Genre : Drame, érotisme (interdit aux - 16 ans)
Année : 1969
Durée : 1h12
Synopsis :
Une femme tue accidentellement son époux policier, alors que celui-ci se disputait violemment avec son frère, rangé du côté des activistes.
La critique :
Et oui, vous ne rêvez pas ! Encore une autre pellicule du célèbre et sulfureux Koji Wakamatsu dans la continuité d'une rétrospective qui lui est dédiée. Car comment passer sous silence un cinéaste aussi talentueux, ayant bouleversé l'ordre établi et pouvant s'enorgueillir du statut d'icône du pinku eiga ? Vous savez, ce genre que j'ai présenté à de nombreuses reprises et que je me dois encore de le faire par pur respect pour les éventuels nouveaux lecteurs qui nous liraient. Ainsi, ceux connaissant la chanson par coeur pourront passer cette introduction pour me rejoindre directement en-dessous de la première image. Car vous n'êtes pas sans savoir que l'après Seconde Guerre mondiale est une période trouble, sombre pour un Japon ravagé autant physiquement que moralement. Le pays se remet péniblement des catastrophes d'Hiroshima et de Nagasaki pour lesquelles les américains n'ont jamais été poursuivi (et rappellons aussi que l'Armistice avait été signée).
Comble de l'ironie, l'impérialisme américain s'immisce dans la société et avec lui les valeurs élémentaires du capitalisme et l'avènement de la TV dans les foyers. Les sociétés de production alarmées par une baisse considérable de la fréquentation des salles de cinéma et, par extension, des rentrées financières vont alors plébisciter un sang neuf qui s'éloignerait du classicisme de jadis.
Cela se fera à deux niveaux. D'une part, une batterie de nouveaux réalisateurs vont forger ce qui sera la Nouvelle Vague japonaise. D'une autre part, le financement de métrages racoleurs où sexe et violence en seraient revendiqués donnent naissance au pinku eiga qui connaîtra ses heures de gloire. Sa popularité proviendra aussi de l'interdiction de la pornographie qui ne pourra que contribuer à l'essor du genre. Le japonais a besoin d'évacuer ses pulsions internes, son mal-être d'une société en plein bouleversement et des cinéastes répondront à leur attente. Je pense qu'il n'est plus vraiment nécessaire de procéder à l'exégèse de Wakamatsu dont nous avons là le 10ème billet qui lui est dédié. C'est plus que le nombre de chroniques portant sur la filmographie de Akira Kurosawa et c'est probablement l'homme à avoir été le plus populaire sur Cinéma Choc en termes de textes.
Mais croyez-moi qu'il le mérite amplement et que ça ne sera pas près de s'arrêter, dans la limite de mes possibilités d'acquisition bien évidemment car c'est tout de même un étudiant (presque) sans salaire qui vous parle. Bref, celui qui fera les honneurs de ce nombre spirituel sera Running In Madness, Dying In Love. Un titre noir pour un film tout aussi noir qui n'est toutefois pas vraiment cité parmi les oeuvres proéminentes de son géniteur. Ce qui ne veut, en fin de compte, rien dire dans son cas.
ATTENTION SPOILERS : Une femme tue accidentellement son époux policier alors que celui-ci se disputait violemment avec son frère, rangé du côté des activistes.
Comme toujours avec Wakamatsu, un synopsis simple allant directement au but sans s'embarrasser de circonvolutions diverses. Il faut toutefois se remettre dans le contexte historique de l'époque car Running In Madness, Dying In Love fait écho à la révolte étudiante ayant démarrée au printemps 68 suite à l'augmentation des frais d'inscription à l'université qui, à partir de 1965, fait monter le mécontentement chez les jeunes japonais amplifiant la paupérisation des classes les plus défavorisées accédant pour la première fois aux études supérieures. En même temps, le traité de sécurité nippo-américain est contesté, de même que les manifestations contre la guerre du Vietnam germent un peu partout. Des émeutes extrêmement violentes éclatent, menées par le syndicat étudiant Zengakuren. La répression est terrible, engendrant de nombreux morts et des milliers d'arrestations.
Ainsi, le film s'ouvre sur des images d'archives en noir et blanc montrant le chaos social de cette défiance envers le pouvoir en place et l'interventionnisme de l'Oncle Sam. Il était alors logique que les deux frères, l'un policier et l'autre activiste de gauche, ne pouvaient s'entendre. L'un reprochant à l'autre d'être un homme corrompu à la solde du gouvernement en place liquidant l'opposition. L'autre le considérant comme un parasite voulant contribuer à l'effondrement de la société. Parmi eux, la femme du policier qui exécutera le geste fatal en abattant son mari pour fuir avec son beau-frère dans un road trip sans espoir.
On donne alors naissance à une épopée cauchemardesque d'un couple ayant longtemps entretenu une attirance mutuelle cachée, freinée par les liens du mariage asservissant la femme contrainte de se marier avec un homme qu'elle n'a, semble-t-il, jamais vraiment aimé. Car, en ces temps, cette union se faisait par arrangement entre les familles. En tuant, elle se libère de ses contraintes existentielles et surtout sexuelles. Elle transgresse l'interdit en nouant une liaison avec le frère de la victime, donc son beau-frère. L'idéalisme d'un frère désireux de mener à bien la révolution l'a séduit et ce voyage sans but fera en sorte qu'ils se laisseront aller à leurs pulsions, cette envie charnelle longtemps réfrénée par l'interdit. On reconnaît bien là Wakamatsu qui n'a jamais caché son engagement explicite envers l'envie de briser toutes les barrières. Le meurtre suivi d'une passion amoureuse empreinte d'une extase charnelle renvoie au brûlot anarchiste puisque c'est à la fabrication d'une famille faite de toute pièce par des parents intégristes qu'il s'attaque avec véhémence. Toutefois, ce couple qui naquit sur un passé destructeur est profondément tourmenté, vivant dans un déni malfaisant.
La femme, regrettant son geste, songe au suicide tandis que le frère s'évertuera à dire que ce n'est pas sa faute s'ils en sont là, qu'elle est innocente. D'une certaine manière, nous pourrions voir son acharnement comme une tentative d'annihiler ses responsabilités car tout démarrera de son refuge chez son frère menant à la dernière dispute entre eux.
Néanmoins, le frère, déjà en fuite dès le début de l'histoire, semble plus se focaliser sur ses problèmes privés plutôt que sur sa détermination sans faille et son engagement dans la lutte sociale qui ne transparaît que par quelques dialogues pseudo-révolutionnaires, loin du lieu de combat. Ne tenons-nous pas là le triomphe de l'amour et du sexe sur toute chose, même celles allant jusqu'à l'émergence d'une civilisation plus juste, plus pacifique et, pire encore, jusqu'à mener à la mort d'un être humain ? Ce meurtre salvateur pourrait se voir sous différents prismes mais se réunissant toutes sur le point de convergence qui est l'union sexuelle. L'incoercible attirance et le fait de mettre fin à cette politique de mariage oppressive semblent être deux motivations découlant plus d'un acte inchoatif que d'un accident à part entière. Face à cette honte, seul le sexe leur permettra de s'évader loin de ce monde.
L'orgasme sera le point culminant de cette échappée d'une destinée funeste, quand bien même aucune quiétude et atticisme ne sauront être de mise, en raison de la construction de cette liaison faite sur un crime.
Dans cette fuite éperdue, un instant très important aura lieu. L'érotisme ne pourra permettre l'évacuation de toutes ses rancoeurs et c'est face à la mer, l'horizon lointain semblant infini qu'il hurlera son engagement politique. Il hurlera sa haine vivace de l'américanisme et glorifiera les valeurs idéologiques de gauche. Dans Running In Madness, Dying In Love, le désespoir est présent à toutes les strates de l'expérience, en même temps que la dimension érotique a rarement été aussi présente et puissante sans à aucun moment verser dans le grotesque. Filmant ces corps autant de manière frontale qu'en surimpression avec en arrière-plan des paysages urbains et naturels, il démontre que le sexe n'a pas de frontières, que l'amour survit à toutes les contraintes.
Cependant, la femme sera déstabilisée par les fantômes du passé, ces réminiscences incontrôlables en noir et blanc où elle voit son mari défunt la regarder amèrement alors qu'elle fornique. Qu'ils le veuillent ou non, ce charme pur, ces sentiments vrais sont pervertis. L'apparence est belle mais le fond est obscur. Si la froideur des films de Wakamatsu n'est plus à démontrer, il apparaît évident que Running In Madness, Dying In Love est dans le haut du panier et ce n'est pas le final fondé sur l'abandon qui dira le contraire. Malheureusement, tout n'est pas parfait car le cinéaste a tendance à s'éterniser alors que le film n'est déjà pas très long. Il en résulte un sentiment de mauvaise lenteur nuisant au choc durable.
Pour dévier sur l'habituel avant dernier paragraphe, certains seront ravis, ou non, de voir que nous avons là un film entièrement colorisé, ce qui pourrait penser que Wakamatsu a eu plus de moyens financiers que les autres tournés en noir et blanc. Ceci dit, certains pourront se montrer circonspect sur la chose en trouvant qu'il manque ce rendu type et cette atmosphère caractéristique du noir et blanc. Cette impression sera à attribuer à tout un chacun mais nous ne pouvons nier la beauté des paysages enneigés dont la signification est apparentée à la mort de tout optimisme. Niveau son, on délaisse les partitions jazzy pour quelque chose de plus conventionnel et là encore, cela dépendra des spectateurs. Pour ma part, fervent adhérent à ce type de composition musicale jazzy, je l'ai trouvé moins marquante, plus passe-partout. Et pour les acteurs, on reste sur quelque chose de correct, dans la tonalité propre aux autres pellicules créées. On retrouve Ken Yoshizawa, Yoko Muto, Rokko Toura, Hatsuo Yamaya et Shigechika Sato.
Une autre chronique à la gloire de l'un des plus grands réalisateurs des années 60 selon les éminentes critiques s'achève et avec elle toujours cette fascination caractéristique. Il est incontestable que Running In Madness, Dying In Love est une autre élaboration de qualité qui devrait logiquement ravir les laudateurs de Wakamatsu. A travers ce couple en cavale hanté par l'impardonnable, Wakamatsu explore les rapports et sentiments tumultueux de deux âmes en perdition sur une longue route sans idéal dont l'issue n'en sera que glaciale. Si la pureté de leur passion naissante est réelle, on ne peut masquer ce désenchantement qui les frappe durablement. Lorgnant parfois dans le surréalisme comme nous le voyons, par exemple, avec ce fou en manque de sexe surgissant de nulle part et agressant la femme sur la plage, Running In Madness, Dying In Love reste un film de son époque, engagé, parfaitement imbriqué dans les terribles conditions sociales et dénonciateur de générations désoeuvrées, dont l'épanouissement semble lointain et ne pouvant qu'être obtenu par la guerre physique.
Car dans un Japon contemporain amené à rejoindre l'ordre international naissant, les aspirations des jeunes sont prégnantes et toutes les armes létales, ou non, quelles qu'elles soient ne sauront jamais éteindre la flamme les guidant vers leur émancipation.
Note : 14/20