Le_Sang_des_betes

Genre : documentaire, shockumentary (interdit aux - 18 ans, film censuré)
Année : 1949
Durée : 22 minutes

Synopsis : Montrant la mort des animaux dans les abattoirs parisiens de la Villette et de Vaugirard, ce film vériste est un des documentaires les plus directs sur cet univers de travail. 

 

La critique :

Lorsque l'on invoque le terme (ou plutôt le néologisme anglicisé) de "shockumentary", on songe invariablement aux "Mondo" et aux deaths movies. Ces deux registres du cinéma underground jouent allègrement le didactisme du documentaire transi de véracité et du fait réel pour flagorner un public en manque de barbaques sanguinolentes. Et c'est ce qu'ont parfaitement compris Gualtiero Jacopetti et Franco Prosperi juste après la sortie de Monde Cane (1962). Si ce film prodrome acte et officialise la naissance du "Mondo", il corrobore surtout cette appétence de l'audimat pour le consumérisme, l'égotisme et cette scopophilie obsessionnelle, voire maladive.
Présenté en compétition au festival de Cannes, Mondo Cane suscite les irascibilités de la censure. Sur la forme, ce "documenteur" explore les us et les coutumes de peuplades séculaires.

Tantôt virulentes, tantôt pittoresques, tantôt outrecuidances, les saynètes rutilantes estourbissent durablement les persistances rétiniennes. Or, toutes les scènes sont factices et savamment fomentées par Gualtiero Jacopetti et ses sbires. Grimé en journalistes, voire en reporters, les cinéastes requièrent l'assentiment de comédiens anonymes, voire amateurs. Grisés par ce succès inopiné, Gualtiero Jacopetti et ses prosélytes réitèrent les mêmes scansions mortifères via Africa Addio (ou Africa Blood and Guts) en 1966. Cette fois-ci, Gualtiero Jacopetti et Franco Prosperi analysent et dénoncent la paupérisation du continent africain.
Déjà, à l'époque, ce nouveau shockumentary contient des séquences de massacres animaliers. Certains laudateurs du cinéma trash évoquent un film pionnier en termes d'insanités, de vilenies et de maltraitances proférées sur la faune et la flore.

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Pourtant, Africa Addio n'est pas ce long-métrage charnière. Contre toute attente, il faut obliquer vers notre cinéma hexagonal, et en particulier vers un documentaire (cette fois-ci, un vrai !), intitulé Le Sang des Bêtes, et réalisé par la diligence de Georges Franju en 1949. La carrière de ce metteur en scène démarre dès la fin des années 1930. Il se démarque en tournant essentiellement des documentaires et des courts-métrages, notamment Hôtel des invalides (1951), Le grand Méliès (1952), Navigation Marchande (1954), Monsieur et Madame Curie (1956), ou encore Les Rideaux Blancs (1965). Georges Franju va affermir et ériger sa notoriété dès l'orée des années 1960, avec Les Yeux Sans Visage (1960), un film gore et d'épouvante qui reste probablement son chef d'oeuvre le plus proéminent.
A postériori, il enchaînera avec Pleins feux sur l'assassin (1961), Thérèse Desqueyroux (1962), Judex (1963), La faute de l'Abbé Mouret (1970), ou encore Nuits Rouges (1974).

Bien qu'il date de la période d'après-guerre, on euphémise à tort l'impact de Le Sang des Bêtes. Nonobstant ses soixante-dix printemps au compteur, ce documentaire reste d'une étonnante actualité, surtout à l'aune de la prédominance de certaines doxas écologistes et radicales, entre autres le mouvement végan, de plus en plus pregnant sur les réseaux sociaux et même dans l'industrie de consommation. D'un point de vue idéologique, Le Sang des Bêtes fait office de documentaire vériste, un courant littéraire, artistique et philosophique qui enjôle à la fois le réalisme, l'objectivisme et le naturalisme. A l'époque, déjà, ce shockumentary avant l'heure semonce et gourmande le massacre d'équidés dans les abattoirs parisiens.
Avec l'essor de l'agroalimentaire, ce sont désormais plusieurs races d'animaux qui sont carrément menacés d'extinction, ou encore rudoyés et estampés dans des conditions insalubres.

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Indubitablement, Le Sang des Bêtes a probablement influencé d'autres documentaires nantis des mêmes velléités, entre autres Terriens - Earthlings (Shaun Monson, 2005), Blackfish (Gabriel Cowperthwaite, 2013), Le cauchemar de Darwin (Hubert Sauper, 2005), Dominion (Chris Delforce, 2018), The Cove - La Baie de la Honte (Louie Psihoyos, 2009), The Ghosts in our machine (Liz Marshall, 2014). La dénonciation de l'exploitation animale, que ce soit dans les rayons des supermarchés ou dans certaines industries pernicieuses, est désormais le principal leitmotiv de certains mouvements aux principes rigoristes. Pour combattre les ressorts pernicieux de la globalisation, il faut - à minima - employer les mêmes armes. Une autre révolution est en marche...
Sur le sujet spinescent des abattoirs, Le Sang des Bêtes est souvent répertorié parmi les shockumentaries les plus virulents sa catégorie.

Autant l'annoncer sans fard. Le Sang des Bêtes n'a absolument pas usurpé sa réputation sulfureuse. Certes, derechef, ce documentaire date de 1949, mais il reste soumis à l'ultime réprobation, soit une interdiction aux moins de 18 ans. Pis, ce court-métrage de 22 minutes a suscité les invectives et les acrimonies de la censure pour sa violence extrême. C'est probablement la raison pour laquelle le documentaire de Georges Franju s'est noyé dans les affres de la désuétude et des oubliettes. Aujourd'hui, plus aucun réalisateur de renom ne se hasarderait à réaliser un documentaire aussi édifiant sur l'équarrissage et l'écurage (ou l'extraction des viscères et des boyaux) de l'animal. Personne... Sauf Georges Franju... Avec une telle thématique, Le Sang des Bêtes, est loin de faire l'unanimité. Certaines critiques spécialisées critiquent et vitupèrent ce documentaire pour cette même radicalité. 

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Certains contempteurs évoquent même un long-métrage partial. En sus, la style de Georges Franju serait absent, voire méconnaissable. A contrario, certains laudateurs patentés encensent et adoubent ce documentaire pour cette même âpreté. Evidemment, un tel shockumentary ne pouvait pas escarper à la plume affûtée de Cinéma ChocEn l'occurrence, le synopsis de ce documentaire est aussi simplissime que lapidaire. Attention, SPOILERS ! Montrant la mort des animaux dans les abattoirs parisiens de la Villette et de Vaugirard, ce film vériste est un des documentaires les plus directs sur cet univers de travail. Certes, bon gré mal gré, Le Sang des Bêtes s'auréole d'une consonance historique et sociologique puisqu'il montre, en filigrane, les conditions de travail de certains manutentionnaires dans les abattoirs parisiens de l'époque. Ainsi, on découvre, hébété, un ouvrier affublé d'une jambe de bois après un malencontreux accident de travail.

Mais Le Sang des Bêtes n'a pas du tout pour aspérité de se polariser sur la condition ouvrière. La rhétorique du film repose continûment sur ce geste fatal (létal...) qui consiste à empoigner l'animal, à l'allonger sur une table (un échaudoir) sommaire, à l'estourbir, puis à le décapiter manu militari. Quant au sang qui coagule, il laisse également transparaître un ultime réflexe, celui de cette bête qui se débat, tout en exhalant son ultime soupir. Pour ceux qui exècrent et abhorrent (à juste titre) les exactions et les ignominies pratiquées sur des animaux (ici, principalement des chevaux), merci de quitter prestement leur siège et de retourner gentiment dans leurs pénates. 
D'un point de vue formel, Le Sang des Bêtes peut aisément se colleter à cette litanie de death movies et de snuff movies spécialisés dans les turpitudes de l'exploitation animalière.

Mais ce qui dénote le plus, dans ce documentaire d'un réalisme inouï, c'est cette dichotomie infrangible entre toutes ces brutalités et un décor fluvial et parisien qui vient subrepticement s'apposer aux animosités ambiantes. En dépit de sa brutalité et de sa violence, Le Sang des Bêtes souffre pourtant d'une certaine obsolescence. Depuis la fin des années 1940, les abattoirs se sont transmutés en véritables industries de mise à mort via toute une pléthore de bovidés et d'équidés (entre autres) parqués, claustrés et dilapidés avant de subir les lames acérées de machines indomptables, le capitalisme mécanique ayant cédé la place à une globalisation inexpugnable.
Il se dégage de ce documentaire une mélancolie ineffable, ainsi qu'un lyrisme indicible. Un véritable oxymore pour ce shockumentary à la fois réaliste et déviant. 
A contrario, Le Sang des Bêtes reste sans doute la pierre angulaire de tous ces documentaires chapitrant toute cette frange de l'industrie de consommation. En l'état, difficile d'attribuer une note idoine à ce documentaire. C'est donc la circonspection qui est de mise...

 

Note : ?

sparklehorse2 Alice In Oliver