L_Evangile_selon_Saint_Matthieu

Genre : Drame, historique

Année : 1964

Durée : 2h17

 

Synopsis :

La vie du Christ selon Saint-Matthieu et Pier Paolo Pasolini. Une reconstitution fidèle de l'Evangile.

 

La critique :

Non, ne me dites pas que vous n'avez jamais entendu parler de Pier Paolo Pasolini sur ce blog ! Depuis le temps où je vous accable de sa filmographie, vous devriez avoir l'habitude d'y tâter et de cerner son oeuvre majeure relativement snobée par une quantité non négligeable de profanes qui n'ont guère été plus loin que son légendaire Salo ou les 120 Jours de Sodome. Le hype autour et sa réputation justifiée d'oeuvre difficilement soutenable est toujours aussi prégnante. Les acrimonies critiques, le dégoût de certains qui n'y ont vu qu'un bête étalage de sévices sans daigner explorer en profondeur son oeuvre manifeste ont conféré à Pasolini une aura de bête enragée. Pourtant, aussi révolutionnaire marxiste qu'il soit, le réalisateur aime dire des choses et dénoncer avec grande intelligence ce qu'il juge amoral à commencer par l'échec d'une Italie post-WWII qui n'a pas réussi son soulèvement économique.
Critique envers la bourgeoisie dont il est issu, dégoûté du fascisme qui le renvoie à son père qui fut adhérent à la doctrine de Mussolini, athée dans l'âme, Pasolini est un personnage complexe mais oh combien fascinant. Alors quand il se décide à adapter de manière frontale l'épopée de la vie de Jésus Christ, on ne peut détourner le regard. Le projet cristallise les passions, assène un choc prématuré chez les catholiques. Notons que l'Italie était encore énormément influencée par l'Eglise catholique. Un athée qui fait un film religieux. Etonnant et inquiétant ! 

Pourtant, le cinéaste ne va pas s'engoncer dans la spirale facile et putassière d'un réquisitoire sur l'influence d'un ami imaginaire mais va s'évertuer à retranscrire avec la plus grande fidélité possible un passage crucial de la Bible allant de la naissance de Jésus jusqu'à sa résurrection. En voulant s'attirer les faveurs de l'Eglise, Pasolini déboussole ses partisans, en partie de gauche, qui prendront vite leurs distances du fait qu'il ne tient qu'à raconter une histoire sacrée sans prendre parti. Il ne change pas une ligne de l'Evangile et demande conseil à des théologiens pour toute une série de détails dont les caractéristiques physiques des apôtres. On pourrait s'attendre au scandale lors de sa sortie mais pas vraiment. Si la réception est contrastée, la polémique ne sera pas aussi virulente qu'attendue.
Tout au plus, des néo-fascistes qui troubleront la projection du film à Venise. L'Eglise acquiesce la respectabilité de l'oeuvre et les récompenses tombent dont le prix de l'Office Catholique International. En tout cas, la critique gauchiste à côté de la plaque est on ne peut plus circonspecte sur un tel choix. En termes de scandale, on reste donc à des années-lumière de La Passion du Christ et des incendies de La Dernière Tentation du Christ. Cité parmi les grands classiques du cinéma religieux, bienvenue dans L'Evangile selon Saint Matthieu !

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ATTENTION SPOILERS : La vie du Christ selon Saint-Matthieu et Pier Paolo Pasolini. Une reconstitution fidèle de l'Evangile.

Rappelons les grandes lignes de cet Evangile. Un ange vient annoncer à Joseph le charpentier que sa femme, Marie, attend un enfant qui n'est autre que Jésus le fils de Dieu. C'est Jean-Baptiste qui le fait Christ. Une fois grand, Jésus parcourt le territoire de Judée, prêchant la parole de Dieu le Père tout en accomplissant des miracles. En arrivant à Jérusalem, il défie les juifs qui sont les puissants maîtres des lieux. Traqué, il se recueille une dernière fois au Mont des Oliviers avant d'être arrêté. Trahi par Judas, il est condamné au chemin de croix pour finir crucifier sur le Golgotha. Son cri sur la croix fait s'écrouler les murs de Jérusalem comme si une force en dehors de toute explication humaine s'était insérée dans ses ondes sonores. Après sa mort, soit trois jours après, le miracle a lieu.
Jésus a ressuscité et la porte de la sépulture où il reposait éclata. Clap de fin ! Tout le défi est bien sûr de promouvoir la véracité de toutes ces étapes cruciales de la Bible. Guère de surprise alors sur la réussite formelle et intellectuelle de L'Evangile selon Saint Matthieu. Pasolini détruit les peurs des uns et des autres une à une. La lecture critique digne des plus virulents athées n'est aucunement présente. Chaque "chapitre" de la vie du Christ est réalisé avec précision sans ne jamais trop s'éterniser. A ce niveau, les 2h20 se succèdent sans discontinuer, ne voyant jamais de passages à vide. Nous voilà donc débarqués il y a 2020 ans dans un paysage aride où la pauvreté et l'austérité sont omniprésentes.

La laïcité est encore une notion imaginaire car la religion est ce qui dicte le monde. Les sociétés ne semblent pas être construites sur un socle politique mais sur l'emprise d'un être tout puissant affilié à la religion voyant d'un très mauvais oeil les croyances émergentes et extérieures à sa doctrine. Le christianisme naissant est déjà mis à mal lors de l'envahissement des juifs sur le territoire de Joseph et de Marie. Loin de toute grandiloquence propre aux péplums, sa vision n'en est pourtant qu'infernale. Les violences et les exécutions d'enfants sont brutales, radicales. Est-ce que leur Dieu a-t-il un jour revendiqué le massacre d'êtres innocents ? On se permet fort de douter de la positivité d'une telle question. Mais comme dit avant, il n'y a aucune velléité de tancer l'un ou l'autre parti car tel était ce temps lointain. Nous suivons Jésus, entouré de ses disciples, qui n'a de cesse de parcourir ces contrées pour enseigner les commandements divins. Il ne s'agit pas de recourir à une incitation insidieuse à la conversion.
Le Christ laisse les gens libres de leur foi sans les obliger à se rallier à sa cause. Pasolini inscrit son oeuvre dans une démarche heuristique où la polarisation ne se fait pas sur l'enfant de Dieu en lui-même mais sur tout ses dires et citations tels "Tu ne tueras point", "Tu aimeras ton prochain" ou "La foi peut déplacer des montagnes".

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L'Evangile selon Saint Matthieu revêt les oripeaux d'un film éducatif, documentaire et naturiste. On songe à cette longue séquence bardée d'ellipses où les proclamations de Jésus se font sans discontinuer, invitant plus que jamais à l'analyse plutôt qu'à la simple observation orale. Pasolini humanise sa figure oecuménique qu'il éloigne de sa présence intouchable et irréelle. Point d'importance qui lui sied entièrement, la désacralisation des faits passés permet de crédibiliser l'ouvrage. Nous songeons bien sûr à la crèche voyant l'avènement du Christ mais aussi à la Cène qui prennent ouvertement leurs distances avec les icônes bibliques, les gravures ancestrales et reliques chrétiennes sublimant l'épopée du Seigneur qui est avant tout la marche inéluctable vers sa propre fin, côtoyant une patrie qui le fera sombrer. En atteste sa phrase "Un prophète est toujours méprisé dans sa patrie et dans sa propre maison". Ce ne sera pas une influence extérieure qui l'amènera à la crucifixion mais bien le peuple qu'il a fréquenté et envers qui il a accompli ses miracles. La scène de l'homme défiguré redevenu beau par une ellipse est explicite. Ces ellipses étant essentielles pour s'éloigner d'une grandiloquence artificielle à base de CGI de mauvaise tenue.

Au film de grande ampleur façon péplum, le réalisateur préfère une histoire humaine empreinte d'humilité et de sincérité. Prostituer l'histoire de Jésus au capitalisme est justement quelque chose que le Christ lui-même aurait condamné. D'une certaine façon, Pasolini se rapproche d'une effigie ascétique préférant la rigueur financière aux longs étalages de pécunes, désapprouvés à n'en point douter par Jésus. Cette dimension monétaire est obligatoirement retrouvée avec l'allégorie du temple que certains contempteurs pourraient voir comme une instrumentalisation du religieux au service d'un cinéaste marxiste opposé à la bourgeoisie. En effet, elle est l'hypotypose parfaite du rejet du consumérisme qui est, par son essence, consubstantiel du capitalisme. La circonspection est de mise pour savoir si Pasolini a choisi d'intégrer cette séquence par son importance ecclésiastique ou pour faire passer un message personnel. Dans un cas comme dans l'autre, interpellation il y a.
De même, on s'interroge sur la dialectique prônée quand, en face, on a le retentissement du Christ disant qu'il n'est pas venu apporter la paix mais le glaive. Bellicisme caché que le cinéaste dénonce, certains diront.

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Une fois encore, Pasolini confirme son attrait pour la recherche esthétique et la mise en scène riche en symbolique. Les décors à perte de vue et les villages d'époque offrent un rendu dépaysant, contribuant à une petite plongée dans le temps pour revenir en ces temps troubles. D'abord parti pour Israël et la Jordanie pour effectuer des repérages, il se montre frappé par l'industrialisation de ces terres évangéliques qui le poussent à faire dérouler son récit dans l'Italie du Sud et la Sicile. Multipliant les divers cadrages, L'Evangile selon Saint Matthieu utilise tantôt des plans aérés sur les décors environnants, tantôt des gros plans jusqu'à satiété sur le visage des personnages. Lors d'un passage, la tête de Jésus devient la caméra, donnant au cinéphile l'impression de s'exprimer face à la foule. On est donc à des années-lumière du péplum qui fait la part belle aux paysages majestueux.
La composition musicale est toujours aussi hétéroclite alternant musique classique, chants africains ou russes. Ce que l'on pourrait voir comme un salmigondis fonctionne étonnamment bien. Enfin, le réalisateur a décidé de mettre en avant des acteurs non professionnels. La directive ? Être tout simplement soi-même. Et ça marche plutôt bien dans l'ensemble, bien que certains n'offriront pas de grande prestation. Les disciples, par exemple, manqueront parfois un peu de conviction. Au casting, nous retrouverons Enrique Irazoqui, Margherita Caruso, Susana Pasolini (la mère du réal), Marcello Morante, Mario Socrate, Settimio Di Porto, Alfonso Gatto et Luigi Barbini

En conclusion, nous pouvons voir en L'Evangile selon Saint Matthieu l'une des meilleures créations de son auteur qui filme avec beaucoup de pudeur, de retenue et d'honnêteté, compte tenu de ses rapports difficiles avec le christianisme et la religion en général. Il éclate le mythe hollywoodien, la fausse sublimation, la construction superficielle pour se ramener au vrai écrabouillant les représentations eronnées que nous nous faisons parfois de la vie du Christ. Malgré le budget que l'on estime peu élevé, la crédibilité est totale. Notre à priori est ainsi détruit par un Pasolini très en forme qui, s'il se montre très critique, n'a jamais fait preuve d'irrespect envers ceux qui ne partageaient pas les mêmes convictions que les siennes. Une vision de la vie qui manque cruellement aujourd'hui où l'on a parfois tendance à juger quelqu'un sur ses opinions politiques avant de voir la personne en elle-même.
Immanquable du cinéma du genre, passionnant sur toute sa durée, réfutant tout voyeurisme mortifère lors du périple de Jésus, L'Evangile selon Saint Matthieu peut se hisser comme pellicule majeure du cinéma transalpin et comme témoignage cinématographique de l'Histoire. Et 2020 ans plus tard, le récit du Seigneur n'a rien perdu de sa puissance de frappe, pour le meilleur et parfois pour le pire. 

 

Note : 16/20

 

 

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