Genre : Drame, thriller
Année : 1967
Durée : 1h44
Synopsis :
Ils sont sept. Sept enfants de 4 à 13 ans, qui vivent avec leur mère dans une petite maison de la banlieue de Londres. Mais lorsque celle-ci meurt, les enfants, craignant d'être envoyés à l'orphelinat, cachent le décès aux yeux de tous. Chaque soir à neuf heures, ils se recueillent dans l'abri de jardin où ils ont enterré leur mère. Mais un jour, leur père disparu depuis des années refait surface.
La critique :
Avec le temps, vous n'êtes pas sans savoir que Cinéma Choc affectionne énormément les métrages insolites et/ou rarissimes tant en support physique qu'en lisibilité sur le Web français. Evidemment quand ceux-ci sont de qualité, cette injustice est d'autant plus impardonnable. Il serait inutile de citer ceux qui ont déjà été ou seront abordés mais nous pouvons sans trop de soucis rajouter à cette prestigieuse liste des oubliés le dénommé Chaque Soir à Neuf Heures, de son vrai nom Our Mother's House, qui est un chouïa mieux que sa traduction française. Et pour cause, parvenir à tomber sur le format physique risquera fort bien de vous causer pas mal de sueurs froides pour arriver à mettre la main dessus, et ce n'est pas faute d'avoir prospecté avant de rédiger cette courte introduction.
Car il faut savoir aussi qu'il n'y a jamais eu d'édition DVD à ce jour et que Chaque Soir à Neuf Heures a mis plusieurs années avant d'être exploité chez nous. Fort heureusement, le sacrosaint-Téléchargement, vilipendé à tort par les pouvoirs publics et les maisons de production, permet de faire perdurer tout ce petit monde qui, sans ça, aurait très certainement sombré à jamais dans les abysses du Septième Art. Ce n'est désormais plus un secret pour personne que le téléchargement permet de faire perdurer une culture beaucoup plus conséquente qu'on ne le croit, avec en prime une gratuité pour les petits budgets permettant de s'instruire à coût inexistant.
Certes, si la plateforme LaCinetek parvient à offrir un catalogue pas trop mal de films pointus (on éludera poliment le cas Netflix), on reste loin de la disponibilité gigantesque du téléchargement illégal. Peut-être que si un Spotify version cinéma voyait le jour, les choses se passeraient autrement mais le temps que la pièce se mette à tomber, "l'illegal download" a encore de beaux jours devant lui, malgré toutes les tentatives vaines pour y mettre fin. Que soit, le réalisateur britannique derrière ce petit film se nomme Jack Clayton. Un homme qui n'est pas un inconnu puisqu'il est derrière la version de 1974 de Gatsby le Magnifique, ainsi que Les Innocents, souvent considéré comme l'un des meilleurs films d'épouvante. Hélas, en dehors de ces deux-là, un quasi silence radio est de mise.
De fait, il s'est spécialisé dans les adaptations littéraires, la pellicule d'aujourd'hui ne dérogeant pas à la règle puisqu'elle est tirée d'un roman de Julian Gloag. La trame pour le moins audacieuse et sombre en a décontenancé plus d'un à l'avoir vu. Catalogué comme oeuvre dérangeante et d'une grande violence psychologique, elle peut se targuer d'une solide réputation chez les cinéphiles chevronnés et adulateurs de réalisations oubliées. Pour la petite anecdote, c'est grâce à la liste érudite des films perturbants de SensCritique que je fis sa rencontre. Pour l'obtention, ce ne fut guère compliqué grâce à quelques forumeurs altruistes.
ATTENTION SPOILERS : Ils sont sept. Sept enfants de 4 à 13 ans, qui vivent avec leur mère dans une petite maison de la banlieue de Londres. Mais lorsque celle-ci meurt, les enfants, craignant d'être envoyés à l'orphelinat, cachent le décès aux yeux de tous. Chaque soir à neuf heures, ils se recueillent dans l'abri de jardin où ils ont enterré leur mère. Mais un jour, leur père disparu depuis des années refait surface.
Vous le sentez ce début de malaise qui se profile à la première lecture du synopsis ? Oui, je l'ai eu moi aussi et je ne peux que corroborer les impressions générales de ceux à l'avoir vu, le classant à mi-chemin entre le drame familial et le thriller fantasmatique. Jack Clayton s'est lancé dans le pari ambitieux de faire un film noir sur l'enfance, en l'occurrence la pire perte qui puisse arriver à un jeune qui est celle d'un parent. Ici il est question de la mère dont l'attache métaphysique est puissante chez tout un chacun puisque nous sommes issus de son ventre. Chaque Soir à Neuf Heures est un film sur le deuil et, brillamment mis en scène, cela ne peut qu'être déchirant et conduire qu'à la réussite ou, dans le cas contraire, au fiasco et au pathétique comme on a pu le voir avec des oeuvres lamentables telles PS I Love You ou La Vie est Belle de Roberto Benigni (je sens que je ne vais pas me faire des amis en le citant). La crainte était de mise mais Clayton a su retransmettre avec une grande sincérité et réalisme cette première partie voyant la mère exhaler son dernier soupir, suivi de ses 7 enfants paniqués, au bord des larmes, plongés dans l'incompréhension. Pas de violons ni de fausses émotions !
La séquence frappe durablement où il faut, et ce n'est que le prélude à ce qui suivra. La peur de l'inconnu et de l'idée faussée de l'orphelinat vu comme une prison où les enfants sont maltraités et humiliés, le tout couplé au refus de quitter leur mère, va les amener à l'enterrer dans le jardin en érigeant par dessus un sanctuaire fait de briques et de tôles où ils se recueillent chaque soir avec une Diana chargée de communiquer avec la mère de l'au-delà pour transmettre ses ordres et ses desiderata.
En construisant ce tabernacle, comme ils l'appellent, c'est à une sacralisation de la mère et des souvenirs vécus auxquels ils se livrent chaque soir à neuf heures. Ayant grandi dans un milieu catholique où ils ont logiquement assimilé les enseignements de la Bible, ce rite prend l'allure d'une béatification où la mère se transmue en la Vierge Marie, la force du Bien les guidant dans leur quête et dans leurs choix. Leur quête se résumant à vivre comme avant, en cachant aux yeux de tous, le décès. La construction d'un nouveau foyer juvénile rappelle indubitablement le film culte Sa Majesté des Mouches où il était question de gosses livrés à eux-mêmes, sans adultes. Sans en arriver aux événements extrêmes de l'oeuvre de William Golding, une nouvelle société se fonde sur un socle de mélancolie d'un temps passé. La vie s'organise entre l'encaissement des chèques, les courses et les relations distantes entretenues avec ceux qui oseraient franchir la porte. Quelques tensions éclatent mais rien de bien méchant.
Mais ce qui s'annonçait comme une nouvelle vie semée d'hypothétiques embûches prendra un tout autre tournant lorsque leur père qu'ils ne connaissaient pas va faire irruption dans leur existence. D'abord souriant, il montrera vite son masque d'ivrogne impertinent, dépensier, antipathique, coureur de jupon et irrespectueux envers sa progéniture. Cette deuxième partie se finissant dans une intensité dramatique rare pour s'achever sur une amère dernière scène.
En effet, Chaque Soir à Neuf Heures n'a pas usurpé sa réputation de long-métrage perturbant et austère. A l'ambiance glaciale s'ajoute l'aspect religieux prenant une dimension nouvelle lors de l'arrivée du patriarche. Cette figure paternelle est aux antipodes de la mère et s'apparente ni plus ni moins qu'au Mal. S'il n'en arrivera jamais à battre et torturer ses petits chérubins, le barbarisme psychologique est bien de la partie pour ces mômes frêles, naïfs et suintant l'innocence. Il n'est de fait pas très gai de se faire claquer à la figure du haut de leurs 13 ans maximums des reproches comme quoi ce sont des parasites et des êtres détestables qui l'étouffent. Bien sûr, cela ira encore plus loin dans les reproches mais j'en resterai à ce stade pour conserver l'impact.
Vous l'avez compris, son installation dans le foyer familial fait voler en éclat l'environnement conçu par ces mouflets dont la maturité impressionne, autant par la gestion de leurs émotions, de l'abandon, de l'absence de sentiments réconfortants (câlins et bisous). Même avec le père aux commandes, ils se sentent toujours orphelins et délaissés car il est incapable de leur offrir un amour digne, une protection sans failles et concevoir des conditions propices à leur épanouissement.
On a donc la représentation authentique d'un papa indigne qu'il aurait mieux fait de stériliser plutôt que de lui permettre de s'accoupler. Car même avec un adulte à leurs côtés, la vie se rapproche plus de la survie car il faut savoir surmonter les conséquences d'un homme qui boit en permanence, ne paie pas les factures, dépense toutes les économies durement gagnées et fait l'affront de ramener une traînée pour la coucher dans le lit de sa défunte épouse. Chaque Soir à Neuf Heures cogne où ça fait mal grâce à cette cruauté existentielle, ce malheur qui ne devrait toucher aucun enfant de cet âge. Mais malheureusement, c'est loin d'être le cas tant pour le deuil que pour le/les parent(s) violent(s).
Malgré le choc frontal, le film se veut très sobre et ne tient jamais à amplifier son sujet pour sombrer dans un suspense de mauvais goût qui aurait plus pris les allures d'un ersatz du mythique La Corde d'Alfred Hitchcock que du malheur enfantin. Pareillement pour la composante dramatique ne se prostituant jamais aux insupportables mièvreries et pitoyables lamentations. Le rythme relativement posé pourra en lasser plus d'un. Il est vrai que l'on pourra déceler quelques passages à vide et dialogues dispensables mais ça reste peu de chose.
Il est évident que le résultat technique du film sera sujet à controverse au vu de sa non exploitation en DVD empêchant de fournir une belle adaptation visuelle, léchée. Le cachet vieillot ressort beaucoup sans que cela ne reste particulièrement dérangeant. La très grande majorité des décors se résumeront à la froideur de cette maison à l'ambiance tendue et anxiogène, ainsi qu'au jardin délabré. On a clairement déjà vu des maisons plus chaleureuses que ça. Reste que Clayton n'est pas un manche et sait diriger la caméra pour s'enorgueillir toujours d'une juste manière de filmer. Le son, quant à lui, est discret, peu présent. Ce qui est très bien car le silence amplifie la lourdeur présente.
Enfin, Chaque Soir à Neuf Heures est l'un de ces films qui ne peut que susciter le respect tant la direction d'acteur concernant les enfants est prestigieuse. De mémoire, il fait partie de ces crus ayant l'une des meilleures interprétations de marmots que l'on ait vu jusqu'à présent. Et ils sont sept ! Margaret Leclere, Pamela Franklin, Louis Sheldon Williams, John Gugolka, Mark Lester, Phoebe Nicholls et Gustav Henry. Gare à ne pas minorer également Dirk Bogarde parfait dans ce salaud de père répugnant.
Partagé entre l'amertume de sa confidentialité et l'engouement de lui avoir offert une des rares chroniques en français, je finalise cet énième billet se rajoutant à mon titanesque travail de, désormais, plus de 400 chroniques. Que dire de plus qui n'ait été dit sur le fait que Chaque Soir à Neuf Heures est une oeuvre hautement recommandable, choquante, moralement éprouvante oscillant plus dans l'inclassable que dans un genre prédéfini. Dépeignant un microcosme sombre ayant émergé sur une horrible situation, Clayton nous subjugue, galvanise notre intérêt et notre malaise, étouffés par cette atmosphère suffocante dont nous ne serons débarrassés qu'au générique de fin.
Les parents ne sont, en effet, pas toujours des figures angéliques et pleines de gentillesse. Brisant la monotonie et la complicité de Elsa et de ses frères et soeurs, le père ne pourra que susciter notre mépris à son égard et face à lui des enfants impuissants, dépassés par tant d'obstacles difficilement surmontables pour leur psyché. Bouleversant et suscitant nombre d'interrogations, Chaque Soir à Neuf Heures nous rappelle aisément la malchance que peuvent avoir certains gosses qui n'ont rien demandé et n'aspiraient qu'à une jeunesse heureuse, ponctuée d'amour maternel et paternel. Une création terrible qui ne peut être cantonnée à l'anonymat.
Note : 16/20