Genre : Drame, thriller (interdit aux - 18 ans à Hong-Kong/interdit aux - 16 ans chez nous)
Année : 1973
Durée : 1h50
Synopsis :
Durant la seconde guerre mondiale, quelques jeunes femmes sont emmenées dans un camp nippon pour servir les bas instincts des soldats de l’Empire du Soleil Levant.
La critique :
C'était prévisible depuis ma dernière chronique, mais je vous avais dit que mon travail allait se diriger un temps sur une petite rétrospective des Cat III et de la Vague pré-Cat III. Rappelons brièvement que ce terme, qui fait fureur chez les laudateurs du Septième Art transgressif, s'assimile à l'ultime réprobation, soit une interdiction aux moins de 18 ans, correspondant chez nous à une noble interdiction aux moins de 16 ans. Officiellement, selon le site spécialisé Cinémasie, le tout premier film à être estampillé de ce cachet est sorti en 1988 sous le nom de Gunmen. Pourtant, il ne s'agit là que de la Cat III telle qu'on la connaît car son ancêtre, moins bien connu, a officié bien avant, entre le début des années 70 et la fin des années 80 en posant les pierres fondatrices du cinéma d'exploitation ; où la violence et l'obscénité étaient débridées dans un pays soumis au régime tout puissant du PCC (Parti Communiste Chinois). Les précurseurs seront les controversés Shaw Brothers qui en font un vrai marché au potentiel très important avec des premières sorties pour le moins polémiques.
Et c'est là que nous allons rentrer dans la partie intéressante puisque j'ai l'honneur de vous parler du Numéro 1, du tout premier métrage à s'être vu octroyé ce cachet, j'ai nommé Camp d'Amour pour Chiens Jaunes, ou The Bamboo House Of Dolls dans sa version anglaise. Vous avez bien lu que cette oeuvre a bénéficié d'une traduction française.
Mentionnons que nous étions alors en 1973 dans une époque de libération des moeurs et de volonté de bousculer l'ordre établi. Sur la scène française, Cinéma Choc a su plus d'une fois étayer ses dires en abordant des pellicules françaises jugées indécentes pour notre époque et qui ne seraient probablement pas possibles à réaliser en 2019. Sauf que même avec ça, notre première relique pré-Cat III sera à l'origine d'un beau tollé au sein de la censure française. A ce niveau, les infos manquent cruellement ! On ne sait pas s'il est le premier film à avoir subi l'interdiction aux moins de 16 ans qui concerne la Cat III de par chez nous. On ne sait pas non plus s'il a connu une exploitation dans l'Hexagone car aucun sous-titrage français ne semble circuler. Ce que l'on sait, c'est que sa présence sera jugée fortement indésirable car visiblement très xénophobe et misogyne.
A n'en point douter, c'est un bâton de dynamite que lança le réalisateur Kuei Chi Hung, pilier et prolifique réalisateur de films de sorcellerie et de thrillers fantastiques dont il s'agit du 9ème film. Oui ! Sous cette pochette outrecuidante d'un film en apparence basique et sans histoire se cache un véritable monument novateur, hélas tombé en désuétude, du cinéma HK.
ATTENTION SPOILERS : Durant la seconde guerre mondiale quelques jeunes femmes sont emmenées dans un camp nippon pour servir les bas instincts des soldats de l’Empire du Soleil Levant.
Mais permettez-moi d'abord de vous prévenir avant de débuter la chronique. Aux personnes un minimum fleur bleue, il est conseillé de passer outre la lecture et de ne surtout pas avoir l'idée saugrenue de visionner cette... chose. Il conviendra sérieusement de laisser toute éthique et tout humanisme bien enfermé dans une petite boîte à double-tour au risque de hurler à l'immoralité après quelques minutes. J'avais déjà exprimé ces propos en chroniquant le très discutable Lost Souls, de Mou Toun Fei qui était un bonhomme qui ne versait pas dans la dentelle, d'un point de vue traitement des êtres humains mais là on monte encore un palier plus haut dans le surréalisme. Pour les esprits les plus impressionnables, rien d'étonnant car la Cat III n'a jamais eu de velléité d'intellectualisme.
Toutefois, compte tenu du contexte, le doute en assaillira plus d'un dans un premier temps vu que la trame se déroule durant la sanglante guerre sino-japonaise qui vit le tristement célèbre Massacre de Nankin perpétré par les forces japonaises. Comme il était de rigueur à l'époque, les camps de détention étaient monnaie courante pour certaines nations un peu trop belliqueuses. A fortiori, on serait en droit de se dire qu'un film s'imbriquant dans cette sinistre période allait prendre son sujet très au sérieux et avec la plus grande intégrité morale possible.
Mais ça c'était en théorie car Chi Hung n'a pas l'air de se préoccuper le moins du monde des règles de bienséance et de respect de l'histoire. La trame scénaristique de Camp d'Amour pour Chiens Jaunes peut se diviser en deux parties. Une première moitié se contente de filmer et mettre en scène le camp de concentration numéro 13 où sont séquestrées de jeunes et jolies femmes après le raid de soldats nippons dans un hôpital de la Croix Rouge à la recherche d'un aviateur anglais. A ce sujet, la première séquence vaut son pesant de cacahuète via ce splendide générique de début filmant une hystérie contagieuse d'infirmières pétant les plombs face aux exécutions arbitraires des soldats de l'Empire. Il fallait oser ! Privées de liberté, les prisonnières ne sont pas au bout de leurs peines car il s'agit maintenant pour elles de survivre dans un environnement dans le plus pur style WIP ("Women In Prison").
Réduites à moins que rien, elles sont affublées de tenues aguicheuses, endurant les maltraitances et satyriasis de leurs bourreaux. Point d'importance : une commandante se trouve parmi ces bourreaux, et particulièrement revêche qui plus est ! Donc les jérémiades de la misogynie omniprésente, on sait ce que l'on en fait ! En revanche, la pondération sur la domination patriarcale sera de mise, vu que le Camp 13 fait office de joyeux bordel où les soldats peuvent se délecter du plaisir de la chair féminine en toute impunité, quoique le lesbianisme de notre commandante ne tardera pas à se montrer.
Balancées en pâture à des officiers enragés, parfois saouls, la cadence industrielle des infâmies se succède à un rythme extraterrestre. Le spectateur en prend constamment dans la gueule au point qu'il en vient à se demander si le cinéaste a tous les engrenages correctement mis en place et si ce qu'il voit n'est pas un délire issu de son inconscient. Une nymphe non-voyante qui ne sait pas trop pourquoi elle est seule avec un soldat dans une pièce forcée de marcher sur du verre pour échapper aux avances un poil trop insistantes. Il fallait y penser ! Et ce n'est qu'une goutte dans l'océan car rarement un film ne se sera montré aussi gratuit dans sa violence à un point qu'il semble presque prôner le manque de respect envers la vie humaine. Combat de chiffonnières dénudées, humiliations tant physiques que psychologiques, viols avec ou sans gode ceinture (en bois ou en pierre, vous choisirez le matériau le plus agréable pour le vagin féminin), tortures, nymphomanie incontrôlable des prisonnières, exécutions gratuites.
Camp d'Amour pour Chiens Jaunes est une sorte de gigantesque pense-bête de toutes les choses peu orthodoxes à intégrer à un film d'exploitation. Dimension WIP oblige, dès que possible, un sympathique nichon sera montré face caméra, que cela se fasse dans une bagarre ou dès qu'une femme tombe.
L'avalanche est telle que le cinéphile finit par avoir le cerveau court-circuité au point de s'emballer à chaque violence commise en en voulant toujours plus, que cela soit harcèlements sexuels, scènes érotiques, victimes embrochées à la baillonnette ou fusillées de trois chargeurs. A la fin du visionnage, on ressort de là estourbi, gonflé au mauvais goût et presque désireux de foncer à l'église la plus proche pour absoudre nos péchés au confessionnal. Chi Hung a réussi l'exploit de nous transformer en authentique bête voyeuriste jubilant sur une histoire qui n'en est pas une et ce n'est pas la deuxième partie relative à une amnésique connaissant la cachette de dizaines de caisses d'or et une tentative d'évasion qui remonteront le niveau. La provocation outrancière suinte par tous les pixels de l'image.
Le scénario n'est qu'un prétexte pour accumuler scènes de combat, accumulation de macchabées et effusions de sang. Comprenez bien que le cinéaste se contrefout de la retenue au niveau historique, de toute forme de véracité et de crédibilité car l'unique objectif est de raviver la flamme de nos bas instincts et pour le coup, il l'aura ravivé avec une quantité de kérosène suffisante à un Airbus pour faire 3 fois le tour de la Terre.
D'ailleurs, il est bon de toucher un mot sur l'esthétique de Camp d'Amour pour Chiens Jaunes car l'image est en totale contradiction avec la saloperie ambiante. Tout est éclairé, chatoyant avec plans sur la nature luxuriante et effets de lumière conjugués à la morbidité de la situation. La séquence par excellence est celle d'une femme, coupable de tentative d'évasion, parvenant à s'enfuir d'une pluie de coups de fouet pour finir grillée comme une saucisse sur les barbelés électriques des murs du camp et en arrière-plan, un très court instant sur un soleil éblouissant. Sans compter le final dont le clin d'oeil aux chanbaras de Kurosawa (oui, oui !) transparait explicitement.
Par contre, on tiquera sur une caméra quelque fois maladroite mais ça c'est un autre sujet. Côté son, ça reste propre au cinéma d'exploitation : correct mais pas exceptionnel. Enfin, pour les acteurs, on verse dans le grand n'importe quoi assumé car ils confortent la réputation "bis" du film, soit en cabotinant, surjouant ou en ayant le charisme d'une huître avariée. Les acteurs ne bénéficient d'aucun travail de fond ou de personnalité. Ils ne sollicitent aucunement l'attachement et ne sont là que pour s'en prendre plein la gueule. Néanmoins, je défie quiconque de ne pas glousser de rire devant les occidentales du film parlant cantonais à la perfection. Citons les principaux acteurs : Lo Lieh, Birte Tove, Wang Hsieh, Lee Hye-sook, Terry Lau Wai-Yue, Got Ping, Chen Feng-Chen et Li Min-Lang, Roska Rozen et Niki Wane.
Ma conclusion sera irrévocable. Camp d'Amour pour Chiens Jaunes, et je suis sérieux, est un film qu'il faut voir pour le croire tant son irrévérence est impossible à envisager pour une époque pareille. Aucun étonnement à la polémique qu'il fera chez nous, même avec la croisade contre le puritanisme bourgeois en toile de fond. Il faut croire que même les plus virulents partisans de la libération des moeurs ont des limites et que ce The Bamboo House Of Dolls est celui qui les dépassera allègrement. On n'est guère surpris que la pellicule fut taxée par certains de véhiculer des idées décadentes jugées socialement dangereuses. Représenter les chinois comme des victimes systématiques et les japonais comme des tortionnaires fous à lier eut raison d'un parti pris un peu trop appuyé qui confortera la réputation xénophobe du métrage. Pour le caractère misogyne, autant amplifier cela à l'ensemble du genre WIP. Provocant, dérangeant, proprement scandaleux, sans la moindre once d'éthique et de respect envers le genre humain, totalement racoleur, putassier et gratuit, tels pourraient être les termes qui le décriraient le mieux. Pourtant, si on parvient à se laisser prendre au jeu, c'est à un nectar stratosphérique, singulier et absolument impossible à refaire aujourd'hui que nous aurons droit.
Un pur produit de son époque qui envoie valdinguer d'un coup de ranger droit dans les chiottes la bien-pensance et le politiquement correct. Et bien qu'il soit indéniable que le film suscitera l'opprobre et les critiques véhémentes à son égard de certains, je ne peux que le recommander ! Car quand, à un moment donné, on atteint ce niveau d'irrévérence et d'inhumanité, ce n'est plus du simple mauvais goût mais de l'Art avec un grand A !
Note : Art/20