Les_Frissons_de_l_angoisse

Genre : Thriller, épouvante, horreur (interdit aux - 16 ans à sa sortie/interdit aux - 12 ans aujourd'hui)

Année : 1975

Durée : 2h06

 

Synopsis :

Pianiste de jazz américain installé à Turin, Marc Daly assiste un soir au meurtre de Helga Ullman, une célèbre parapsychologue de passage en Italie. Il tente de lui porter secours, mais en vain. Déclaré témoin oculaire et lui-même victime d’une tentative d’assassinat, il décide de mener l’enquête en compagnie d’une journaliste, tandis que les meurtres se multiplient.

 

La critique :

Il faut être honnête, dans mon petit cycle cinéphile italien, Dario Argento a plutôt la côte en ce moment, en voyant se succéder à intervalles plus ou moins réguliers ses oeuvres majeures n'ayant pas encore eu la (mal)chance d'avoir été traité par nos soins. Argento ou l'une des figures tutélaires du cinéma transalpin sombre, loin de la représentation inconsciente de certains voyant en l'Italie le pays de l'amour et de la romance. Car ce pays a de solides antécédents en matière de Septième Art outrecuidant, insolent et virulent où la violence est l'autre face d'une même pièce caractérisant cette patrie. La douceur d'un côté et le sadisme de l'autre. Cinéma Choc ayant le mot "choc" dans son titre, c'est tout naturellement la seconde option qui nous intéresse. Toutefois, toujours pas de petit détour par le cinéma contemporain trash et extrême made in Marco Malattia ou Davide Pesca mais une énième plongée dans l'univers intrigant du giallo que nous avons disserté à maintes reprises. Le célèbre assassin tenant une arme blanche dans sa main gantée de noir pour résumer de manière extrêmement grossière.
La première apparition de cet élément emblématique du genre se fera dans l'un des premiers grands chefs d'oeuvre de Mario Bava nommé Six Femmes pour l'Assassin, bien qu'il jetât les premières bases l'année précédente avec La Fille qui en savait trop

On pourrait alors le voir comme le "père fondateur" du genre avec à ses côtés Dario Argento. Un duo de thaumaturges qui aura donné ses lettres de noblesse à ce courant quelque peu tombé en désuétude à notre époque hors des cercles cinéphiles. De fait, aujourd'hui, c'est à un métrage de taille auquel je vais m'attaquer et qui, aussi étonnamment que cela puisse être, ne s'est pas encore vu chroniqué. Mieux vaut tard que jamais pour Les Frissons de l'Angoisse (souvent appelé Profondo Rosso) que d'avoir une place dans nos colonnes. Si l'on se remet un peu dans le contexte historique, ce film précède la déconfiture Cinq Jours à Milan, une comédie qui fut démolie par la critique et qui vaudra à son auteur d'avouer qu'il s'agissait de sa plus mauvaise création. Cet échec fit prendre conscience à Argento qu'il était avant tout excellent dans le thriller. Les Frissons de l'Angoisse va symboliser ce retour aux sources comme quatrième giallo de son géniteur après une Trilogie Animale forte de succès et de qualité qui lui permit d'acquérir une notoriété d'époque. Le retour fut payant puisqu'à sa sortie, Profondo Rosso est porté aux firmaments par une presse unanimement dithyrambique, saluant l'extrême maîtrise du genre au point qu'il est encore souvent considéré comme le meilleur giallo jamais réalisé.
Par la même occasion, il est cité parmi les plus grandes réussites du cinéaste. Un cru de taille qui ne pouvait nous échapper.

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ATTENTION SPOILERS : Pianiste de jazz américain installé à Turin, Marc Daly assiste un soir au meurtre de Helga Ullman, une célèbre parapsychologue de passage en Italie. Il tente de lui porter secours, mais en vain. Déclaré témoin oculaire et lui-même victime d’une tentative d’assassinat, il décide de mener l’enquête en compagnie d’une journaliste, tandis que les meurtres se multiplient.

Pour l'anecdote, à sa sortie, Les Frissons de l'Angoisse aura la joie de se faire amputer de pas moins de 35 minutes par un distributeur à la ramasse. La version intégrale qui aura mis du temps à débarquer en France sera offerte par l'éditeur Wild Side pour gratifier les laudateurs de ce classique, d'un métrage d'une dimension nouvelle où l'accent sur les détails est plus que jamais important. Certes, d'un point de vue externe, la trame scénaristique est d'une enfantine simplicité, mêlant par la même occasion le paranormal. Cette thématique prend sa source dans ce congrès de parapsychologie transmuant le film en un giallo surnaturel évoluant en dehors des sentiers balisés et plus terre-à-terre du style originel. Et pour cause, le maître mot de l'oeuvre est bien la psychologie.
Nous pouvons même décemment dire que Les Frissons de l'Angoisse est un giallo sur la psychologie. Face à la brutalité du meurtre de Helga auquel assistera, bien malgré lui, Marc Daly, il ne sait pas qu'il va sombrer dans un engrenage malsain qui lui échappera constamment. En rentrant dans son appartement pour lui porter secours, il traverse un long couloir ornementé de tableaux glauques. Un tableau excentré fait apparaître le visage du meurtrier mais celui-ci n'y prête guère attention. Là est toute la dialectique centrale du film dans lequel la vérité émerge parfois de détails insignifiants.

La vérité n'est pas systématiquement palpable mais nécessite une analyse rigoureuse ne laissant rien au hasard pour la découvrir. En se concentrant sur un chemin rectiligne et univoque, Marc fait abstraction du reste et se faisant, la vérité lui échappe. Car ce qui permet de faire la lumière sur tous ces événements peut parfois se retrouver dans une simple fresque, un bout de papier, une photo ou un petit dessin. Argento mature en quelque sorte l'enquête policière et son cheminement car rien n'est facile. Il y a là une véritable approche sémiologique des images parfaitement bien maîtrisée et qui, par sa seule présence, s'éloigne de tous les films policiers un brin balisés.
Ainsi, Marc Daly est l'archétype d'un homme en dehors de son confort personnel, se mouvant dans un environnement qu'il ne connaît pas de base. Il ne connaît pas Turin et comble de tout, il est aux prises d'un serial killer sadique, dont les pulsions meurtrières émanent d'un trauma originel. Mais rien n'est aussi simple qu'on pourrait le penser. Dans sa démarche justicière, le pianiste va s'enfoncer dans la psyché de celui qui le traque, finissant par l'envelopper de ses névroses. Le fantastique prend aussi sa source de cette extériorisation de la maladie mentale influant sur les décors et les situations proposées. Les poupées renvoyant à l'enfance sont une piste aux explications des tenants et aboutissants. Elles revêtent un aspect démoniaque tout en conservant leur signification post-traumatique. C'est de l'enfance que tout commence. 

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Dans cette intrigue rondement bien menée et source de mystères, Marc va être amené à changer sa façon de penser pour arriver au bout de son objectif. La villa abandonnée aura une part très importante dans cette initiation. Bref, vous avez compris que Les Frissons de l'Angoisse va bien plus loin que le giallo classique en promouvant la sensorialité des choix et le sens du détail dans l'examen des actes passés. Mais autant dire que ceux s'attendant à un déluge de meurtres et de barbarie en tout genre pourront passer leur chemin. Profondo Rosso privilégie l'atmosphère au sang sans pour autant s'en désolidariser complètement. Les exécutions sont dures, brutales et sans concessions. On pense à cette pauvre femme à la fois brûlée et noyée dans de l'eau bouillante.
Les plans suivants laissant apparaître un visage à l'agonie méconnaissable, tuméfié par les nombreuses cloques résultant des brûlures. Mais de manière générale, il y a assez peu de crimes. Ce qui n'impacte aucunement sur l'intensité gardant toujours un rythme constant au travers de ces 2h riche en suspense trouvant sa source dans l'irréalité de temps et d'espace.

Les Frissons de l'Angoisse est aussi un très bon élève sur la question de l'esthétique puisqu'elle est prédominante et conjointe à l'ambiance austère décrite. Parfois artificielle et théâtrale comme c'est le cas dans la scène précédant le meurtre initial où Marc est en compagnie de son ami sur une place publique vide et silencieuse, elle est aussi rigoureuse et réaliste. Il y a donc une errance constante entre réel et irréel qui est osée, audacieuse mais terriblement bien fonctionnelle. La maîtrise des espaces est importante et, de manière générale, la variation des décors urbains fait acte d'un dépaysement plaisant, enrichissant l'histoire. Sur la question du son, l'érudition est toujours de la partie avec le groupe Goblin très en forme pour l'occasion. On peut le dire, Argento a trouvé de parfaits compositeurs pour ses créations. Enfin, les acteurs se montrent tous à la hauteur.
D'un point de vue personnel, j'avoue avoir souri lors de mes retrouvailles avec la belle Macha Méril que j'avais eu le malheur de rencontrer pour la première fois dans le très mauvais Le Dernier Train de la Nuit (voir ma vieille chronique pour les intéressés). Elle ne fera pas long feu mais sa prestation sera beaucoup plus à la hauteur. David Hemmings, Daria Nicolodi, Gabriele Lavia, Eros Pagni, Giuliana Calandra et Clara Calamai se débrouilleront aussi amplement bien.

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Je me suis toujours montré très circonspect sur ces qualificatifs glissants du "meilleur XXX jamais réalisé" qui est une expression qui ne me plaît pas du tout car elle n'est que beaucoup trop subjective pour être digne d'intérêt. A mes yeux, il n'y a pas de numéro 1 dans un genre mais plus un noyau dur de représentants cinématographiques. Toutefois, de par sa richesse de lecture et de son style osé, Les Frissons de l'Angoisse se hisse sans trop de difficultés dans ce conglomérat talentueux des incontournables du giallo à visionner au moins une fois dans sa vie pour tout adorateur de Septième Art et plus encore d'horreur. Mystérieux, parfois même impénétrable, la cinquième création d'Argento est beaucoup plus difficile d'accès qu'elle n'en a l'air en s'enorgueillissant d'une lecture psychologique de son univers et de ses résurgences du passé et de la schizophrénie paranoïaque dont l'impact sur tout le processus narratif se révèle édifiant. En aucun cas, Les Frissons de l'Angoisse n'aura démérité sa réputation, même si un second visionnage pourra s'avérer nécessaire pour cerner au mieux la mise en scène millimétrée et onirique établie par un démiurge italien dans ses plus belles années. Une pièce maîtresse du thriller où l'insignifiance est seule entité pour faire éclater la révélation. 

 

Note : 16,5/20

 

 

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