Genre : Thriller, drame, policier (interdit aux - 12 ans)
Année : 2005
Durée : 2h
Synopsis :
Sun-woo est le bras droit de Kang, figure éminente de la pègre. Tueur efficace et administrateur doué, tenancier d'un hôtel de haut standing, Sun-woo ne vit que pour son gang. Sa vie bascule le jour où il accepte de surveiller la toute jeune maîtresse du patron, suspectée par ce dernier d'infidélité. Sun-woo, tombé sous le charme de la jeune femme, décide de taire la liaison qu'elle entretient avec un jeune étudiant, trahissant ainsi le code d'honneur de la mafia.
La critique :
Oui je comprends et partage votre déconvenue. Encore un énième film asiatique chroniqué par mes soins sur Cinéma Choc ! Quand ce ne sont pas la Cat III et la Nouvelle Vague japonaise, c'est au cinéma coréen du Sud de bénéficier de mes bonnes faveurs. Mais comment réfuter le fait que l'Asie, et en particulier la Chine, le Japon et la Corée du Sud, sont des contrées fascinantes dans leur vision sans concession du cinéma ? Plus libres, moins soumises à la doxa bien-pensante qui sclérose le Septième Art par sa vision absurde, risible et contre-productive. Bien sûr, nous parlons de notre époque contemporaine et non pas du temps où l'irrévérence était bienvenue, parfois même revendiquée et que je n'ai pas eu la chance de connaître avec mon quart de siècle au compteur. Bref, il est inutile de disserter davantage sur la Corée du Sud, comme j'ai eu l'occasion de le faire plus d'une fois, sous peine de passer pour un sénile avant l'heure. Il convient de toute façon de dire que ce pays a fini par s'immiscer comme destination de choix pour les laudateurs patentés de thriller de qualité, plus transgressifs que les nôtres et plus décomplexés dans leur violence également. Pour tout dire, même les films interdits aux moins de 12 ans sont d'un taux de barbarie plus élevée quand on y pense. Du moins, c'est mon ressenti.
Jadis, Cinéma Choc s'est intéressé à deux reprises à l'un des réalisateurs les plus en vogue de son pays, j'ai nommé Kim Jee-woon via son oeuvre ultra-violente et choc la plus célèbre du nom de I Saw The Devil (ou J'ai Rencontré le Diable) et le thriller horrifique 2 Soeurs. Se limiter à cela aurait été bien malvenu, d'autant plus si nous ne parlons pas à un moment ou à un autre de son autre film le plus célèbre avec le métrage susmentionné. Ce film se nomme A Bittersweet Life et est, pour la petite info, dans mes projets de chronique depuis très longtemps en finissant toujours, à un moment ou à un autre, par être dépassé. Lassé de le reléguer au dernier moment au second plan, c'est hier que je ne fis aucune concession et, devant une casserole de pâtes, tandis que la session d'examens de rattrapage et la préparation de ma présentation de TFE m'empêchaient d'avoir un minimum de vie sociale, j'appuyais sur le bouton Play. Il faut dire que le pedigree était plus qu'intéressant : sélection officielle au Festival de Cannes 2005, Grand Prix dans la catégorie action au Festival du Film Asiatique de Deauville, Prix du meilleur second rôle masculin pour Hwang Jeon-min lors des Grand Bell Awards de 2005. De quoi apporter une confiance supplémentaire après le statut coréen.
ATTENTION SPOILERS : Sun-woo est le bras droit de Kang, figure éminente de la pègre. Tueur efficace et administrateur doué, tenancier d'un hôtel de haut standing, Sun-woo ne vit que pour son gang. Sa vie bascule le jour où il accepte de surveiller la toute jeune maîtresse du patron, suspectée par ce dernier d'infidélité. Sun-woo, tombé sous le charme de la jeune femme, décide de taire la liaison qu'elle entretient avec un jeune étudiant, trahissant ainsi le code d'honneur de la mafia.
Dans son idée même de départ, A Bittersweet Life nous prouve d'emblée que ça ne sera pas à un thriller gentillet que nous allons être confronté. Le héros principal n'est campé que par un anti-héros à la personnalité torturée. Evoluant dans la mafia coréenne avec toutes les sympathies de son patron pour son travail expéditif et sans états d'âme, il bouscule les codes que nous connaissons, habitués à une figure héroïque plus droite et éthique. D'apparence posée, timoré, d'un calme déboussolant, il peut partir en vrille à tout moment pour exaucer la volonté de son chef. Sun-woo est le pur produit d'une soumission et d'une dévotion totale au milieu criminel, à l'instar des petites frappes baissant les yeux et s'excusant en permanence. S'il s'attire les faveurs et congratulations de circonstance, il n'en reste pas moins asservi avec une vie ne tournant qu'autour de son gang.
Il n'a pas de femme, pas d'amis, ne semble pratiquer aucune activité sociale ou quelconque moment de détente. Il est totalement à la solde de son clan comblant l'entièreté de son existence qui ne reposerait alors sur rien d'autre que la vacuité dans toute son essence si on en arrivait à lui retirer cela. Et c'est pourtant bien ce qu'il se passera quand il fera la rencontre de la maîtresse de son patron pour la surveiller. Frappé par le charme irrésistible de la jeune femme, elle est celle qui lui fera retrouver un moment d'humanité au beau milieu du chaos dans lequel il évolue et qu'il engendre.
Il fait ce qu'il n'a jamais fait auparavant : offrir une seconde chance. Il fait acte de tolérance envers un de ses semblables en l'excusant pour son acte. Il voit en elle ce qu'il n'a pu faire ni devenir : un homme épanoui et à la vie trépidante. Elle sort, a une vie sociale, a une vie sentimentale. Tout ce dont il semble secrètement rêver émane d'elle. A ce moment précis, il transparaît explicitement qu'il n'est pas épanoui et qu'il a choisi une vie qu'il a fini par regretter. Le problème étant que son choix humain aura de graves répercussions sur la suite des événements car il se fera dénoncer. Kidnappé, torturé, frappé par des hommes qu'il ne connaît pas pour obtenir des excuses de sa part, il pense encore avoir à faire à des hommes extérieurs à son camp. Du moins, en théorie, car son patron est derrière toute cette souffrance pour le corriger d'une erreur impardonnable. La trahison du code d'honneur de la mafia coréenne est un fait grave, passible d'une mort sans sommation. Parvenant à s'échapper, il réalise que son boss qu'il idolâtrait n'était qu'un engrenage perfide d'un milieu malsain qui ne fait de cadeaux à personne.
Tout démarre de son acte de pardon qui le libère d'un système dans lequel il était conditionné. Ouvrant les yeux, il se voit face à ce qu'il était. Un être déshumanisé jouant avec la vie des hommes. Humilié par ses frères, désormais seul, perdu et sans alternative, il entreprend une action vengeresse expéditive en tuant un par un les hommes de main de son gang pour remonter jusqu'à Kang, son chef.
C'est ici que la deuxième partie commence. L'arme qu'il se procurera sera le moyen salvateur pour se soulager de son fardeau et retrouver son intégrité en se débarrassant de ses bourreaux. Il veut faire table rase sur son passé, effacer ceux qui l'ont maltraité et écrasé. Désormais acculé, il n'a plus d'autre choix. C'est là que, sans quelconque manoeuvre subreptice, Kim Jee-woon nous interroge sur le concept de bien et de mal, sur ce qui régit nos pulsions et sur notre rapport à la vengeance basée sur ces mêmes pulsions animales. Malin, il brouille nos repères, ne sachant pas vers quel bord nous tourner entre un ancien tueur semant, désormais plus que jamais, la mort dans son sillage ou une mafia toute puissante et incapable de se remettre en question.
Comme dit Kang, un père de famille a toujours raison. Bien sûr, il est somme toute logique d'excuser le massacre perpétré par Sun-woo et de l'encourager pour débarrasser la ville d'un mal parfaitement organisé et hiérarchisé qui la ronge. Sauf que le cinéaste nous prend à notre propre piège en nous transformant en produit de violence incitant Sun-woo à verser le sang. Il nous transforme un temps en bête éprise d'animosité, révélant la véritable face cachée de l'être supposé civilisé.
Que l'on soit intègre aux yeux de la société ou en marge, cette part d'inhumanité est inscrite en chacun de nous. La vengeance est le propre de l'être humain censé être l'entité terrestre la plus intelligente. Elle ne disparaît jamais complètement. Le cinéphile se voit à travers les yeux de Sun-woo, se met à sa place et pourra nourrir cette pensée interne "Si j'étais à sa place, j'aurais fait pareil !". Car, entendons-nous bien que l'on ne parle pas d'une petite remontrance et quelques claques par-ci par-là. Je vous laisserai seul juge du voyage en enfer que vivra Sun-woo pour avoir été humain et avoir réalisé que la normalité qu'il croyait être n'était que la souffrance et la déshumanisation.
Le final en apothéose et d'une intensité record ne pourra que prendre à la gorge avant de s'achever toujours avec cet arrière-goût en bouche dont les coréens ont le secret. Seulement, on attendait tout de même mieux comme manière d'amener à ce bad-end. Car justement, en termes d'intensité, A Bittersweet Life n'en démord pas. Ne sombrant à aucun moment dans un faux rythme, toute l'accroche ne provient que de cette faculté de faire corps avec Sun-woo, partageant ses pensées et états d'âme et surtout de voir à quel point le récit monte en puissance. On s'attend au pire et nous ne sommes pas déçus. Les combats sont d'une grande brutalité, le sang vole, les balles traversent les corps en harmonie. Ceux qui espéraient de la violence graphique sans atteindre des sommets d'infâmie (interdiction aux moins de 12 ans, rappelons-le) en auront pour leur argent. Est-il nécessaire de dire que les 2 heures voleront à toute vitesse ?
Bien sûr, A Bittersweet Life se montre être aussi un bon élève sur son visuel. La mise en scène est léchée, les décors urbains sont de toute beauté, mis en valeur par des plans larges et aérés. Les effets de lumière sont d'excellente qualité. On regrettera peut-être ce choix dans la bagarre générale de Sun-woo contre les sbires de Kang d'avoir quelques rapides plans sur une caméra semblant être au niveau de ses épaules. Pas très bien pensé pour la lisibilité des combats. Heureusement, ils ne seront pas nombreux mais malgré tout... La composition musicale est tout aussi remarquable avec des sons en total accord avec l'ambiance pesante de Séoul et de ses bas-fonds. Et les acteurs, là encore, se débrouilleront tout aussi bien. La palme est à Lee Byung-hun, toujours aussi excellent dans ses rôles forts.
De prime abord taiseux, sa véritable personnalité, sensible et désenchantée, va se révéler dans sa vendetta sanglante. Une mention est à faire à Hwang Jung-min et son visage balafré amplifiant davantage ses traits d'être sadique. Citons aussi Kim Young-chul, Shin Min-a, Kim Roe-ha, Lee Ki-young et Oh Dal-su pour les principaux.
Et une fois de plus, la Corée du Sud se démarque et excelle dans la noirceur de ses thrillers bien rôdés, ne laissant rien au hasard. Définitivement, A Bittersweet Life n'a en aucun cas usurpé sa réputation de film incontournable de sa patrie. Démarrant sous un ton gentillet, voire même rudimentaire, c'est une véritable plongée dans les méandres de la folie humaine et de toute sa dépravation qu'il va obliquer. Affichant l'Homme sous un jour peu reluisant, il met en lumière la véritable facette de la mafia. Même commercialement intégrée à la société, elle reste une entité barbare, usant de tous les moyens nécessaires pour servir ses objectifs et éliminer les éléments indésirables. Même les plus fidèles serviteurs ne sont pas à l'abri s'ils en viennent à faire la moindre erreur.
D'une grande violence graphique pour son interdiction, perturbant dans sa tonalité, voire même choquant, A Bittersweet Life confirme une réelle érudition de son géniteur bien avant qu'il n'accouche de J'ai Rencontré le Diable, sa pièce maîtresse. Une réflexion très intelligente et subtile sur notre conscience se permettant même le toupet de solliciter une potentielle introspection sur nous-même empreinte de maïeutique. Après des siècles d'évolution et l'avènement d'une civilisation condamnant la violence (en théorie...), comment en est-on arrivé là ?
Note : 17/20