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Genre : Thriller, fantastique, drame (interdit aux - 12 ans avec avertissement)

Année : 2017

Durée : 2h01

 

Synopsis :

Steven, brillant chirurgien, est marié à Anna, une ophtalmologue respectée. Ils vivent heureux avec leurs deux enfants Kim, 14 ans et Bob, 12 ans. Depuis quelques temps, Steven a pris sous son aile Martin, un jeune garçon qui a perdu son père. Mais ce dernier s’immisce progressivement au sein de la famille et devient de plus en plus menaçant, jusqu’à conduire Steven à un impensable sacrifice.

 

La critique :

S'il y a quelque chose que je raffole en tant que passionné de cinéma (je n'ose dire encore cinéphile), c'est ces jours où l'on tombe un peu par inadvertance sur un top intriguant fait par d'autres passionnés. Le destin nous enjoint à nous y aventurer dessus pour y parcourir une sélection plus ou moins palpitante. Je ne compte plus le nombre de films que j'ai rajouté dans ma grosse collection qui, lors du dernier recensement, dépassait tout de même la barre des 2300 pellicules. Bien sûr, je suis loin de les avoir encore toutes vues. Et donc dans votre analyse assidue du classement, vous tombez sur une sympathique curiosité. Vous ne la connaissiez pas mais le titre vous frappe. Vous cliquez et première surprise de taille, vous connaissez déjà le cinéaste, qui, en plus, s'enorgueillissait d'avoir une petite pièce de sa filmographie planifiée pour une chronique à venir. Grosse erreur pour moi de ne m'intéresser que poliment aux dernières sorties et d'être trop centré sur le vieux cinéma.
Ce bonhomme vous le connaissez puisqu'il s'agit de Yorgós Lánthimos, déjà présenté il y a un bien long bout de temps sur le blog avec Canine (qu'il serait temps que je vois) et, très récemment, The Lobster que j'eus la chance de chroniquer.

Avec celui-ci, je pénétrais dans le monde farfelu, austère et interpellant de ce maillon de la Nouvelle Vague grecque. Son concept qui laissait présager un simple délire surréaliste se montrait, en fin de compte, beaucoup plus profond qu'il en avait l'air au premier abord. La question ne se fit pas attendre de savoir si son avant-dernière réalisation allait se retrouver sur Cinéma Choc, ni s'il pouvait bénéficier du pass VIP pour se retrouver à être visionné très prochainement alors que certains malheureux attendent toujours depuis 2014 dans mon premier disque dur externe. Mise à mort du cerf sacré, que voilà un titre délicieusement poétique. Ce qui n'a rien d'étonnant vu qu'il est inspiré du mythe d'Iphigénie. Je ne me permettrais pas de le raconter en détail car comme tout mythe, il est une histoire longue mais je vous conseille de le lire, pas seulement pour la culture générale mais pour mieux comprendre le second niveau de lecture de l'histoire. Bref, à sa sortie, il est présenté au célébrissime et prestigieux Festival de Cannes où il ne laisse personne indifférent. C'est tout le talent de Lánthimos de marquer les esprits, que cela soit de manière comblée ou dubitative. La reconnaissance est de la partie puisque Mise à mort du cerf sacré remporta le Prix du Scénario sous une foule d'applaudissements et de huées. C'est indéniable, l'accueil critique est mitigé. Certains dénoncent son aspect mégalomaniaque et artificiel, tandis que d'autres le voient comme une surprise qui fut comparée à un travail de Alfred Hitchcock ou encore de Michael Haneke. Que sera le verdict de Cinéma Choc ?

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ATTENTION SPOILERS : Steven, brillant chirurgien, est marié à Anna, ophtalmologue respectée. Ils vivent heureux avec leurs deux enfants Kim, 14 ans et Bob, 12 ans. Depuis quelques temps, Steven a pris sous son aile Martin, un jeune garçon qui a perdu son père. Mais ce dernier s’immisce progressivement au sein de la famille et devient de plus en plus menaçant, jusqu’à conduire Steven à un impensable sacrifice.

La première scène annonce déjà toute la couleur avec une opération à coeur ouvert, cet organe indispensable à la vie qui va être sérieusement malmené dans cette nouvelle création de son auteur plus que jamais froide et dérangeante. En apparence, la famille de Steven est une famille tout ce qu'il y a de plus normal, qui a très bien réussi professionnellement. Leur belle maison, le raffinement de l'intérieur de celle-ci laissent transparaître un style bourgeois qui a le mérite de ne pas s'exhiber. Steven et Anna sont des médecins normaux mais toutefois quelque peu introvertis, aussi bien avec les autres que dans leur couple. Ils n'ont pas un visage souriant, sont peu charismatiques, comme s'ils portaient bien malgré eux un fardeau qu'ils ne savent pas décrire. Leur tendresse l'un envers l'autre n'est guère présent. Ceci se répercute logiquement sur leur descendance qui est aussi distante dans le foyer familial.
Hors du domicile, on apprend qu'ils sont bien plus sociables et ont des amis, ce qui ne semble pas être le cas des parents se limitant aux collègues de travail. On se passerait de ce genre de vie (sauf peut-être du compte en banque). Au final, l'atmosphère discrète, abrupte et rigoureuse est concomitante du milieu hospitalier dans lequel ils évoluent où rien de charmant n'est de mise. Côtoyant constamment les problèmes humains, voire même la mort, on peut postuler que ceci s'est répercuté et a bouleversé durablement leur mental.

Mais un chirurgien, aussi doué soit-il, reste un être humain qui peut ne pas toujours faire de son opération un succès. Un homme victime d'un accident de voiture en fera les frais, laissant derrière lui un jeune garçon qui ne peut compter que sur sa mère. Se cherchant une nouvelle figure paternelle, il se rapprochera de Steven qui a tout tenté pour sauver le patriarche. Dans un premier temps, Martin se fait voir comme un adolescent triste et perdu. Comme pour faire acte de résipiscence, Steven ne peut refuser les propositions de Martin pour se voir et ira jusqu'à le faire venir chez lui où sa fille en tombera vite amoureuse. Mais très rapidement, les choses prennent une tournure inquiétante quand Martin devient de plus en plus insistant. Il devient trop présent, ce qui fait que Steven commence à prendre ses distances. Alors que l'on aurait pu penser que les intentions de Martin soient bonnes, c'était tout le contraire. Ses contacts ne se basaient rien de plus que sur l'hypocrisie et la manipulation.
A travers un entretien pour le moins brutal, il fait part de son plan machiavélique face à un Steven médusé. Il devra tuer quelqu'un de sa famille pour que justice soit rendue. En perdant un proche, il se mettra au même niveau que le jouvenceau. 

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Le sort est tombé sur Steven. La malédiction a commencé et il ne sera en mesure de l'arrêter que s'il répond aux injonctions de Martin qui lui cite, un peu à la manière des fameux sept fléaux, ce qu'il se passera. Plus le temps passe et plus la vie de tous sera condamnée s'il n'en choisit pas un à exécuter dans une mise à mort. Dès lors, le thriller va prendre toute son ampleur, happant le spectateur par la gorge pour ne le relâcher que quelque peu sonné au générique de fin. Cette famille va basculer, afficher tous ses vices qui étaient pathétiquement cachés sous un masque de virtuosité qui s'effritera jusqu'à tomber. Ce choix draconien, si ce n'est innommable, est entre les mains du père de plus en plus à cran à mesure que l'état de ses enfants se détériore. De qui se débarrasser ?
Comme attendu, Lánthimos se centre sur cette sphère familiale comme il l'avait fait dans Canine. Malmenée par l'impossible, elle s'embarque dans des chemins abjects. On pense à l'entretien de Steven avec un professeur pour savoir qui des deux enfants a les meilleures notes et qui il choisirait de garder. Cette séquence révoltante n'élude pourtant pas notre empathie à l'égard de ces parents qui ne perdent tout simplement que leurs moyens. Lánthimos filme leur saleté morale, mais ne la condamne pas pour autant.

Pris au piège d'un phénomène inexplicable dont aucune explication ne nous sera donnée sur comment Martin arrive à les tuer progressivement à distance, ils se retrouvent face à l'incompétence du corps médical, à l'existence bien avérée que certaines choses les dépassent et qu'ils ne sont pas des dieux sauveurs. Martin aurait-il des pouvoirs surnaturels ? Nous ne le saurons jamais et c'est peut-être ce qui est le plus frustrant. Lánthimos nargue ceux qui sont engoncés dans un schéma que le cinéma doit être rationnel, alors que rien ne l'interdit à être son contraire, surtout quand il repose sur une parabole mythologique. La mythologie n'a jamais caché son amour du fantastique et de l'inexplicable. Cette qualité séduisante est, en fait, ce qui a causé sa propre perte aux yeux de certaines critiques qui ont vu Mise à mort du cerf sacré comme une oeuvre profondément prétentieuse.
C'est un point de vue que l'on se doit d'accepter mais que je ne partage pas. En acceptant l'audace, on basculera avec les parents dans un enfer dont ils n'en sortiront pas indemnes. Cette énorme force de galvaniser l'attention du cinéphile qui clignera peu des yeux vu un niveau d'une rare intensité. Il n'y a pas tromperie sur la marchandise pour ce qui est du taux de violence psychologique qui est bien de la partie. Enfin, la durée de 2h prêtera à débat pour certains. Quand on est dans le feu de l'action, difficile de dire que l'on aurait pu raccourcir le film.

 

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L'esthétique glaciale que nous retrouvions déjà dans ses précédentes réalisations se retrouve aussi ici. Malgré la beauté des lieux, la définition de maison luxueuse s'est rarement vue comme aussi terne. Attention que le résultat final est de toute beauté. On se souvient des bâtiments hospitaliers d'un blanc immaculé, criard, presque de mauvaise augure pour nos rétines. On pense aussi à cette manière Kubrickienne de filmer le dédale des personnages dans les longs couloirs, se référant à Shining. Quelques influences de Eyes Wide Shut se feront aussi ressentir. Lánthimos gère sa mise en scène, le travail de la caméra est globalement impeccable. Gros point sur la bande son à la fois grave et stridente qui nous scotche plus à notre siège qu'autre chose.
Et comment ne pas citer l'interprétation titanesque de Barry Keoghan que je me risque personnellement à compter parmi les plus grands méchants juvéniles, tout du moins du Septième Art contemporain. Calculateur, dénué du moindre pet de remords et de pitié envers ses proies qui n'y peuvent rien, il fascine autant qu'il révulse. Un tour de force étant de ressentir une certaine forme de compréhension sur son caractère psychopathique qui a perdu tout repère depuis la mort de son père bien-aimé. N'oublions pas le casting restant qui se débrouille avec Colin Farrell et Nicole Kidman campant un rôle fort. Suivent ensuite Raffey Cassidy, Sunny Suljic, Bill Camp, Alicia Silverstone et Denise Dal Vera.

Il est indéniable que Mise à mort du cerf sacré déchaînera les passions, créera le débat entre les laudateurs et les sceptiques. Il est clair que ce n'est pas tous les jours que l'on peut voir de la mythologie adaptée au réel, ancrant un contexte fantastique à la fois totalement perceptible mais intouchable car ne s'expliquant pas par la pensée humaine naturellement fermée à l'inexplicable. Pour une personne qui n'est pas dans le délire, la répulsion sera une cruelle réalité et on ne peut lui en vouloir tant il peut être difficile d'y rentrer. Mais si l'on se montre être conquis dès le départ, on ressortira secoué, même choqué par une ambiance glauque et perturbante qui ne fera aucun cadeau sur le futur de cette famille sans histoire. Le malheur peut frapper à tout instant, l'erreur aussi. Les fautes professionnelles peuvent parfois déclencher des conséquences aux proportions abyssales.
A mes yeux, Mise à mort du cerf sacré représente l'un des meilleurs films de ces dernières années tant par ce qu'il montre que par ce qu'il dénonce. Alors oui, il est vrai que l'on aurait pu s'attendre à une fin un peu mieux foutue mais toujours est-il que Lánthimos a fait très fort sur ce coup en signant, à mes yeux bien sûr, sa meilleure et sa plus horrible oeuvre. Une note que certains jugeront totalement irrationnelle, ce qui fait que j'en mettrai deux car ma subjectivité est bien trop handicapante pour professionnaliser un minimum la chose en le sortant d'un poil du statut de torchon.

 

Note non-objective : 18/20

Note objective : 15,5/20

 

 

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