Genre : Science-fiction, fantastique (interdit aux - 12 ans)
Année : 1977
Durée : 2h46
Synopsis :
Une équipe de cosmonautes découvrent et colonisent une nouvelle planète afin de fonder une nouvelle civilisation. Mais à mesure que les Anciens meurent, la société dégénère.
La critique :
Au sein des cinéma japonais et italiens très prédominants chez moi actuellement, il était nécessaire de faire des pauses afin de varier les intimités, surtout venant d'un chroniqueur qui a toujours louangé la diversification. Dernièrement, je me suis pris d'affection pour le Septième Art d'Europe de l'Est, assez méconnu de par chez nous alors que les excellentes oeuvres y prolifèrent dans un triste anonymat pour les cercles non cinéphiles. Erreur à réparer à ma modeste échelle pour nos lecteurs assidus de plus en plus nombreux. Et je dois dire que je suis agréablement surpris du nombre de fréquentations qui a explosé depuis quelques temps (mais de grâce commentez et participez à la vie active de Cinéma Choc !). Bref, ce n'est pas la première fois que Andrzej Zulawski s'invite sur le site, d'abord avec Possession qui est son long-métrage le plus célèbre et très certainement le plus polémique.
J'eus la chance, par la suite, de vous décrire du mieux que je pouvais La Troisième Partie de la Nuit et Le Diable. Catégorisés comme des thrillers horrifiques, la plongée dans leur univers fut surprenante, glauque (et c'est un euphémisme...) mais fascinante. Une horreur ayant un autre visage loin des poncifs habituels, tournée sur le psychologique, le désespoir. Abordés par ordre chronologique, ma dernière plongée dans la filmographie du réalisateur se fait ici avec Sur le Globe d'Argent.
A l'instar de ses devanciers frappés du sceau d'une certaine confidentialité, il fut tourné durant l'ère soviétique qui brida énormément la liberté dans les arts quels qu'ils soient. Zulawski avait quitté la Pologne pour la France en 1972, peu après la finalisation de Le Diable, pour être totalement libre et ne plus craindre les foudres de la censure polonaise. Avec le grand succès de L'Important c'est d'aimer, les autorités réévaluèrent leur position envers le cinéaste, l'incitant à revenir sur sa terre natale pour y tourner un projet personnel. C'est l'occasion rêvée pour adapter la fresque littéraire de son grand-oncle nommée La Trilogie Lunaire. Le cahier des charges est important. Conçu pour durer trois heures, les moyens logistiques et les fonds financiers se devaient d'être conséquents.
Mais tout bascula en 1977 quand le nouveau ministre de la culture ordonne de stopper le tournage, de saisir les accessoires, costumes et décors. Zulawski est forcé d'abandonner son projet, alors qu'il restait encore 20 minutes à tourner. Curieusement, les négatifs du film, également saisis, ne seront pas détruits et seront conservés. Dépité par une invitation qui ne fut que de la poudre aux yeux, il rentra en France. Il faudra attendre dix longues années pour qu'il puisse récupérer les négatifs et effectuer le montage à partir des bobines alors inachevées. Reprendre le tournage était impossible et il optera pour filmer des scènes de la rue avec en fond sonore la voix-off qui détaillera les scènes manquantes. Présenté au Festival de Cannes, il s'enorgueillit, à son grand dam, du statut de chef d'oeuvre maudit.
ATTENTION SPOILERS : Une équipe de cosmonautes découvrent et colonisent une nouvelle planète afin de fonder une nouvelle civilisation. Mais à mesure que les Anciens meurent, la société dégénère.
Je dis souvent ça avec beaucoup de cinéastes mais chroniquer avec un minimum de talent du Andrzej Zulawski n'est pas une sinécure, très loin de là. La science-fiction est un genre passionnant et si on l'assimile inconsciemment dans notre esprit au film à grand budget, nous en sommes bien loin. Les dystopies originales tournées avec peu de moyens sont plus fréquentes qu'on ne le pense. Un exemple parfait est Il est difficile d'être un Dieu. Que soit, Sur le Globe d'Argent débute dans le plus grand chaos avec un atterrissage d'astronautes tournant au désastre sur une planète qui semble être vraisemblablement la Lune et plus particulièrement sa face cachée. Leur but est de fonder une nouvelle civilisation et très rapidement, nous verrons les questionnements métaphysiques surgir à travers une phrase clé : "N'oublie pas pourquoi nous sommes partis, pour reproduire impunément ce en quoi nous croyons". La croyance appelle la foi qui est consubstantielle de la naissance d'une civilisation.
Son origine psychologique et astrale découle de la religion qui a toujours eu une place prédominante depuis l'avènement d'une organisation civilisationnelle. Elle est un moteur qui a permis au peuple de croire en une entité suprême pour expliquer la venue au monde de l'être humain. En quittant la Terre, l'humanité revient à ses fondamentaux, une sorte de "reset" qui convient de repartir de zéro pour retrouver le début de toute chose, quand l'Homme devenait tout doucement humain.
Volonté d'asservissement d'une planète dans un premier temps sans âme qui vive, la Terre est vue dans l'inconscient collectif autant avec respect qu'avec dégoût. Leur fuite vers un autre monde pourrait se voir comme résultant d'une Terre qui a perdue toute sa foi qui l'a guidée depuis la nuit des temps dans son évolution progressive. Mais la technologie et la science qui ont permis aux astronautes de se déposer sur une terre aride est désormais de l'histoire ancienne. Les pulsions triviales ressurgissent et pour créer un nouveau peuple, il faut donner naissance à nombre de descendants. Les rapports sexuels omniprésents que nous ne verrons guère transforment la femme en une véritable usine de procréation. Cette "grande Marthe" se transmue en une figure biblique, de même que les premiers arrivants dont le dernier membre sera le caméraman surnommé "Le vieil homme".
La régression civilisationnelle a lieu au fur et à mesure du temps pour faire sombrer hommes et femmes dans des rites chamaniques, ésotériques et païens. Rendus à une condition primitive, ils se barbouillent le visage de peintures, sombrant fréquemment dans des accès de délire mortifère. D'un peuple avancé technologiquement, la fondation d'une nouvelle société a reproduit le schéma exact vu sur Terre depuis la préhistoire quand l'Homme n'était pas encore développé.
Les décennies passent et l'idée de conquête d'autres contrées se fait, au-delà de la mer où les Cherns, un peuple mi-homme, mi-oiseau, ont investi les lieux. La rencontre se solde par un carnage et les humains sont contraints de vivre sous Terre avant une révolte massive initiée par Marek, venu de la Terre par fusée après réception d'un message, accueilli en Messie afin de soulager le coeur de tous ces opprimés baignant dans la violence et la luxure. L'interrogatoire d'un Cherns capturé va mettre en avant une réalité dérangeante que les hommes ont oublié. Ils sont avant tout des animaux mais ils ne l'ont pas accepté, en comparaison des Cherns. Cette apparence d'oiseau est certainement due à cette constatation qu'ils en ont faite. Marek réfute ses dires mais les faits sont là.
Malgré un siècle passé, nous en sommes toujours au même point. Zulawski ne se gênera d'ailleurs pas pour filmer avec distance mais avec suffisamment d'insistance une scène d'orgie inouïe d'audace pour l'époque. De même que la fin, sanglante en son genre, se soldant par la crucifixion de Marek renvoie bien évidemment au catholicisme. Les arriérés ont tué leur icône qui a refusé vers la fin le bellicisme pour écouter et réconcilier les peuples dans une guerre absurde.
Diable, quel pessimisme que ce Sur le Globe d'Argent ! Dans une atmosphère de folie, Zulawski expose toutes ses angoisses de l'être humain qui ne s'est jamais éloigné de l'archaïsme et se complait toujours dans la barbarie. Moins axé sur l'horreur, le film ne s'en éloigne pour autant pas totalement en filmant ces visages déformés par la neurasthénie mentale et le nihilisme, vomissant avec rage de la philosophie semblant être sans queue ni tête. L'impression d'être face à des bêtes féroces est présente sur toute la durée tant ils se sont éloignés de toute humanité. Les cris, les borborygmes incessants, les scènes de rage où les individus semblent être possédé par Belzébuth scotchent par leur réalisme. Pris au piège de ce maëlstrom tourmenteur, le spectateur est comme pétri d'effroi devant la terreur que ces gens lui inspirent. De manière paradoxale, la tristesse se ressent de voir à quel point l'individu est fragile. Brillante dénonciation du prosaïsme, il est impardonnable de voir que les soviétiques ont brisé ce qui aurait pu être une des plus grandes perles de la science-fiction.
L'intrigue éclatée, retombant comme un soufflet lors des scènes de voix-off, nous empêche d'y rentrer totalement et d'y croire. Certes, la longue durée ne dérange pas, bien au contraire si ce n'est que cette exultation mystique ne plaira pas à tous, mais des passages importants qui n'ont pu voir le jour brisent le vase clinquant qu'est Sur le Globe d'Argent.
Et qui dit science-fiction dit univers différents et dépaysants. Ce qu'arrive à faire avec érudition Zulawski en s'affranchissant de nombreux effets spéciaux et notamment ceux concernant les décors qui sont tout à fait authentiques. De la Crimée au désert de Gobi en passant par les montagnes du Caucase, nous sommes ballotés dans un no man's land aussi vaste qu'oppressant. Mais ces CGI concerneront les séquences sanglantes parmi lesquelles l'accouchement. A l'instar de La Troisième Partie de la Nuit, le don de donner vie s'effectue dans la souffrance et le sang. Ce qui contraste avec l'aspect merveilleux que beaucoup se font. Tout cette atmosphère que certains jugeront has-been fonctionne très bien. Et comme d'accoutumée, les gros plans sur les têtes infernales de tous les protagonistes amplifieront le malaise. Au niveau du son, il faut savoir que Zulawski a dû recréer entièrement la bande son car celle-ci avait complètement disparu. Le résultat est tout ce qu'il y a de plus honorable.
Enfin, la confiance envers le casting quand on songe à visionner une oeuvre de sa filmographie est toujours là. Et comme de fait, les acteurs habitent avec une habileté exceptionnelle leurs personnages. Nous mentionnerons, entre autres, Jerzy Trela, Andrzej Seweryn, Iwona Bielska, Grazyna Dilag, Jerzy Gralek, Waldemar Kownacki, Krystina Janda et Elzbieta Karkoszka.
Je me surpris de voir à quel point la séance était passée vite hier soir. C'est l'une des craintes que j'ai de ne pas savoir rentrer dans un film quand celui-ci est de longue durée. Mais avec un synopsis aussi attrayant, je n'aurais pu faire l'impasse et grand bien m'en fasse car Sur le Globe d'Argent n'a pas usurpé sa réputation de pépite malencontreusement amputée. Cette perte de saveur, indépendamment de la faute de son géniteur, n'occulte pour autant pas les dimensions philosophiques et métaphysiques omniprésentes tout bonnement savoureuses. Sur ce point, préparez-vous à ne pas vous retrouver face à des dialogues de la vie de tous les jours. Les paroles hallucinées, profondes nécessitent une certaine ouverture d'esprit et seront un frein systématique en cas d'hermétisme au style.
Cela serait pourtant bien dommage de s'arrêter à ce genre de broutilles et ne pas élever son esprit pour toucher à de la science-fiction que n'aurait pas renié Andreï Tarkovski. Sorti en 1987, soit dix ans après la fin précipitée du tournage, Sur le Globe d'Argent aura suscité autant les dithyrambes que les acrimonies. Leur point commun est que toutes ne sont pas restées insensibles face à ce voyage sans retour dans les tréfonds de l'âme humaine, voyageant à travers l'espace dans le plus grand chaos. La conquête spatiale ne verrait-elle notre supériorité que comme un pathétique mirage ?
Note : 16/20