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Genre : Drame, érotique, pinku eiga (interdit aux - 12 ans)

Année : 1975

Durée : 1h17

 

Synopsis :

L'histoire vraie d'une femme qui, dans les années trente, assassina son amant et l'émascula.

 

La critique :

Une fois n’est pas coutume, Cinéma Choc aime revenir de temps en temps renâcler dans quelques genres outrecuidants, afin de varier les inimitiés. Toutes mes rétrospectives s’étant achevées avec un certain succès, il n’est plus question pour moi d’en réitérer une nouvelle. Soyez donc rassurés sur ce point car il s’agira d’un léger interlude, juste l’histoire de revenir sur quelques films phares d’un genre que vous aurez deviné être le pinku eiga. Oui, encore lui mais si vous doutez de ma bonne foi, sachez qu’il ne restera seulement plus que quatre pinku avant que ça soit fini. Il n’y a pas mort d’homme, n’est-ce pas ? Enfin, le terme n’est pas tout à fait correct car la dénomination exacte s’appelle « Roman porno », ce qui ne change fondamentalement rien en soit, la chose ne résultant que d’un choix purement marketing fait à partir de l’an 1971 par la légendaire société de production Nikkatsu qui s’est rendu maître dans l’art de produire ce type de moyen-métrage, voire long-métrage, qui pourrait être vu comme désuet de nos jours.

Et il faut dire que cette entreprise fut parmi celles qui eut chaud aux fesses quand la TV arriva dans les foyers et qu’une baisse drastique des audiences au cinéma ne se fit ressentir. La rengaine est toujours la même : lassitude pour le cinéma classique d’avant-guerre et contexte socio-économique houleux. La population voulait se détacher des récits has-been de jadis pour un cinéma plus moderne, en phase avec les problématiques actuelles. La Nouvelle Vague japonaise répondra à leurs attentes. En parallèle, certains préféreront jouer sur l’attrait inconscient de certains pour la violence et le sexe. Ceci donnera lieu au pinku eiga dont Koji Wakamatsu en sera l’emblème incontesté en mêlant les dénonciations politiques à la substance du pinku. La transition ne sera que nominale après 1971 où de nouvelles têtes arriveront sur le marché parmi lesquelles Noboru Tanaka qui nous revient encore une fois parce que jamais deux sans trois. Jadis abordé il y a fort longtemps avec La Maison des Perversités, il est revenu il y a peu avec Bondage. Considéré comme un cinéaste marquant du Roman porno, ses œuvres font office d’immanquable pour les rares thuriféraires du courant. Mais jusqu’à présent, je dois reconnaître ne pas partager l’engouement. Reste à voir si La Véritable histoire d’Abe Sada pourra rehausser une certaine forme de passivité à l’égard de sa filmographie quand j’y repense.

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ATTENTION SPOILERS : L'histoire vraie d'une femme qui, dans les années trente, assassina son amant et l'émascula.

L’humanité n’a pas son pareil au cours des siècles pour s’être rendu coupable de monstruosité envers son prochain. Aucun pays, ni empire ou autre n’y échappa et certainement pas le Japon qui, en 1936, verra la police retrouver le corps étranglé et émasculé d’un homme de 41 ans, marié et père de famille. Le coupable sera sa maîtresse, anciennement prostituée, qui a utilisé moult noms au cours de sa vie de débauche. Le 20 mai de la même année, la police arrête celle que le peuple appellera la sorcière Abe Sada. Tanaka décide de s’emparer de ce triste fait divers qui a bouleversé le Japon, très exactement un an avant que Nagisa Oshima ne le popularise à l’international avec son très conversé L’Empire des Sens. Avec, toutefois, moins de fonds financiers et de polémique derrière, Tanaka compte bien y apporter lui aussi sa patte dans un genre codifié et souvent scénaristiquement peu recherché.
Nous pouvons alors diviser La Véritable histoire d’Abe Sada en deux parties bien distinctes. Si on ne lit ni le synopsis, ni ne connaissons l’histoire, on en vient à se demander si la chroniquer sur le blog est un choix pertinent. C’est ce qui m’est arrivé hier soir précisément.

Le premier chapitre ne voit pas la première rencontre entre nos deux tourtereaux qui se connaissent déjà depuis un moment. Tel deux adolescents, nous les suivons dans leurs frivolités. D’un côté, une ex geisha qui n’a d’yeux que pour Kichizo. De l’autre, ce mari volage qui n’a guère de considération pour un foyer que nous ne verrons jamais. L’échec d’un mariage est à la base de la tentation de l’homme de s’exiler dans les bras d’une autre pour oublier son quotidien que l’on suppose anxiogène. Abe Sada représente cette lueur d’espoir, cette lumière tant attendue au bout du tunnel. Durant la première moitié du film, c’est un jeu innocent entre eux où les scènes de sexe sont légions.
Ils expérimentent à l’abri des regards indiscrets, apprennent à se connaître par leur corps, laissent jouer l’attirance charnelle. L’impression d’être en face d’un homme et d’une femme vierges se fait sentir sans tomber dans le ridicule. Tout au plus, nous serons confrontés à quelques longueurs qui sont presque parties intégrantes de ce genre de réalisation. Une atmosphère touchante est plantée, du moins dans un premier temps.

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La deuxième partie va alors effectuer un virage à 360°, transformant La Véritable histoire d'Abe Sada en thriller brutal. L’amour fou de Abe Sada sera tel qu’il outrepassera les limites les plus extrêmes, au point de verser dans la folie. Pareillement pour Kichizo qui acceptera de sacrifier tout ce qu’il a construit, jusqu’à sa vie même. Alors que les amants s’initiaient à quelques étranglements sans danger auparavant, la femme va se laisser complètement absorber par ses pulsions irrationnelles en étranglant Kichizo jusqu’à ce que mort s’en suive. Un rituel méthodique qui démarra par l’isolement de l’homme dans une chambre calfeutrée à tel point qu’il n’y a plus de distinction entre le jour et la nuit.
Plus rien n’a d’importance sauf la fusion des corps se possédant, ne faisant désormais plus qu’une seule et même entité. Après avoir ôté la vie à l’homme qu’elle chérissait, c’est le prélude à un second rituel qui rappelle les offrandes sanguinaires du sexe masculin au sexe féminin. Le spectateur assistera, éberlué, à des scènes de nécro-sadisme explicites entre émasculation et mutilations au couteau pour finir par graver son nom sur le pauvre macchabée.

Cette perversion, rendue dominante par une Abe Sada démente, renvoie à cette mythologie ancestrale et à ces déesses toutes puissantes qui se languissaient des hommes. La Véritable histoire d’Abe Sada est une défiance envers le pouvoir en place, une agression au patriarcat pour lui démontrer qu’il n’a pas toujours incarné le pouvoir suprême sur Terre. Dans cette pièce devenue antichambre de l’enfer, l’homme japonais a perdu sa place au sommet de la hiérarchie, vaincu proprement par l’emprise d’une geisha qui l’aura fait sombrer dans les géhennes mentales et ce avec son consentement le plus honnête. La psyché masculine est fragile, influençable et prête à tout pour se nourrir de satyriasis. A travers ce portrait, Tanaka dépeint au vitriol la tristesse du sexe masculin qui peut très vite tout perdre dont sa domination qui n’est, dans l’absolu, que chimérique.

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A peu de choses près, nous pouvons catégoriser La Véritable histoire d'Abe Sada comme un semi huit clos. Par ce procédé, Tanaka oppresse le cinéphile qui étouffe entre ces quatre murs qui conduiront à la perversion des deux personnages. Quelques rares passages hors de la maison dévoileront alors un Japon sous le régime impérial impitoyable. Ceci faisant référence à la patrouille de soldats marchant dans la rue. Malgré ces choix limités, le film est visuellement agréable, d’une esthétique chatoyante, ce qui n’était pas facile à faire. La bande son est peu présente et, de toute manière, reste assez générique. Pour finir, on ne pourrait faire sans mentionner l’ahurissante prestation de Junko Miyashita campant à merveille la mante religieuse se nourrissant du sang de sa proie une fois que celle-ci est tombée entre ses mains. Les autres ne présenteront qu’un intérêt assez relatif, trop éclipsé par l’actrice principale qui est la seule à relever un niveau bon mais sans plus. Nous citerons Eimei Esumi, Genshu Hanayagi, Yoshie Kitsuda, Ikunosuke Koizumi et Nagatoshi Sakamoto.

Eh bien, je ne peux qu’exprimer ma joie de pouvoir dire avoir bien aimé un film de Noboru Tanaka au lieu du « correct mais sans plus » que je tenais dans mes deux précédents billets. On pourrait déjà commencer par le fait que ça soit tiré d’une histoire réelle qui rend ce pinku eiga attrayant en son genre. On pourra dire aussi que le niveau de perversion assez dérangeant marque. On citera également une actrice pleinement impliquée dans son jeu saisissant de réalisme. Certes, tout n’est pas parfait. Il est vrai que l’on pourra regarder sa montre durant un premier passage assez faiblard, quoique corsé en érotisme. A ce sujet, l’interdiction aux moins de 12 ans n’est pas du tout une faute de frappe car le film a vraiment été flanqué d’une telle ineptie. Quand on voit que des longs-métrages sont encore minés par du moins de 16 ans pour peu de choses, il y a de quoi se questionner sur la pertinence du comité de classification qui a certainement dû ressortir d’une bonne grosse cuite de la veille quand on leur a demandé de noter l’œuvre. Donc considérez qu’il vaut mieux ne pas mettre un gosse de 12 ans devant. Je pense que vous l’aurez deviné à la lecture.

 

Note : 13,5/20

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