Genre : horreur, épouvante, comédie
Année : 1959
Durée : 1h05
Synopsis : Lors de l'ouverture de sa galerie d'art, un artiste excentrique est critiqué parce que ses œuvres n'utilisent pas une bonne palette de couleurs. Alors il commence une nouvelle série de peintures en utilisant son propre sang. Rapidement, il devient trop faible à cause de la perte de son sang et il commence à utiliser le sang de jeunes femmes pour ses peintures.
La critique :
Certes, les cinéphiles les plus présomptueux et les plus cauteleux pourraient se gausser de Roger Corman, le pape du cinéma bis. Certes, le producteur, réalisateur et scénariste américain est réputé pour sa promptitude et sa célérité, à savoir sa capacité à tourner un film en quelques jours, parfois même quelques heures (véridique !) et pour un budget dérisoire. C'est pourtant Roger Corman qui lancera et érigera les carrières de Jack Nicholson et de Vincent Price. C'est lui encore qui formera des réalisateurs aussi prestigieux que Jonathan Demme, Martin Scorsese, Ron Howard, Joe Dante, James Cameron, Peter Bogdanovich, ou encore Francis Ford Coppola.
Roger Corman tournera avec d'autres noms éminents du cinéma, entre autres Boris Karloff, Peter Lorre, Leo Gordon et Basil Rathbone.
Mais, nonobstant certains succès commerciaux, Roger Corman restera engoncer dans le circuit indépendant, refusant obstinément certaines propositions alléchantes du cinéma hollywoodien. Roger Corman peut s'enorgueillir d'une bonne cinquantaine de films en tant que réalisateur et de plus de 400 titres sous les oripeaux soyeux de producteur. En tant que cinéaste, on lui doit notamment des oeuvres telles que The Beast With A Million Eyes (1955), Day World Ended (1955), It Conquered the World (1956), Swamp Women (1956), L'attaque des crabes géants (1957), The Undead (1957), War of the Satellites (1958), Mitraillette Kelly (1958), La femme guêpe (1959), La chute de la Maison Usher (1960), La dernière femme sur Terre (1960), La chambre des tortures (1961), L'enterré vivant (1962), L'empire de la terreur (1962), Le Corbeau (1963), Le masque de la mort rouge (1964), La tombe de Ligeia (1964), The Trip (1967), Le Baron Rouge (1971), Les gladiateurs de l'an 2000 (1978), Les Mercenaires de l'espace (1980), ou encore La résurrection de Frankenstein (1990).
Parmi tous ces longs-métrages proverbiaux, c'est le cycle consacré à Edgar Allan Poe qui fait référence et voeu d'allégeance, même auprès des cinéphiles les plus avisés. Attention à ne pas vulgariser la carrière ni la filmographie de Roger Corman, en dépit d'un nombre pléthorique de nanars (et de navets) patentés. Mieux, le célèbre metteur en scène peut s'enhardir d'une filmographie à la fois exhaustive et éclectique, renâclant à la fois vers l'horreur, le western, le fantastique, la science-fiction, le drame, la comédie, le polar ou encore le thriller. Dans quel registre répertorier Un Baquet de Sang, sorti en 1959 ?
Probablement à la fois dans l'épouvante et la comédie macabre, deux genres que Roger Corman affectionne et divinise. A l'origine, il s'agit d'un film de commande cornaqué par la société de production American International Pictures (AIP).
Cette dernière empresse et enjoint Roger Corman de réaliser un film d'épouvante en cinq jours et avec un budget anémique (à peine 50 000 dollars). Peu importe, Roger Corman est déjà à l'époque coutumier de ce genre de requête insolite. Précautionneux, le metteur en scène s'affaire immédiatement à l'ouvrage. Mais, sous les précieuses instigations du scénariste Charles B. Griffith, Roger Corman ne souhaite pas seulement signer un film d'épouvante, mais une sorte de pastiche de la culture beatnik qui prolifère vers la fin des années 1950. A travers cette nouvelle doxa dominante, qui annonce déjà les premières prémices de l'hédonisme et du consumérisme, Roger Corman décide de railler et de gourmander cette caste qu'il juge prétentiarde et véhémente.
C'est ainsi que se fomente et se griffonne le scénario d'Un Baquet de Sang, soit A Bucket of Blood dans l'idiome de Shakespeare.
Tout d'abord intitulé The Living Dead (soit Les morts-vivants en français), Roger Corman change le cryptonyme qui verse beaucoup trop dans l'horreur. Dixit les propres aveux de certains artistes présents sur le tournage, ils regrettent que le budget soit aussi famélique car on tient un vrai bon film, qui plus est, affublé d'un réel potentiel. Pour une fois, ces derniers font preuve de médiumnité. Contre toute attente, Un Baquet de Sang se solde par un succès pharaonique lors de sa sortie en salles. Au fil des décennies, il s'arroge même le titre de film culte. Reste à savoir si ce long-métrage, à la fois horrifique et sardonique, mérite - ou non - de tels dithyrambes.
Réponse à venir dans les lignes éparses de cette chronique... La distribution du film se compose de Dick Miller, Barboura Morris, Antony Carbone, Julian Burton, Ed Nelson, John Brinkley, Judy Bamber, Myrtle Vail, Jhean Burton et Bruno VeSota.
Attention, SPOILERS ! (1) Serveur au café beatnick « la Porte Jaune », Walter Paisley aimerait bien s’intégrer au monde des artistes. Il écoute les poèmes récités par Maxwell Brock, l’artiste phare de la maison, et il s’imprègne de leur philosophie. Il n’en continue pas moins à être exclu du milieu, qui le considère comme un moins que rien et qui ne manque pas de lui faire sentir. Le patron de Walter n’est également pas tendre envers son employé. Seule une amie de ce patron, Carla, épargne sa sensibilité… par pure pitié. Un soir, chez lui, Walter tue par accident le chat de sa logeuse.
Il couvre son crime par de l’argile, faisant du cadavre une statue, qu’il emmène le lendemain à la Porte Jaune. C’est un succès ! Walter récidive en recouvrant d’argile le cadavre d’un policier, mort d’un coup de poêle pour avoir effrayé Walter en le menaçant d’une arme.
C’est un triomphe ! Pas de raison pour s’arrêter en si bon chemin, surtout qu’en plus des éloges de Maxwell, Walter a gagné l’estime de Carla (1). Certes, l'intrigue d'Un Baquet de Sang reprend - peu ou prou - la trame narrative de L'homme au masque de cire (André De Toth, 1953), une oeuvre proéminente à laquelle Roger Corman fait voeu d'obédience. Toutefois, cette thématique de la condition humaine, à savoir un vulgaire cacochyme frustré, semoncé et gourmandé par ses pairs, peut s'appliquer à une quantité infinie de scénarii. Et Un Baquet de Sang ne déroge pas à la règle.
Autant l'annoncer sans ambages. On tient là un bon et même un très bon cru de Roger Corman, très en verve pour l'occasion. Oui, Un Baquet de Sang est une satire du sérail hollywoodien qu'il vilipende avec une certaine contrition et amertume.
Via le portrait de Walter Paisley, on pourrait presque se méprendre et reconnaître les traits livides et éplorés de Roger Corman, lui qui a toujours été (plus ou moins) répudié par un système lucratif et mercantiliste. L'heure de la revanche est venue. La vindicte est amère, presque misanthrope puisque Roger Corman égratigne tout le monde, sans exception, que ce soit l'intelligentsia en général et son protagoniste principal en particulier. On pourrait presque légitimement invoquer une sorte de métaphore sur la désintégration du genre humain.
Ainsi, les inimitiés s'approximent à une sorte de huis clos anxiogène qui se déroule soit dans le bistrot du coin, soit dans l'appartement suranné de Walter Paisley. Par ses décors rudimentaires, Un Baquet de Sang est donc frappé le sceau de vétusté et de l'impécuniosité.
Sur ces entrefaites, le film de Roger Corman se veut être une critique au vitriol du sérail artistique (avec un "A" majuscule) et de ses fielleux contempteurs ou dépréciateurs qui peuvent enjôler ou vitupérer son auguste démiurge selon les tendances et surtout selon la doxa dominante. Les sculptures callipyges de Walter Paisley dénotent par leur réalisme morbide. Comment ce vulgaire histrion, légèrement imbibé à ses heures perdues, peut-il détenir l'âme ineffable d'un artiste ? Toujours est-il que cette gloriole subreptice va bientôt servir les vils desseins de certains prosélytes.
Ainsi, chaque personnage cherche son instant de gloriole, hélas éphémère. Pour ne pas disparaître dans une société déjà exsangue, chaque protagoniste s'efforce de transparaître. Une chimère. Oui, Un Baquet de Sang s'apparente - bel et bien - à une métaphore sur la vanité et la cupidité. On pourrait légitimement invoquer une sorte de parabole sur la désintégration du genre humain. Néanmoins, le film de Roger Corman n'est pas exempt de tout grief. La mise en scène est certes limpide et laconique, mais se montre beaucoup trop académique pour susciter nos appétences sur la durée. Cependant, Un Baquet de Sang peut escompter sur la précellence de Dick Miller, ainsi que sur l'oeil chevronné de Roger Corman.
Note : 14/20
(1) Synopsis du film sur : http://tortillapolis.com/critique-film-un-baquet-de-sang-roger-corman-1959/
Alice In Oliver