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Genre : Guerre, drame, historique 

Année : 1967

Durée : 2h37

 

Synopsis :

15 août 1945. Alors que l'Empereur du Japon a décidé d'accepter les termes de la déclaration de Postdam et de mettre fin à la guerre, des jeunes militaires en désaccord avec le gouvernement ont pour plan de prendre le contrôle du palais et de faire disparaître la déclaration enregistrée de l'Empereur. Une longue journée commence alors, durant laquelle l'unité de la nation sera mise à rude épreuve.

 

La critique :

N'ayez crainte, malgré la pochette vintage et ses idéogrammes, je peux vous assurer que vous ne subirez pas aujourd'hui la cadence sauvage d'une de mes trois grosses rétrospectives toujours en cours qui est axée autour de la Nouvelle Vague japonaise. Découverte au détour d'une liste bénie des dieux sur SensCritique, son incursion en 2017 sur Cinéma Choc ne fut que le prélude à un long enchaînement de chroniques qui n'est pas près d'être encore tari. Pourtant, cela peut sembler surprenant, vu la date de sortie du film en question qui se situe durant la période d'apogée de ce courant fascinant où y officiait de précieux thaumaturges. Car oui, l'année ne veut pas dire grand-chose en soi. Preuve en est avec le pinku eiga qui était loin des conventions édictées. Prenons le grand Masaki Kobayashi dont les oeuvres sorties durant les années 60 et 70 sont toutes sauf "Nouvelle Vague-esque", si l'on rajoute en plus des différences de temporalité. Le sieur étant né durant la deuxième moitié des années 1910, alors que les emblèmes de la NV étaient nés à la fin des années 20 voire au tout début des années 30, ne passant à la réalisation qu'à la fin des années 50 ou au début des années 60.
D'autres bonhommes se retrouvent aussi dans ce cas comme Tadashi Imai qui, lui, est né au tout début des années 10. Un ensemble de règles précises définissait les termes pour entrer dans le cercle privilégié de la grande réforme du Septième Art national.

En revanche, quelques OVNI peuvent se targuer d'avoir été contemporain de la NV jap' sans toutefois en faire partie. Et cela sera exactement le cas avec Kihachi Okamoto qui respectait les critères temporels mais pas formels. Le souci du réalisme et les questionnements sociaux bouillonnants de l'époque ne l'intéressait pas. Avec Hideo Gosha, ils eurent un attrait pour le jidai-geki (ou chanbara) qui est, je le rappelle, le film de sabres que popularisa le légendaire Akira Kurosawa. Bref, Okamoto n'est aucunement un inconnu du site. Bien au contraire puisque trois chroniques lui ont été dédiées il y a déjà un bon bout de temps. Celles-ci ont été faites sur ses trois plus célèbres films qui ont eu les honneurs d'avoir droit à une exploitation à l'international, et même chez nous.
Le trio Samouraï, Kill, la forteresse des samouraïs et Le Sabre du Mal apportaient un bol d'air frais dans ce petit monde. Plus violent, plus sombre, ils contrastaient avec la sagesse qui était de mise. Le chanbara brut pouvait accueillir en son sein trois pellicules dont la plus féroce est sans hésitation possible Le Sabre du Mal. Mais voilà, il ne sera pas question de combats au katana en ce jour, mais bien d'un tout autre domaine qui est le film de guerre historique avec Le Jour le plus long du Japon.

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ATTENTION SPOILERS : 15 août 1945. Alors que l'Empereur du Japon a décidé d'accepter les termes de la déclaration de Postdam et de mettre fin à la guerre, des jeunes militaires en désaccord avec le gouvernement ont pour plan de prendre le contrôle du palais et de faire disparaître la déclaration enregistrée de l'Empereur. Une longue journée commence alors, durant laquelle l'unité de la nation sera mise à rude épreuve.

Comme une évidence, les informations à propos de ce long-métrage ne sont guère éloquentes si nous effectuons une recherche dans la langue de Molière. Visiblement, malgré un titre français, impossible de trouver une trace d'une exploitation dans nos contrées, ce qui fait que nous avons, potentiellement, ici même un énième film inédit de par chez nous. Oui encore un ! Et autant vous dire qu'il y a de quoi s'énerver davantage quand on songe au fait que nous avons là un film d'importance historique par le contexte qu'il traite. En effet, Okamoto revient sur la toute dernière période de la seconde Guerre Mondiale qui a vu le Japon, d'abord rayonnant, perdre sa suprématie guerrière face aux Alliés. Les nombreuses batailles dans les îles, jusqu'en Australie, ont occasionné des pertes militaires gigantesques, tandis que Hiroshima et Nagasaki furent frappés de la bombe atomique.
Pour ne rien arranger, Tokyo fut "simplement" bombardée, et plus particulièrement au niveau de ses dépôts de munitions. C'est donc un Japon en pleine crise qui se doit de prendre une décision au plus vite sur son sort. La première partie fait office d'introduction sur tous les événements qui sont survenus entre la déclaration de Postdam et la décision des ministres de poursuivre ou non la guerre. Une longue parenthèse historique afin de mieux aider à la compréhension des événements à suivre et, par la même occasion, de nous plonger au mieux dans cette atmosphère de tension.

Vient ensuite la seconde partie qui développera davantage toute la polémique autour de ces nombreux débats pour régler le sort de cette guerre éperdue une bonne fois pour toutes. Les conseils se succèdent sans discontinuer où ministres et généraux s'affrontent dans des batailles rangées qui annoncent le drame à venir. Pour la gérontocratie gouvernementale, le massacre n'a que trop duré et le Japon doit revenir dans une période de paix car il s'agit de sauver avant tout la population civile. Un idéalisme qui s'oppose au Ministère de la Guerre et aux différents hauts gradés qui ne peuvent concevoir la reddition en acceptant toutes les conditions auxquelles le gouvernement se doit d'y souscrire immédiatement, sous peine de goûter à nouveau au feu nucléaire. Leur vision est tout autre et il est intolérable pour eux d'accepter la défaite car il s'agirait alors d'une soumission et d'un pur déshonneur qui serait sacrilège pour tous les millions de japonais qui sont tombés sous les balles ennemies.
Pour eux, il faut une dernière bataille de grande ampleur et noyer les Alliés sous le flot gigantesque de tous les hommes japonais restant. La guerre ne pourra se terminer tant qu'il y aura encore des soldats debout. La populace est vue, en fin de compte, ni plus ni moins comme de la chair à canon mobilisée grâce au programme d'éducation fanatique des masses.

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D'un autre côté, la méticulosité de la bureaucratie s'empêtrant dans des discussions interminables galvanise les tensions, crispent les uns accusant une trop grande lenteur procédurière au vu de l'urgence de la situation. En parallèle, on se préoccupe un peu trop de l'impact sur l'opinion publique. Seulement, malgré toutes ces longues facondes, la désillusion des soldats est gargantuesque. Vitupérant les ministres en les traitant de vieux lâches et de non passionnés dont l'influence néfaste porte jusqu'à l'empereur même, ils sont incapables de supporter l'armistice. Le combat doit continuer, jusqu'à ce que le dernier sang soit versé. Il y a donc aussi une analyse assidue de l'endoctrinement des soldats dont le dévouement allait jusqu'à se sacrifier pour espérer trouver la paix dans l'au-delà.
Ces fameux kamikazes dont l'unique but était de se tuer en causant le plus de dégâts possibles. Leurs discours nationalistes passionnés ne peuvent écarter autant notre empathie que notre inquiétude vis-à-vis de leur absence totale d'autodétermination. La dictature a réussi à modeler suffisamment ces êtres pour en faire des zombies aux opinions inébranlables. 

La troisième et dernière partie mettra en scène l'incident de Kyujo. Cette tentative de coup d'état militaire durant la nuit du 14 au 15 août 1945 juste avant la capitulation japonaise et menée par Kenji Hatanaka. Avec l'aide de plusieurs troupes, il tenta d'empêcher l'adhérence à la déclaration. Mais une suite d'événements tragiques le mènera lui et ses fidèles à leur propre perte. Indubitablement, Le Jour le plus long du Japon est un titre aussi passionnant et radical que difficile d'accès. Ce dernier point prend sa source dans le deuxième chapitre d'une assez forte lenteur où la politique y est centrale. Et quand on sait que l'on en a pour un peu plus d'une heure, ça passera ou cassera, sans demi-mesure possible. Pourtant, un tel choix est le plus adapté et fait du film une reconstitution très impressionnante de ce jour qui aura marqué le Japon moderne au fer rouge. Ne s'éloignant jamais de l'aspect documentaire, la narration est d'une précision chirurgicale pour crédibiliser au mieux cet instant houleux.
Qui plus est, Okamoto ne s'est jamais privé d'exactions sanglantes. Preuve en est avec cette impressionnante décapitation ou ces suicides par seppuku. Tout le poids de leur détresse se ressent à chaque minute passant. Leurs actes désespérés sont filmés avec la plus grande neutralité et nous avons tout le mal du monde à les condamner tant ils sont plus victimes que coupables. 

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Kihachi Okamoto ne cache pas son amour pour le noir et blanc qu'il utilise encore, alors que la couleur s'est démocratisée depuis un bon bout de temps. Mais ce choix esthétique n'en est pas pour autant éloigné d'une volonté d'assombrir l'ambiance versant de plus en plus dans l'angoisse suivant les intérêts des uns et des autres. Pour la politique, la peur est que les frondeurs fassent capoter le processus de paix, de l'autre ces mêmes militaires qui ont une peur bleue de voir le prestige japonais disparaître à jamais. Au-delà de ça, la maîtrise de la caméra est évidente. Okamoto prouve à quel point il est professionnel. La composition musicale est peu présente, mettant surtout l'accent sur les tonalités graves. Et pour finir, Le Jour le plus long du Japon peut compter sur un casting de très haut niveau parmi lesquels le géant Toshiro Mifune qui revêt les oripeaux d'un ministre torturé par le cas de conscience dans lequel il se trouve. Sa prestation démontre encore une fois à quel point il n'a plus rien à prouver en termes de talent. Pas d'inquiétude pour les autres qui s'en sortent avec les honneurs.
On citera Seiji Miyaguchi, Rokko Tora, Chishu Ryu qui étaient aussi de grandes stars en leur temps. On aura également Toshio Kurosawa qui incarne avec brio le leader de la révolution mais aussi So Yamamura, Yoshio Kosugi, Takashi Shimura, Etsuchi Takahashi, Takao Inoue et Tadao Nakamaru. Vous noterez l'absence de femmes vu que le monde politique était encore très patriarcal.

Comme souvent, mon exploration un peu borderline du cinéma nippon inédit en ce qui nous concerne se révèle une fois de plus payant et nous rappelle que nous avons décidément bien peu de chance face à nos amis parlant anglais. Il nous rappelle aussi que l'inaccessibilité de pareilles oeuvres à prix normal justifie pleinement le téléchargement pour faire perdurer cette culture cinématographique pour tous. Le Jour le plus long du Japon n'a aucunement à rougir face aux trois grands chanbaras de son auteur et vient même fortement ébranler leur supériorité (sauf pour Le Sabre du Mal qui est indépassable). Deux freins s'opposeront à votre envie de vous y jeter. Primo, si vous ne comprenez pas l'anglais, oubliez d'avance. Et je vous jure que 2h37 de VOSTA, vous les sentez passer ! Secundo, la politique prépondérante n'accrochera pas nécessairement tout un chacun.
En cela, Le Jour le plus long du Japon est quasiment du Costa-Gavras avant l'heure dans sa retranscription inouïe de ces sombres moments précédant la déclaration de Postdam. Okamoto est lui aussi victime d'avoir des perles injustement méconnues et le film ici présent en est une. C'est d'autant plus inadmissible que l'on a entre nos mains un vrai produit éducatif ! 

 

Note : 17/20

 

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