mégalopole anxiogène mêlant intrinsèquement le cœur battant du pays et des âmes en perdition détraquées par les ondes, une mauvaise qualité de l'air et le désordre spatial. On ne peut que saluer le superbe travail sur la beauté du noir et blanc rendant bien évidemment hommage à Tetsuo. Une mention pourra être faite au travail sonore mêlant punk rock, bruits de guitare distordus et techno industrielle dans un maëlstrom collant parfaitement à l'ambiance délirante du contenu. Côté acteurs, le très connu Tadanobu Asano incarne Dragon Eye Morrison avec un certain panache. Les thuriféraires d’Ichi The Killer ne pourront que s'émerveiller de sa présence. De l'autre, Masatoshi Nagase prend les traits de Thunderbolt Buddha avec son regard noir tétanisant.

Mais peut-on ressortir des défauts de cette œuvre où la musique omniprésente conforte sa réputation de clip sévèrement perché que beaucoup lui ont attribué ? On sera tenté de dire que les 55 minutes ont un goût de trop peu et que le délire aurait pu être encore un peu plus poussé dans ses retranchements pour rajouter 20 petites minutes supplémentaires. En dehors de ça, aucune accusation ne peut être fournie. C'est avec une joie non négligeable que je ressors d'un court périple marqué par la médiocrité cinématographique qui m'a vu poser à trois reprises la note finale peu glorieuse de "navet".
Rien de plus agréable que d'être face à un projet réalisé de bon cœur, sans que le spectre du profit à tout prix ne vienne parasiter les intentions du réalisateur. Electric Dragon 80 000 V est une œuvre vraie, sincère, qui témoigne d'une irréductible passion du Septième Art et d'une indicible envie de faire découvrir de nouvelles expérimentations au cinéphile ouvert d'esprit, désireux de toucher à autre chose qu'un schéma "classique". Aux intéressés, sachez que ce sympathique moyen-métrage vous est offert gratuitement sur YouTube mais en version originale sans sous-titres. Rien d'alarmant car, comme je l'ai dit avant, les images se suffisent à elles-mêmes pour vous embarquer dans un voyage où le rock ne vous aura jamais semblé aussi... électrique.

 

 

Note : 15/20

orange-mecanique Taratata