Genre : Drame, thriller, polar (interdit aux -12 ans)
Année : 1971
Durée : 1h33
Synopsis :
Un gang de yakuzas se voit forcé de quitter Yokohama sous la pression d'un gang de Tokyo. Il repart à zéro depuis Okinawa de manière encore plus violente.
La critique :
Vous avez sans doute pu voir ces derniers temps un certain intérêt pour Cinéma Choc de s'engager dans le film de yakuza, aussi appelé yakuza eiga pour les puristes. On ne niera pas que ce style a tout à fait sa place sur le blog au point d'en avoir chroniqué plus d'un. Le grand champion à avoir reçu bon nombre de fois les projecteurs braqués sur sa petite tête est Seijun Suzuki, probablement celui auquel nous pensons directement quand on songe aux oeuvres mettant en scène des yakuzas. Figure notable de la Nouvelle Vague japonaise, il n'était pour autant pas mis au même plan que les cinéastes exerçant dans le réalisme. Son truc, c'était la violence décomplexée et le show tant dans l'histoire que le visuel. Pour un public d'adolescents qui n'était pas forcément friand du sérieux que réalisaient Shohei Imamura ou Yoshishige Yoshida, ce marché de niche, considéré comme de la série B sans grande envergure, était une bénédiction pour eux. Rabrouées et snobées par les critiques ou exploitants de salles, leur succès n'en était pas moins évident. Le seul bémol était qu'il fallait savoir percer dans ce genre assez balisé et éviter finalement de commettre l'erreur fatale du cru indifférencié que l'on oublie aussi tôt arrivé au générique de fin. On peut situer l'apparition des premières grandes réussites dans les années 60 où le yakuza eiga prit toute son ampleur.
Cependant, le film de yakuza se réinvente à partir des années 70 en poussant le côté spectaculaire et anarchisant de la chose. Ils seront appelés "jitsuroku eiga" et auront pour particularité principale d'être réalistes car se basant sur des histoires vraies et filmés dans un style documentaire. Il ne fait aucun doute que Kinji Fukasaku est un immanquable, une pierre angulaire qui popularisera cette réforme des codes du yakuza eiga avec Combat sans code d'honneur en 1973. Le bonhomme, très connu en Occident grâce à Battle Royale, n'a jamais caché son extatisme pour la violence cinématographique tout en s'intéressant de près à la vie d'après-WWII et la transformation de la société japonaise qui en a résulté. Extrêmement prolifique, il tournait des pellicules à la pelle, sortant parfois même plusieurs films sur la même année. Si nous avions eu les honneurs de parler du premier jitsuroku eiga d'importance, nous allons remonter deux ans auparavant, quand ce mouvement n'en était qu'à ses premiers balbutiements. En 1971, sortait Guerre des gangs à Okinawa qui, s'il ne se fera pas autant remarquer que son digne successeur, parviendra à se tailler une solide réputation par la suite au point d'être considéré parmi les grands classiques de son auteur.
ATTENTION SPOILERS : Un gang de Yakuzas se voit forcé de quitter Yokohama sous la pression d'un gang de Tokyo. Il repart à zéro depuis Okinawa de manière encore plus violente.
Comme vous le voyez, le synopsis ne s'embarrasse pas de complexité et autres circonvolutions. Il est succinct, compte tenu du contexte véridique qu'il met en scène. Tout démarre par la sortie de prison de Gunji, un ex-chef de gang qui a passé dix ans derrière les barreaux. A sa sortie, deux de ses fidèles l'attendent et l'informent de la dissolution du clan, noyé par les ambitions destructrices du clan adverse qui auront eu raison du destin de Gunji de se retrouver en taule. Quelques ex-membres vivent encore, éparpillés aux quatre coins de la ville en s'étant rangé définitivement. Pour notre Gunji, il est hors de question de s'avouer vaincu et d'arrêter son business par un échec.
Il décide de reprendre le métier en repartant de zéro, en fondant un tout nouveau clan bien loin de Yokohama avec ceux qui accepteront de prendre part à son projet. Leur destination, paradisiaque de surcroît, est Okinawa, l'île principale de l'archipel portant le même nom. Cette région de l'Océan Pacifique porte en elle un lourd passé puisqu'elle fut l'un des centres névralgiques de la guerre entre le Japon et les USA durant la seconde Guerre Mondiale. L'occupation (ou ingérence, vous choisirez le terme le plus approprié) américaine est toujours présente comme en attestera cette caméra filmant ces paysages où évolue une population cosmopolite.
Gunji et ses hommes ne s'embarrassent pas de bienséance. Ils portent sur leurs épaules la défaite cuisante qu'ils ont subi et ils veulent remédier à ça. Etablissant un constat des lieux et des quartiers contrôlés par les différents clans et factions, ils décident de passer à l'attaque et ils ne feront de cadeaux à personne. Ne vous méprenez pas, Guerre des gangs à Okinawa est bien différent de Combat sans code d'honneur envers lequel il ne partage comme accointances que les grandes lignes du yakuza eiga réaliste. Au-delà, il n'y a pas de volonté de s'aventurer dans des sujets sociétaux. Fukasaku va se contenter de filmer son histoire sans faire de réelle parabole avec la vie en cours. Les relations avec les américains ne se faisant que par le trafic de whisky. Et au centre de tout ceci, la figure énigmatique de Gunji à la recherche de notoriété, de profit et de respect et ce par tous les moyens possibles.
La seule différence avec le film susmentionné est que s'il n'hésite pas à recourir à la manière forte, il adhère toujours avec conviction au code d'honneur des yakuzas. Pas de coups-bas ou de trahisons, il y a une éthique dans ce milieu qui empêche le tout de dévier dans une boucherie sanguinaire.
Ceci est la plus grande fracture entre Guerre des gangs à Okinawa et ses prédécesseurs dont justement, encore une fois, Combat sans code d'honneur où, comme son nom l'indique, la vision des yakuzas était beaucoup plus sombre et déshumanisée. Dans le cas présent, et au risque de me répéter, il y a une forme de respect toujours de la partie même dans les séquences corsées où Gunji n'hésite pas à se servir de son arme mais de face et pas de dos qui est le signe de lâcheté par excellence. L'homme presque toujours affublé de ses lunettes noires, quelque peu sociopathe, a encore une part de spontanéité en lui, des principes inébranlables et du courage, il en a à revendre comme le diront ses adversaires. Il a du style et du cran qui font qu'il expose constamment son corps au danger pour atteindre ses rêves. Ceci donnant lieu à des combats démentiels faits de fusillades et de passages à tabac où le sang coule avec générosité. Parfois, les négociations peuvent se finir par une riposte sanglante, mais toujours de face. On retiendra surtout la fin qui est probablement l'une des plus grandes scènes jamais vues dans le yakuza eiga où le dicton "Méfiez vous d'un homme qui n'a plus rien à perdre" est illustré à la perfection. Tout juste accusera-t-on une caméra quelques fois brouillonne dans certains moments d'action. Heureusement, ils seront assez rares.
Pour qui affectionne l'exotisme, Guerre des gangs à Okinawa devrait logiquement le faire apprécier cette petite bouffée d'air frais loin de la mégalopole tokyoïte ou des villes de plus petite taille. Ici, nous pouvons sentir l'air chaud. Nous sommes témoin d'un ciel ensoleillé qui fait se promener en short et t-shirt les badauds. La mer, les hôtels, les bars de nuit où les néons sont la seule source de lumière offrent un spectacle dépaysant. Caméra très près du corps, la lisibilité en est pourtant plus que convenable et ce couplé avec le dynamisme que l'on connaît de Kinji Fukasaku. Les aficionados de partition jazzy seront aussi aux anges. Omniprésente, elle donne le rythme, est véritablement le moteur du grand spectacle. Et nous ne pourrions clôturer le tout sans parler de ce très bon casting de vraies gueules faites pour interpréter de pareils rôles. La vraie star est bien sûr Koji Tsuruta campant un Gunji aussi mystérieux que dangereux. Vient ensuite s'ajouter Noboru Ando, Asao Koike, Tomisaburo Wakayama (égérie de la franchise Baby Cart et de nombreux autres films similaires), Tsunehiko Watase, Akiko Kudo, Kenji Imai et Harumi Sone pour ne citer que eux.
Je me dois d'avouer que le démarrage de mon exploration de la filmographie de Kinji Fukasaku ne s'est pas fait de la meilleure des manières, n'ayant pas été emballé plus que ça par Battle Royale et Combat sans code d'honneur. En revanche, après le génialissime Le Cimetière de la Morale, c'est un deuxième coup de génie que m'assène le cinéaste en pleine poire. Guerre des gangs à Okinawa n'a aucunement usurpé son statut de grand classique du yakuza eiga tout en étant une oeuvre à part chez son géniteur qui ne s'était pas encore enorgueilli du yakuza sans foi ni loi. Confirmant son statut de grand garçon borderline, son impact fut déterminant en ayant influencé nombre de réalisateurs futurs à commencer par Quentin Tarantino pour mentionner le plus connu.
Qui plus est, sans Guerre des gangs à Okinawa, il est très probable que jamais Sonatine, mélodie mortelle n'aurait vu le jour. On tient là une création très attachante, bourrée de bonnes intentions et à la tension omniprésente. Bien sûr, il ne faut pas s'attendre à quelque chose d'intellectuel car seul le fun est le maître du jeu, et de temps en temps, ça fait du bien.
Note : 15/20