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Genre : Drame, thriller, historique (interdit aux - 12 ans)

Année : 2008

Durée : 3h10

 

Synopsis :

L'enfant terrible du cinéma japonais, Koji Wakamatsu revient sur "l'incident d'Asama Sanso", prise d'otage notoire au Japon en 1972, qui fut retransmise en direct par les télévisions japonaises plus de 10 heures durant, lors de laquelle une aubergiste fut retenue par cinq étudiants de l'Armée Rouge Unifiée. Une faction d'extrême-gauche prônant la lutte armée et liée à l'Armée Rouge Japonaise, futur organe du terrorisme international durant les années 70 et 80. Pourtant, les premières victimes des étudiants furent les étudiants eux-mêmes : avant le combat qui les opposa aux forces de police, quatorze jeunes gens étaient tombés, victimes du fanatisme de leurs leaders.

 

La critique :

Certains lecteurs lassés de la récurrente apparition de Koji Wakamatsu peuvent tout doucement se mettre à souffler. Cette fois-ci, nous arrivons vraiment au dernier tournant de sa carrière puisqu'après cette chronique, il n'y aura plus que deux films qui susciteront notre faveur avant de mettre fin à cette rétrospective qui lui est dédiée. L'enfant terrible du cinéma japonais, un terme à ne pas du tout minorer quand on se rappelle un peu son passé et sa personnalité sulfureuse qui mettait à mal la société japonaise et déclencha de vives réticences dans certains pays où il est toujours censuré. Ceux que certains appellent le yakuza du Septième Art, relatif à son passé dans le milieu qu'il intégra vers ses 18 ans, n'a pourtant jamais réellement reçu les satisfécits de l'Occident en son temps.
Outre le fait qu'une grande partie de sa filmographie soit toujours inédite chez nous, un certain désintérêt pour cet artiste incontournable du cinéma nippon est longtemps resté d'actualité. S'il est amplement reconnu à sa juste valeur après une certaine réhabilitation, la connaissance profonde de sa filmographie est surtout à attribuer aux cercles cinéphiles aficionados de l'Asie. Car l'on ne changera pas cette amère constatation, mais on peut tout du moins tenter tant bien que mal d'attirer certains curieux (une qualité qui se perd de plus en plus) à s'y jeter. 

Ainsi soit-il, le très gros cycle pinku-eiga se clôtura magistralement en février avec l'excellent L'Extase des Anges qui condensait toutes les interrogations et dénonciations de son cinéaste. On pourrait même le catégoriser comme le centre névralgique de Wakamatsu, son pinku phare qui le confirma définitivement comme l'emblème indéboulonnable de ce passionnant courant, sans équivalent international, retombé en désuétude. Il était logique que nous obliquions maintenant sur l'après pinku, la rétrospective devant s'achever par ses dernières créations. Et c'est à United Red Army de bénéficier de notre attention. Un gros client pouvant se targuer d'avoir frappé durablement la conscience à sa sortie et pas seulement dans son pays natal. Il rejoint le panthéon de ses rares faits d'arme médiatisés. Tout d'abord, Les Secrets Derrière le Mur et son incident diplomatique entre le Japon et l'Allemagne, puis L'Empire des Sens dont Wakamatsu fut le producteur exécutif et, enfin Quand l'Embryon Part Braconner qui fut frappé de l'ultime animadversion, soit une interdiction aux moins de 18 ans, lorsqu'il fut distribué chez nous 41 ans après sa sortie japonaise, soit en 2007.
Guère de scandale notoire pour sa dernière oeuvre mais un plébiscite unanime de la critique à son encontre, saluant l'audace et le respect de la véracité historique de son sujet traité. 

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ATTENTION SPOILERS : L'enfant terrible du cinéma japonais, Koji Wakamatsu revient sur "l'incident d'Asama Sanso", prise d'otage notoire au Japon en 1972, qui fut retransmise en direct par les télévisions japonaises plus de 10 heures durant, lors de laquelle une aubergiste fut retenue par cinq étudiants de l'Armée Rouge Unifiée. Une faction d'extrême-gauche prônant la lutte armée et liée à l'Armée Rouge Japonaise, futur organe du terrorisme international durant les années 70 et 80. Pourtant, les premières victimes des étudiants furent les étudiants eux-mêmes : avant le combat qui les opposa aux forces de police, quatorze jeunes gens étaient tombés, victimes du fanatisme de leurs leaders.

A la différence de tout ce que vous avez pu voir sur le blog, United Red Army ne boxe plus du tout dans la même catégorie. L'ère du pinku eiga est révolue, la Nikkatsu a laissé place à la propre société de production de Wakamatsu et le noir et blanc n'est plus à l'ordre du jour. Même en étant conscient de tout ceci, il faut un petit temps d'adaptation, trouver de nouveaux repères pour aborder sous un angle nouveau le travail de l'enfant terrible. Enfant qui a dû mettre les petits plats dans les grands, et c'est un euphémisme, pour mettre au monde son projet face à des producteurs peu frileux de financer cela. Au menu : hypothèque d'un petit appartement qui lui servait de bureau, mise en vente d'une salle de cinéma dont il était le gérant et, surtout, démolition de sa propre maison pour les besoins de la scène finale. Oui, vous ne rêvez pas pour ce dernier point. On imagine mal Michael Bay faire exploser son propre palace de Los Angeles pour son nouveau blockbuster survitaminé.
Toujours est-il que ces sacrifices de taille auront été payants vu le très grand succès de son dernier cri de rage aux antipodes de ses récits simples et concis. Place à l'histoire objective, à la description des douloureux faits passés ayant touché le Japon dans les années 60-70 qui concerneront la première partie du film. Ce premier segment se polarise sur l'histoire des mouvements d'extrême-gauche jaillissant dans un contexte de contestation générale, pas seulement de la politique nationale, mais aussi mondiale. 

Tourné de façon documentaire, Wakamatsu mêle les images et vidéos d'archives et certaines reconstitutions qui font des liens cohérents et crédibles. Le spectateur éberlué peut voir toute l'ampleur de la révolte étudiante, de ces nouvelles générations tançant le pouvoir qu'ils accusent d'être un vassal des USA. Un pays va-t-en-guerre responsable de la pire tragédie de l'histoire japonaise contemporaine via Hiroshima et Nagasaki. Le pacte de sécurité nippo-américain, l'allégeance du premier ministre Sato à l'Oncle Sam, l'opposition à la guerre du Viêtnam, l'impérialisme américain et l'intrusion de son mode de vie capitaliste dans un pays aux traditions multiséculaires totalement opposées au culte de l'argent et du profit. Autant de thématiques qui ont mis le feu aux poudres sans oublier l'augmentation des frais universitaires paupérisant davantage les classes sociales peu aisées.
Les manifestations mêlent des milliers de personnes, versent dans la violence avec des arrestations à la chaîne. On est scotché par la qualité des vidéos dont les mouvements de foule urbains scotchent au sens littéral du terme. L'acteur principal est avant tout la voix-off qui décrit autant la situation socio-économique, le pourquoi de telle protestation, les partis politiques et les acteurs directement impliqués ou non. On peut voir le cheminement complet qui aboutit à la formation de la United Red Army, donc l'Armée Rouge Unifiée dans sa traduction française.

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On a là un prologue qui se veut informatif sur la situation socio-politique japonaise en mêlant la fiction avec parcimonie et grande rigueur pour relater de manière la plus objective et réaliste possible l'époque d'alors. Nous ne ressentons pas cette impression d'austérité que nous rencontrions dans ses pinku eiga réalisés durant ces temps troubles. Face aux vagues d'arrestations sans précédent, certains militants partent à l'étranger, tandis que la FAR (Faction Armée Rouge) et la FRG (Faction Révolutionnaire de Gauche) fusionnent pour fonder l'Armée Rouge Unifiée qui prône la lutte armée afin de renverser l'ordre capitaliste par une guerre d'extermination et de faire revivre l'ancien Japon. C'est à partir de là que va commencer la seconde partie qui est en l'occurrence la plus longue.
Loin de la capitale, perdu dans la montagne, un chalet accueille des révolutionnaires se préparant au mieux à incarner l'idéal communiste. Ce lieu de perdition tient du fait qu'il faut se couvrir de potentielles opérations de police. Le cinéphile plonge dans le quotidien de ces jeunes d'une vingtaine d'années s'entraînant pour la lutte finale. Wakamatsu, qui n'a jamais caché sa radicalité politique et son refus de l'autorité, ne va pour autant pas épouser leurs revendications car apparaissent vite les prémisses d'un drame à venir. Aux mains de Tsueno Mori et de Hiroko Nagata, l'ARU révèle vite son visage de groupuscule totalitaire et intransigeant envers chaque membre. 

Il ne peut y avoir d'autres pensées que celle de mener la révolte. Chaque combattant doit épouser la cause, vivre pour elle, la sacraliser, voire se sacrifier et mourir pour elle si besoin en est. Dans ce cloaque, un savant processus de dépersonnalisation se met en place. Il s'agit de réduire à néant le raisonnement individuel, le libre-arbitre et l'autonomie psychologique pour ne former plus qu'un seul et unique bloc compact pensant et réfléchissant de manière unilatérale. Toute pensée divergente doit être éliminée pour garantir la pérennité du communisme qu'ils prônent. La révolution est consubstantielle des actions coup de poing et ces deux composantes ne pourront acquérir leur pleine puissance qu'en éliminant les points indésirables. Progressivement, ce groupe s'engonce dans une folie sectaire où le culte de l'autocritique est scandé afin que chaque membre se remette en question sur ses choix et ses actes. Ces séances finissent par devenir de plus en plus violentes, versant dans l'autodestruction du groupe qui finit par s'entretuer. Un micro régime de terreur naquit sur la cause initiale voyant les têtes pensantes obliger les autres à rouer de coups les fautifs. Si la faute est trop grave, ils sont exécutés à coups de couteau sans ménagement. Il n'y aura pas de traitements de faveur pour les femmes.
La mort de chaque victime est référencée dans le métrage avec la date précise à laquelle elle a exhalé son dernier soupir.

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Wakamatsu critique de manière frontale une doctrine qu'il juge contre-productive, réitérant les erreurs passées en versant dans une authentique dictature. Au lieu de mener les soldats de la révolution à l'épanouissement moral, aux débats d'idées, à la concertation de groupe, ils doivent suivre un chemin balisé sans quoi ils feront face à la barbarie des chefs de faction. United Red Army reprend les inspirations de L'Extase des Anges qui montrait que la discussion et la réflexion sont cruciales pour mener à bien la révolte ; et qu'il est illusoire d'annihiler la conscience individuelle pour une conscience collective formatée. Chaque membre a une utilité bien plus conséquente que de servir de chair à canon. L'ARU dénature la cause du communisme en la réduisant à une piètre idéologie belliqueuse, arriérée, versant le sang de ses propres fidèles. Si Wakamatsu n'a jamais caché sa sympathie envers l'extrême-gauche, il sait se montrer critique envers les opinions politiques qu'il épouse, mais ne se reconnaît pas dans la débauche de violence qui n'apporte rien, ne résout rien et ne permet pas de créer de liens forts. Un socle primitif émerge de ces montagnes, renvoyant à la régression civilisationnelle.
Les leaders s'expriment systématiquement en hurlant, telles des bêtes féroces. Indubitablement, cette partie est la plus captivante et moralement éprouvante.

Nous en arrivons alors à la dernière partie après la dissolution du groupe qui a vu l'arrestation des leaders et d'une partie des membres survivants. Les autres, pour sauver leur peau, se sont retranchés dans une auberge en prenant en otage la gérante. C'est alors la débandade, l'implosion de leurs croyances, la ruine de leur idéologie et la désillusion de tout ce en quoi ils avaient aspiré et qui s'est évaporé face à l'adversité. Face à l'assaut répété des forces de l'ordre que nous ne verrons qu'une seule et unique fois lors d'une explosion, l'un des terroristes remet en question tous les enseignements reçus, semonçant l'absurdité de l'autocritique pathologique et clamant que l'autonomie est importante en temps de crise. Comme attendu cet ARU despotique n'a pas su atteindre son but, fidéliser ses partisans et prospérer. Une lutte mort-née qui a entraîné dans son sillage la mort d'adolescents et de jeunes adultes idéalistes. L'ARU est une farce morbide qui a desservi la cause noble.
Un massacre grotesque dont rien de positif n'a découlé si ce n'est une vaine tentative de conditionnement à grand renfort de slogans répétés jusqu'à la nausée ("Fais ton autocritique", "Par la critique mutuelle, chacun acquiert une conscience communiste"). On en arrive alors à cette fatalité dérangeante. En reproduisant un schéma de terreur qui aura poussé trop loin la radicalité de sa pensée, le dispositif qui en a émergé fut répressif et anti-démocratique, soit le même contre lequel ils s'étaient insurgés. 

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Cette observation sociologique peut encore s'observer à notre époque où des révoltés contre l'ordre établi reproduisent exactement ce qu'ils dénonçaient. Mais quand bien même, le sujet est intolérable, jamais Wakamatsu ne prendra parti pour l'un ou l'autre camp. Il ne se réduit pas à présenter les étudiants révolutionnaires comme des méchants sans âme et sans idées. A la manière d'un Costa-Gavras, il filme le dérangeant, le tabou avec la plus totale neutralité. Il n'utilise jamais la tristesse des protagonistes pour émouvoir le spectateur, ni ne les fait passer avec force pour des victimes sans défense car elles ont choisi en toute âme et conscience de rejoindre la cause et il était facile pour elles de s'enfuir. Seule compte la reproduction chirurgicale de l'histoire qui sera toujours maîtrisée, allant même à la fin à décrire le nombre exact de balles et de fumigènes utilisés pour déloger les révolutionnaires. Il finira par rendre hommage à chaque personne impliquée dans la vraie histoire dans un générique de fin très fort apparaissant après tout de même plus de 3h de visionnage.
En effet, ça change de la courte durée de ses pinku eiga et si on accusera parfois une tendance à trop s'éterniser, on ne s'ennuie jamais, traversé par une myriade de sentiments divers allant de la compassion à l'hostilité. Bien sûr, il faudra se résoudre à sacrifier toute sa soirée pour profiter pleinement de l'ambiance de United Red Army.

On en arrive maintenant à l'esthétique de ce métrage qui, comme vous l'avez vu, est entièrement colorisé, si l'on excepte les images et vidéos d'archive. Toutefois, on ne peut pas dire que nous tenons là un régal visuel. C'est passable et en tout cas bien loin de la beauté visuelle de ses pinku eiga de jadis. Ca peut toujours s'expliquer par le fait que Wakamatsu a dû faire des compromis avec ses moyens financiers quelque peu limités. La majeure partie du film se déroule dans un quasi huit clos anxiogène et perverti par la démence des occupants des lieux. Du coup, peu ou prou de surprises visuelles sauf dans la première partie avec des séquences fictionnelles d'un bon rendu. On délaissera aussi les sonorités jazzy pour la musique psychédélique électrisante signée Jim O'Rourke du groupe Sonic Youth. Là encore, ça passe bien, en dépit d'un charme beaucoup amoindri.
Enfin, la prestation des acteurs est plus affirmée, moins orientée dans le monolithisme facial de son époque pinku. Si la quantité de personnages empêche le travail sur chacun d'eux dans un but de s'attacher, on reste sur du bon. Arata Iura habite son personnage tyrannique à la perfection mais ça reste bien la seule prestation vraiment coup de poing. En raison du grand nombre d'acteurs, je me contenterai de citer Akie Namiki, Go Jibiki, Anri Ban, Shima Ohnishi, Maria Abe, Kenji Date et Maki Sakai. Inutile de dire qu'ils incarnent tous des personnages ayant réellement existés.

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Nous pouvons conclure que United Red Army est certainement l'un des projets les plus personnels de son auteur et très certainement le plus ambitieux quand on voit à quel point cette fresque historique récolte, traite et démontre un Japon dans un monde alors en proie à des revirements sociaux, des contestations envers une caste politique déconnectée, vieillissante se prostituant pour une mondialisation qui impacterait sur l'identité des peuples. Wakamatsu adresse son film en priorité aux jeunes qui n'ont pas connu ces temps pour bien leur montrer et leur faire comprendre les erreurs du passé. Car toute rébellion ne peut être mue uniquement par la violence. Tout conflit doit être pensé, réfléchi et non pas être bêtement formaliste et agressif. Force est de constater que cette évidence même n'est toujours pas respectée et que les groupes d'opposition qui émergent sont fréquemment minés par une haine aveugle envers les dirigeants et même envers ceux qui n'adhéreraient pas à leur combat, une désinformation (in)volontaire pour solidifier leur pseudo légitimité et l'inexistence d'un plan d'action mûrement écrit.
Outre le fait de travailler sa culture générale, United Red Army instruit sur la psychologie de groupe, son organisation, son but et l'après révolte. Un dernier point crucial qui ne sera jamais abordé par les meneurs de l'ARU pour justifier leurs mesures. Pourtant, elle est bien nécessaire pour reconstruire un nouveau monde sur de nouvelles bases. Alors, sans elle, que pourrait-il se produire ? La révolte... et après ?

 

Note : 15/20

 

 

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