Genre : Drame, péplum, fantastique (interdit aux - 12 ans)
Année : 1969
Durée : 1h50
Synopsis :
Médée la magicienne, fille du roi de Colchide, voit arriver sur sa terre le prince Jason venu enlever la Toison d’or, l’idole de son peuple. Tombée folle amoureuse du jeune Grec, elle trahit sa famille et son pays en dérobant pour lui la Toison d’or et s’exile à ses côtés. Des années plus tard, alors qu’elle lui a donné deux enfants, l’homme pour qui elle a tout abandonné se détourne d’elle pour une femme plus jeune.
La critique :
Il y a peu, je vous avais prévenu que le cinéma italien aurait la part belle ces prochaines semaines, aux côtés du cinéma japonais restant toujours mon petit chouchou. Ainsi, le cinéma transalpin, vu dans l'inconscient collectif comme la Babylone des amours impossibles et de la romance éternelle, a une grosse part sombre en elle. Si nous éluderons volontiers sa scène trash contemporaine, complètement antinomique du néo-réalisme italien ayant apporté ses lettres de noblesse et la réputation que nous connaissons tous du pays, sa noirceur de jadis, évoluant sur une route opposée et, d'un point de vue historique, non concomitante de ce beau courant n'est pas à prendre à la légère.
Outre le fameux style giallo qui s'auréola d'un grand succès en son temps, un autre homme beaucoup plus énervé, aux convictions idéologiques fortes et indéboulonnables sévissait. Eloigné du serial-killer tenant un couteau dans sa main gantée de noir, des zombies et autres apparitions fantomatiques, il préférait les drames coup de poing, la tragédie sociale exhibant en pleine lumière l'affreux, la bassesse humaine. Mal aimé de la bourgeoisie qu'il tançait et de la scène bien-pensante, il réussit pourtant ce pari de s'immiscer parmi les cinéastes incontournables de sa patrie, au grand dam de certains.
Oui, comme je vous l'avais promis, ces prochaines semaines seront marquées par un petit retour de Pier Paolo Pasolini que l'on ne présente plus et qui a toute sa place sur un blog aussi subversif que Cinéma Choc. On pourrait même le propulser comme notre emblème "choc" du Septième Art transalpin. Malheureusement, il est trop souvent réduit honteusement à son film testament, Salo ou les 120 Jours de Sodome, que certains se sont contentés de voir sans aller plus loin dans sa filmographie, parce qu'ils ont eu vent de sa réputation d'un des films les plus violents de l'histoire et que la petite poussée d'adrénaline prenait le pas sur la raison. Bien dommage quand on voit la richesse de son travail qui a heureusement une solide aura dans les milieux cinéphiles.
On ne procédera tout de même pas à son exégèse pour sa 6ème apparition sur le site avec Médée, sorti en 1969 et qui symbolise sa dernière création avant qu'il ne s'embarque sur sa Trilogie de la Vie pour finir en beauté, si l'on peut dire, avec Salo, avant qu'il ne soit brutalement assassiné à 53 ans dans des circonstances pour le moins troubles. Une destinée funeste dont l'issue n'est peut-être pas aussi imprévisible qu'on pourrait le croire quand on voit l'esprit naturellement corrosif de son oeuvre et les mystères entourant son roman Pétrole qui, soit n'a jamais été écrit, soit n'a jamais été retrouvé. Mais l'heure n'est pas à la réflexion de thèses et débats sur sa mort mais bien d'obliquer sur un nouveau billet qui lui est dédié.
ATTENTION SPOILERS : Médée la magicienne, fille du roi de Colchide, voit arriver sur sa terre le prince Jason venu enlever la Toison d’or, l’idole de son peuple. Tombée folle amoureuse du jeune Grec, elle trahit sa famille et son pays en dérobant pour lui la Toison d’or et s’exile à ses côtés. Des années plus tard, alors qu’elle lui a donné deux enfants, l’homme pour qui elle a tout abandonné se détourne d’elle pour une femme plus jeune.
Si l'on se risque à effectuer une comparaison, ce n'est pas la première fois que Pasolini s'essaye au péplum puisqu'il sévissait déjà il y a 5 ans avec L'Evangile Selon St-Matthieu. En l'occurrence, ici même nous ne sommes plus du tout dans le même registre puisque nous serons transportés dans l'histoire antique avec le célèbre mythe de la Toison d'Or, de Jason et de Médée qui s'énamourera de lui et lui permettra d'obtenir ce précieux dû en trahissant sa famille et son pays par amour. Cette fuite éperdue les mènera en Corinthe où Jason tombera amoureux de Glaucé, la fille du roi Créon. Suite à cela, Médée est anéantie et est contrainte à l'exil avec la complicité de Jason car rejetée depuis toujours en raison de son statut d'étrangère. Ivre de vengeance, elle tuera sa future rivale en lui offrant une tunique qui, à peine enfilée, s'enflamme. Sombrant de plus en plus dans la folie, elle finira par égorger ses deux enfants et incendiera le palais royal. Voilà qui a le mérite de faire fuir les personnalités les plus timorées, vu le mythe de Médée, particulièrement sombre et constitué d'une succession de meurtres et de fuites éperdues.
Toutefois, l'objectif de Pasolini n'est pas de retranscrire avec une véracité plus ou moins objective cette épopée légendaire mais d'adapter à sa sauce ce conte en lui attribuant des questionnements de nature contemporaine. Ses moult voyages en Afrique et en Asie lui ont fait prendre conscience de la fracture nette et profonde entre l'Occident et l'Orient. Médée va symboliser ce conflit entre ces deux parties d'un monde alors sous tensions géopolitiques, résultant de la Guerre Froide.
Cette dichotomie va concerner le couple représenté par Jason, incarnant la raison et l'avancée, et Médée imbriquée dans l'enseignement des rites, des croyances, de son attachement à la nature par le biais de sacrifices. D'un côté, l'Occident arrogant se croyant le porte-étendard du progrès civilisationnel et de l'autre, l'Orient vu comme barbare et incompréhensible. L'alliance entre ces deux mondes est faite mais les liens sont troubles. Pasolini va revisiter cette relation qui n'en est pas une en humanisant cette femme bernée par les ambitions démesurées de Jason qui apparaît sous un visage peu flatteur. Jason représente les peurs du réalisateur, son hostilité au capitalisme semant les dérives individualistes dans son sillage. Il en est justement un parfait archétype puisqu'il utilisera Médée à ses propres fins pour arriver à son but final. Il fornique, suscite l'espoir d'une dame esseulée, embrigadée dans une société aux antipodes de la sienne et vue comme arriérée, lui donne des enfants pour revenir sur ses positions par la suite, victorieux de sa quête. Ce que nous voyons là est une métaphore des bouleversements socio-économiques de l'Italie en plein troubles sociaux, voyant l'avènement d'un nouveau mode de vie, de la sacro-sainte consommation qui va lentement, mais sûrement étrangler les bases de jadis.
C'est la fin de l'Ancien Monde sur un Nouveau Monde fait d'opportunisme et d'égoïsme. Un palimpseste civilisationnel, ni plus ni moins.
Médée est, en quelque sorte, un pur produit du consumérisme que l'on utilise et que l'on jette une fois qu'elle n'est plus nécessaire. Cet Ancien Monde oppose aussi la solidarité, la dévotion et le respect aux valeurs occidentales déshumanisées regardant de haut ceux qui n'acceptent pas leur ton moralisateur. Sa simple et unique trahison épouse déjà les enseignements de Jason qui la pervertit. Voleur excentrique et hypocrite, il tourmente une femme aussi majestueuse que silencieuse. Infidèle, il l'est aussi en batifolant avec une autre en dragueur impotent et niais. Là encore, la grandeur morale est annihilée pour une soumission à la consommation des sexes. L'amour est écrasé par la domination sexuelle et le plaisir d'entretenir des relations potentiellement sans lendemain au lieu de faire voeu d'allégeance envers une femme qui lui a tout offert et à qui il a dit oui les yeux dans les yeux.
La glorieuse Grèce prend alors les traits d'un cerveau reptilien sans honneur et pour qui la fin justifie les moyens. La terrible vengeance de Médée va, un temps, incarner le triomphe du Monde originel sur le Nouveau en le défiant. Empreinte de monstruosité et de narcissisme, elle crée l'abomination de l'infanticide, émergeant du plus grand désespoir en réponse au péché de l'adultère. C'est le refus de l'abdication de l'Ancien Monde refusant de se conformer à un nouveau chapitre de l'histoire de l'humanité.
On retrouve bien la désillusion de Pasolini, son pessimisme sur la condition humaine une fois qu'elle a sombré dans la spirale capitaliste. Le dernier plan voyant Jason désespéré réclamant le corps de ses enfants que Médée, cernée par les flammes environnantes, lui refuse obstinément ne peut que marquer les esprits. La violence psychologique est omniprésente, à contrario de la violence graphique assez peu présente, illustrée, entre autres, par le rite sacrificiel prenant des tournures quasi documentaires, l'assassinat de Apsyrtos et la terrible mort de Glaucé. La mythologie vue dans l'inconscient collectif comme majestueuse n'a pas lieu d'être. Pasolini n'aime pas le grandiloquent et préfère la déconstruction du spectaculaire, le dépassionné. La vision est explicite lors de la traversée des Argonautes prenant plus les allures d'une troupe itinérante de badauds que les traits d'une fuite de grande ampleur.
Il se refuse à tout effets spéciaux, à se prostituer pour les moyens financiers conséquents inhérents au péplum qu'il voit comme un triomphe bourgeois. Voilà pourquoi Médée arbore plus le visage d'une oeuvre historique désincarnée et extérieure au sensationnalisme du genre. Ce choix avant tout idéologique est aussi sa plus grande faiblesse quand on voit l'envergure du récit qui aurait mérité à être plus exploité sur la longueur. Un récit qu'il faudra d'ailleurs connaître un minimum avant de se jeter dans le visionnage sous peine de risquer de ne pas comprendre grand-chose. Une austérité contre-productive qui supprime un peu ce principe de la surprise. Le fameux terme du spoil devenant une composante presque essentielle à la compréhension du métrage.
Médée tirera beaucoup de sa superbe grâce à une esthétique renversante. Si le prodigieux ne naît pas du scénario et de la mise en scène, il se retrouve dans le visuel qui est primordial sur le récit et la parole. Voilà pourquoi on attribue au film des liens de connivence avec l'univers de l'opéra. Paradoxal pour quelqu'un qui a toujours fui la bourgeoisie alors que l'opéra est en étroite relation avec cette caste sociale. Autant dire que le film impressionne dans ses décors, ses plans sur la nature environnante dépassant l'Homme dans son essence. La version restaurée risque fort bien de vous causer quelques dégoulinements de bave devant la superbe de certaines scènes. Compliments à attribuer aussi aux costumes et vêtements d'époque dont l'exigence n'est pas sans rappeler La Légende de la Forteresse de Souram où nous retrouvions déjà ce goût prononcé pour le formalisme.
La composition musicale, de son côté, est assez particulière, mélangeant des chants et des instruments issus de diverses contrées. On s'amuse à voir des musiques d'inspirations indiennes ou japonaises. Par exemple, si on fermait les yeux à certains passages sans connaître l'oeuvre, on jurerait d'être face à un chanbara de Kurosawa. Pour finir, la direction d'acteurs se montre à la hauteur. La palme revient bien évidemment à Maria Callas dont il s'agit de l'unique rôle au cinéma. Cocasse de voir cette demoiselle issue du monde de l'opéra incarner une Médée peu loquace mais dont seul le visage suffit à nous captiver. Giuseppe Gentile tire aussi son épingle du jeu en représentant un héros fourbe au sourire narquois. On retrouvera aussi Massimo Girotti, Laurent Terzieff, Margaret Clementi, Annamaria Chio, Paul Jabara et Sergio Tramonti.
En conclusion, il est très difficile de se prononcer sur une pellicule comme Médée dont l'insuccès commercial n'est pas étonnant tant il évolue en dehors des sentiers balisés du péplum en préférant la simplicité tant en termes de mise en oeuvre que de ficelles scénaristiques. Pasolini se complaît dans une relecture historique, une révision des temps passés pour les adapter au contemporain. Il montre l'effroi d'un homme qui ne voit pas d'un bon oeil les transformations nationales mais est-il indispensable de citer implicitement cela dans n'importe quel genre cinématographique ? Il est parfois bon de laisser la fiction se dérouler calmement, sans s'embarrasser de seconds niveaux de lecture qui ne sont guère l'apanage du péplum. On aurait préféré voir une réalisation mettant en scène l'histoire entière de Médée car sa fuite vers Athènes et son retour en Colchide n'est pas de la partie.
Certes, la maturité du propos est toujours bonne à prendre et profondeur il y a au point que la lecture seule de la chronique ne pourrait traiter de tous les points du film mais on ne pourra pas s'empêcher de regarder sa montre à plusieurs reprises. Comme dans toute filmographie, il y a toujours des petits ratés et Médée, s'il est loin d'être mauvais, n'arrive pas à galvaniser suffisamment notre attention pour ressortir comblé d'une expérience déconcertante, laissant en nous un arrière-goût indescriptible, pas dégueulasse mais pas spécialement agréable. A voir une deuxième fois pour se forger une opinion définitive !
Note : 13/20