Evilenko

Genre : Thriller, policier, drame (interdit aux - 12 ans)

Année : 2004

Durée : 1h51

 

Synopsis :

Années 80, URSS. Andrej Romanovic Evilenko est professeur dans une école primaire. Après avoir tenté d'abuser de l'une de ses élèves, il est renvoyé de son poste. Il devient alors un serial killer qui viole, tue et dévore des enfants et des jeunes femmes... Le film s'inspire de la vie de Andreï Tchikatilo, surnommé le « Monstre de Rostov » et qui, entre 1978 et 1990, viola, assassina et dévora 55 femmes et enfants...

 

La critique :

De tout temps, les tueurs en série ont fasciné les masses, plongées dans une sorte d’incompréhension face à l’impardonnable. Comment un être humain peut-il en arriver à tuer aussi gratuitement son prochain et réitérer cet acte dans la plus stricte normalité, comme s’il mangeait ou respirait. L’Homme est décidément un animal très paradoxal. Alors qu’il ne peut s’empêcher de décharger sa haine, à très juste raison, contre ce type de personnages, il ne pourra réfréner sa curiosité, magnétisé par ces engeances de l’espèce humaine qui n’ont d’humain que le nom qu’on leur a donné. Même si je suis loin d’être un spécialiste assidu, je pense qu’aucun pays ne fut à un moment épargné par les pulsions criminelles d’un ou plusieurs criminels. Source d’inspiration sans fin, le milieu artistique ne s’est pas privé d’exploiter cette facette du genre humain. Le Septième Art n’allait pas passer outre non plus.
C’est ainsi que de nombreux films émergèrent au cours des décennies, tous s’inspirant de tristes et célébrissimes figures criminelles telles Charles Manson, Henry Lee Lucas, Ted Bundy, John Wayne Gacy, Jeffrey Dahmer, Dennis Rader ou Elizabeth Bathory par exemple, et bien sûr d’autres, toutefois, moins connues de l’opinion publique.

Henry, portrait d’un serial-killer, The Manson Family, BTK, The Chaser et même Psychose se sont inspirés de près ou de loin à ces personnalités aussi sanguinaires que charismatiques. En contrepartie, si ces films se sont illustrés comme de bons voire très bons films, et parfois même des classiques, une armada de navets réalisés par des tâcherons a suivi dans la foulée. Il est vrai que mettre en scène un serial-killer n’est pas la chose la plus aisée qui soit. Bref, quoi que moins parlant que les noms susmentionnés, le soviétique Andreï Chikatilo eut aussi son heure de gloire dans le cinéma dès 1995 avec Le Citoyen X. D’autres pellicules seront produites par la suite parmi lesquelles le récent Enfant 44. Nous pouvons y rajouter le film italien Evilenko (ça change du giallo !), réalisé par David Grieco et qui est l’adaptation cinématographique de son propre roman « Le communiste qui mangeait les enfants ». Homme extrêmement peu prolifique, il n’a réalisé à ce jour que deux longs-métrages, le dernier en date s’intéressant à la vie de Pasolini. Sans surprise, Evilenko est citée comme son œuvre la plus proverbiale allant même jusqu’à se tailler une belle réputation chez les amateurs de sensations fortes.
Pas trop difficile de ressortir vainqueur d’une filmographie apoplectique en même temps. Reste à voir ce que le film a dans le ventre.

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ATTENTION SPOILERS : Années 80, URSS. Andrej Romanovic Evilenko est professeur dans une école primaire. Après avoir tenté d'abuser de l'une de ses élèves, il est renvoyé de son poste. Il devient alors un serial killer qui viole, tue et dévore des enfants et des jeunes femmes... Le film s'inspire de la vie de Andreï Tchikatilo, surnommé le « Monstre de Rostov » et qui, entre 1978 et 1990, viola, assassina et dévora 55 femmes et enfants...

Classé parmi les plus grands tueurs du siècle, la cruauté de Chikatilo n’a rien à envier aux serial-killer les plus connus. Surnommé « Le monstre de Rostov », il est coupable d’avoir sauvagement tué 52 enfants, adolescents et jeunes femmes entre 1978 et 1990. Les étranglant ou les poignardant avec un couteau après les avoir préalablement attirés en échange d’argent ou autres, il se livrait à des actes de viols parfois post-mortem avec un couteau pour finir par se livrer à des actes de cannibalisme en leur arrachant les parties génitales et les manger. Ses tendances pédophiles remontent à une enfance particulièrement affreuse frappée par l’extrême pauvreté, son impuissance et les humiliations qui en résultaient. Il sera condamné à mort et exécuté d’une balle dans la tête non sans s’être attiré l’ire d’un regroupement de parents exigeant qu’on leur livre Chikatilo pour le tuer eux-mêmes.
Au fait, si vous avez vomi à la lecture de ce paragraphe, je m’en excuse sincèrement et pour les plus téméraires, je vous inviterai à aller vous-même en quête d’infos si vous voulez en savoir plus sur ce qui pourrait bien être le plus féroce tueur en série dans sa manière d’agir.

Evilenko ne se veut pas être une biographie mais plus une libre adaptation de ce fou dangereux qui revêt le nom de Andrej Romanovic Evilenko. Dès les premières minutes, l’ambiance est posée. Dans un décor gris et terne, la tête sévère de ce professeur s’adonne à une glorification du communisme passé, fustigeant l’évolution des mœurs depuis l’élection de Gorbatchev. Partisan fanatique de cette doctrine, il tente d’enseigner ces valeurs aux jeunes enfants de sa classe. Quelques minutes après, une tentative de viol est faite sur une petite fille dans un climat glacial qui calmera très certainement le spectateur qui a plongé bien malgré lui dans une œuvre infernale et sans concession. L’idéologie communiste commence à vivre ces dernières années sous l’influence de la gladnost et de la perestroïka vilipendée par Evilenko qui voient en elles le début de la banalisation des dépravations. Néanmoins, le parti, ainsi que le KGB sont encore puissants, de même que certains reliquats des temps anciens où les affaires sensibles étaient étouffées en secrets d’état.
Notre charmant professeur n’en sera pas inquiété et se verra offrir un poste au KGB. Il est bien difficile de se demander comment notre homme a su franchir la ligne rouge. Aucuns signes avant-coureurs ne sont observés. Tout juste nous supposerons qu’il s’agit d’une sorte de vengeance, après quoi il apparaît que l’état psychique de Evilenko coïncide avec le déclin du communisme.

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La société est en pleine mutation. L’intelligentsia de jadis a laissé place à des hommes adhérents à une politique d’ouverture au monde. Des actes que ne peut accepter Evilenko qui ne se reconnaît plus dans l’URSS qu’il voit comme un désenchantement, la fin d’un monde. Il ne se reconnaît plus dans ce milieu dans lequel les enfants assimileront tôt ou tard des mauvaises valeurs d’ordre capitaliste et donc occidentales. Faut-il voir en ces meurtres crapuleux un acte salvateur pour les éloigner de la débauche des ennemis occidentaux ? La question mérite d’être posée. Il y a donc une réflexion d’ordre politique mais aussi philosophique qui se cache derrière Evilenko. Grieco ne s’embarque pour autant pas sur des questions aussi revues comme « Comment un homme peut-il en arriver là ? » car dans le fond, il n’y a tout simplement rien à dire face à un tel niveau de barbarie qui annihile toute humanité chez cet être considéré comme intelligent, méthodique et conscient de ce qu’il fait.
Avec l’aide du corps policier et d’un psychanalyste, leurs multiples tentatives sont vouées à l’échec devant l’absence de preuves. L’enquête patauge, au grand dam de l’inspecteur de plus en plus frustré dont la personnalité insaisissable d'Evilenko se répercute sur son mental. Devenant agressif, il craint pour la vie de sa famille mais est confronté à son impuissance. Il est prisonnier d’une boucle infernale alors que le psychopathe continue ses horribles méfaits.

On ne peut cacher qu'Evilenko dénote par son radicalisme sans pour autant obliquer dans la tendance facile au gore. Préférant jouer sur l’aspect psychologique, Grieco filme de manière suggérée les crimes, ce qui n’empêche pas de terrifier le cinéphile aguerri dont l’inconscient va matérialiser la scène dans sa tête. On relèvera, certes, quelques séquences bien senties. Les exécutions filmées ne se feront que sur des adultes, pour des soucis de légalité. En revanche, la mythique scène dans les toilettes du train concernera un jeune fugueur. On soulignera le jeu de mise en scène ne faisant apparaître que très subtilement le corps s’évanouissant dans la pénombre, ne montrant que la mare de sang. Vous aurez compris que Evilenko peut compter sur une violence inouïe jamais voyeuriste, ni tape-à l’œil. On a toutes les peines du monde à croire que le long-métrage n’est flanqué que d’une simple interdiction aux moins de 12 ans. Très honnêtement, celle aux moins de 16 ans n’aurait pas du tout été usurpée. Néanmoins, certaines critiques pourront légitimement être reprochées.
Le fait de conférer un pouvoir hypnotiseur à ce sociopathe est mal amené et surtout presque pas étayé. Un autre problème souvent reproché est sa longueur. Ce qui sera subjectif suivant l’accroche à la trame narrative qui prend le point de vue autant de Evilenko que du policier Vadim Timourovic.

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Ceux qui s’attendent à un film coloré et chatoyant déchanteront très vite. Comme dit auparavant, les décors sont empreints de couleurs sombres et délavées. Le gris et le vert sombre sont prédominants. Par cette fabuleuse retranscription de l’épopée stalinienne, Grieco ne fait que relater la misère qu’a engendrée cette idéologie dictatoriale. Cette austérité des lieux influe sur la psyché des soviétiques qui ne sourient ni ne rigolent jamais, pas même les enfants. Anxiogène à souhait, on aurait presque envie de se mettre après devant Baby TV pour récupérer notre joie de vivre. La même chose est à adresser à la composition musicale sombre et ses bruitages qui vont de pair. Enfin, il est regrettable de voir que Malcolm McDowell n’a jamais eu droit à la carrière qu’il méritait alors qu’il a démontré son potentiel dans l’excellent Orange Mécanique, Caligula et If... 
Sa capacité à jouer des personnages inquiétants est une fois de plus confirmée ici via une prestation tétanisante du serial-killer dont les ressemblances physiques sont flagrantes. Habitant son personnage à la perfection, son regard noir comme du charbon ne risque pas d’être oublié de sitôt. Les autres acteurs se débrouilleront honorablement, sans toutefois être exceptionnels. Nous citerons Marton Csokas, Ronald Pickup, Frances Barber, John Benfield, Eugenia Gandij, Ihor Ciszkewycz et Fabrizio Sergenti Castellani.

Nous pouvons légitimement saluer David Grieco pour un premier long-métrage de bonne voire même très bonne facture qui relate un épisode sensible, douloureux et très difficile à exploiter quand on connaît le pedigree absolument invraisemblable de barbarie de Andreï Chikatilo. Pas besoin de verser dans un déluge de violence graphique, Evilenko privilégie le hors champ, les déclarations, ce qui n’enlève rien à leur force de frappe. Mais plus que ça, le film possède de solides thématiques dont l’aliénation de certains soviétiques par le pouvoir passé qui asservissait le peuple. La disparition de leur idéal a fait qu’ils ont presque perdu une partie d’eux-mêmes, en l’occurrence ce qui fait de nous des êtres civilisés. Mais si nous nous amusons à extrapoler ceci au point de risquer à verser dans des théories fumantes, ce retour à l’animosité due à la désagrégation du communisme pour son ouverture au capitalisme n’est pas si idiot que ça quand on songe aux conséquences néfastes du néo-libéralisme actuel sans pitié. Bon, l’un dans l’autre, le communisme était aussi tout ce qu’il y a de plus imparfait et surtout totalement irrationnel, pensant qu'il ne peut y avoir de serial-killer sévissant dans leur modèle parfait.
Mais une chose est sûre est que le conditionnement ayant rendu docile un peuple trop longtemps asservi a fait que sa fin a entraîné ces millions de personnes sur des terres nouvelles qu’il s’agissait de conquérir, comme nos lointains ancêtres avant les premières bribes de civilisation.

 

Note : 15/20

 

orange-mecanique Taratata