Genre : Drame, chanbara
Année : 1965
Durée : 1h42
Synopsis :
Japon, 1614 : le clan Toyotomi et le clan Tokugawa sont au bord d'une nouvelle guerre, malgré la défaite des Toyotomi 14 ans plus tôt à la fameuse bataille de Sekigahara. Sasuke est un espion à la solde du clan Sanada, qui, malgré la mort du général à Sekigahara, perpétue la tradition yakuza du clan. Il est chargé d'espionner les deux camps rivaux et s'efforce de rester neutre, jusqu'à ce qu'il soit mêlé malgré lui à un meurtre impliquant les deux clans. Il doit alors mener l'enquête.
La critique :
Je me disais que tant qu'à faire, après avoir engendré chez vous une salve de cris de joie suite à la fin de mon long travail sur la Corée du Sud, il aurait été de bon ton de vous faire une petite piqûre de rappel sur mes deux derniers gros projets toujours en cours. Pas plus tard qu'il y a trois jours, un énième giallo revint dans les colonnes éparses de Cinéma Choc et c'est maintenant au tour de la Nouvelle Vague japonaise de revenir encore vous casser les pieds après de timides débuts sur votre blog favori (rires !). Initiée ici-même avec le très bon Les Funérailles des Roses, rien ne prédestinait cette NV à devenir mon courant préféré. Bien sûr, et il fallait s'en douter, mon exploration fanatique de ce milieu me fit faire la connaissance de pellicules qui ne m'enchantèrent pas plus que ça.
Mais y a-t-il seulement un seul courant cinématographique pouvant s'enorgueillir de ne posséder que des chefs d'oeuvre ? Evidemment que non ! Et si ce mouvement malheureusement trop peu connu était chroniqué suivant des intervalles de longue durée, nous en sommes finalement arrivés à ce qu'une rétrospective voit le jour. Certains grommelleront qu'elle n'en finit pas et je ne peux leur donner tort tant la liste s'est rallongée à mesure que le web français se remettait de ses lourdes émotions de deux des plus gros sites de téléchargement fermés. Très loin de là de promouvoir cette méthode d'obtention d'oeuvres, mentionnons que les films rares, inaccessibles en format physique ou même trop cher sont parfois le seul moyen d'y avoir accès donc bon...
Il est amusant de voir que j'annonçais, il y a maintenant un an, la fin imminente de mes billets sur la NV japonaise et voyez où nous en sommes actuellement. Je ne me fais toutefois pas trop d'illusions sur le rajout de nouveaux titres de dernière minute mais sait-on jamais. Quoi qu'il en soit, si elle se fit peu remarquer chez nous, ce n'est forcément pas le cas dans son pays natal où elle vit sa naissance germer sur le sol d'un Soleil Levant en pleine ébullition. Primo, les problèmes économiques induits par la télévision se démocratisant dans les foyers au point que cela mit à mal les sociétés de production et in fine la fréquentation des salles de cinéma. Secundo, la lassitude des japonais pour le Septième Art classique, chanbaras Kurosawaien compris.
Tertio, le climat socio-politique marqué par de nombreux soulèvements populaires qui eurent pour effet d'impacter la mentalité de jadis où le peuple désirait des films plus sociaux et intellectuels. Le salut proviendra d'une nouvelle génération de cinéastes qui refonderont les bases, offrant un second souffle au cinéma japonais. Qu'ils soient Yoshishige Yoshida, Shohei Imamura, Yasuzo Masumura ou encore Hiroshi Teshigahara, ils contribueront de manière inestimable à la renaissance du Septième Art. Au sein de ce cercle, il y a Masahiro Shinoda présenté il y a un bien long bout de temps avec Fleur Pâle et Double Suicide à Amijima, et dernièrement avec Assassinat. Compte tenu d'une meilleure disponibilité comme dit précédemment, Shinoda revient vous casser les pieds (ou non) avec La Guerre des Espions.
ATTENTION SPOILERS : Japon, 1614 : le clan Toyotomi et le clan Tokugawa sont au bord d'une nouvelle guerre, malgré la défaite des Toyotomi 14 ans plus tôt à la fameuse bataille de Sekigahara. Sasuke est un espion à la solde du clan Sanada, qui, malgré la mort du général à Sekigahara, perpétue la tradition yakuza du clan. Il est chargé d'espionner les deux camps rivaux et s'efforce de rester neutre, jusqu'à ce qu'il soit mêlé malgré lui à un meurtre impliquant les deux clans. Il doit alors mener l'enquête.
L'année précédente, le cinéaste réalisait son rêve de pouvoir mettre en scène un jidai-geki en le revisitant ou tout du moins en l'intellectualisant. Le résultat décontenança certains qui accusèrent un flagrant manque d'action au profit d'une histoire de machinations politiques. Je fis partie de ceux qui furent désappointés par l'expérience, sans pour autant réfuter sa bonne qualité globale. Ayant été préparé à cela, je savais à quoi m'en tenir en me lançant hier soir dans le visionnage de La Guerre des Espions obtenu dans un format très peu attrayant pour mes petites rétines, sans que cela ne soit illisible ceci dit. Le film se base sur un roman de Koji Nakada du nom de Ibun Sabutori Sasuke dont la thématique est la guerre de clans sous fond d'espionnage où l'objectif est de connaître son ennemi à tout prix pour avoir un potentiel avantage de victoire. Même si n'ayant pas lu le grand classique L'Art de la Guerre de Sun Tzu, je suppose qu'il aurait été d'accord avec cette technique basée sur la discrétion et le silence. Savoir dissimuler son identité, ne laisser aucune trace, ne faire aucune erreur qui pourrait compromettre la mission sont autant de points capitaux de tout espion qui se respecte.
Cette trame scénaristique est idéale pour Shinoda qui, de ses propres aveux, en a fait une allégorie de la situation géopolitique du Japon en 1965. En cette période, le monde est plongé dans la hantise d'une troisième Guerre Mondiale. Les tensions entre les USA et l'URSS sont vivaces. Le Japon fait partie de ces pays à être comme un chien au beau milieu du jeu de quilles. Ne sachant trop vers quel pays s'orienter, le gouvernement nippon est dans le flou le plus complet de cette Guerre Froide. Chacun d'eux est légitime dans ses motivations mais il faut choisir. Les points de comparaison entre La Guerre des Espions et l'an 1965 sont nombreux. Les deux clans renvoient aux américains et aux soviétiques et Sasuke est le Japon s'efforçant de naviguer entre ces deux camps.
Et entre les Toyotomi et les Tokugawa, personne n'est ni tout à fait bon et ni tout à fait mauvais. Chacun a, en fin de compte, ses qualités et ses défauts. Ce qui importe pour eux est d'être les numéros 1, les conquérants, ceux placés au plus haut sommet de la guerre. La Guerre des Espions propose une véritable réflexion politique que n'aurait pas renié le talentueux Costa-Gavras, éludant tout manichéisme et raccourcis faciles. A l'instar de notre héros, la neutralité est de mise.
Alors qu'Assassinat promouvait les longues facondes en snobant les combats qui sont consubstantiels du chanbara, La Guerre des Espions est bien plus équilibrée, offrant la part belle à plusieurs passages d'action pure où la violence est de mise. Effusions de sang, membres amputés, corps transpercés sont aux abonnés présents. De quoi ravir les aficionados de jidai-geki plus couillus que la sagesse des longs-métrages de Kurosawa. Et si vous avez été rebutés par la complexité scénaristique d'Assassinat, il y a de fortes chances que vous adhériez à un récit qui, malgré son nombre élevé de personnages, se montre plus linéaire et sobre. Néanmoins, je déconseille vivement de ne pas être fatigué et/ou d'être déconcentré, au risque de vite perdre le fil de l'histoire.
Là encore, ça plaira ou non et moi-même doit bien avouer avoir eu un peu de mal de temps en temps à remettre toutes mes idées en place. Bon, je me permettrai d'accuser le visionnage en VOSTA si vous me permettez. Cependant, guère d'inquiétude sur une intrigue prenante dont on tient à connaître les tenants et aboutissants qui se montreront pour le moins surprenants en symbolique, et toujours en accord avec le Japon contemporain d'alors.
Nous féliciterons Shinoda qui ne se prive pas de nous offrir un visuel léché et travaillé. Son noir et blanc séduit irrémédiablement, le travail sur les éclairages et les contrastes suscitent le respect. La maestria de la mise en scène dans ses cadrages et ses travellings est à mentionner, ces derniers sublimant les combats. On appréciera grandement les décors tant urbains que champêtres. La Guerre des Espions est plus éclairée dans sa mise en image qu'Assassinat. La partition sonore est de bonne facture, bien qu'elle ne surprenne guère par son classicisme. On sera aussi convaincus par des acteurs interprétant avec justesse leur rôle sans ne jamais trop en faire.
Il n'y a pas de volonté de surjouer son personnage. Là encore, on ressent les influences de la Nouvelle Vague qui met le réalisme des situations au centre de toute production qui lui est dévouée. On citera Hiroshi Aoyama, Jun Hamamura, Osamu Hitomi, Minoru Hodaka, Hisanobu Ichikawa, Kentaro Imai, Yasunori Irikawa et Shintaro Ishihara.
En conclusion, La Guerre des Espions n'est peut-être pas le jidai-geki qui vous marquera le plus. Si la narration se laisse suivre sans déplaisir en se débarrassant de temps morts qui impacteraient son visionnage, elle ne parvient que rarement à surprendre. Qui plus est son austérité pourra parfois faire tiquer le spectateur pris au piège de complots politiques. Pourtant, il est largement plus facile d'accès qu'Assassinat rien que pour sa sobriété de mise en scène et sa trame narrative moins tortueuse. Deux caractéristiques très déterminantes pour l'appréciation finale. Rappelons que la parabole avec la Guerre Froide est fascinante à suivre et même amusante à notre époque où cette peur n'est plus vraiment de la partie aux yeux du monde. Un témoignage du passé ou encore le reflet de son époque, La Guerre des Espions méritera un petit détour pour tout thuriféraire de chanbara, en espérant qu'ils soient encore nombreux.
Note : 14,5/20