Genre : Thriller, policier, giallo (interdit aux - 12 ans)
Année : 1971
Durée : 1h32
Synopsis :
John, qui vient de quitter sa fiancée Isabel, est attaqué sauvagement dans la rue. Walter et son amie Julia sont témoins de la scène et racontent l'agression au journaliste Andrea Bild, un spécialiste des affaires criminelles. Ce dernier, malgré l'opposition de la police, entreprend une enquête. Soupçonné d'une série de meurtres, il devra retrouver l'assassin pour se justifier.
La critique :
Bon, vous n'allez tout de même pas pleurer encore une fois ! Je suppose que votre esprit a dû être conditionné désormais pour endurer toujours les immanquables rendez-vous avec mon plus gros travail en terme de longueur qui est... (roulements de tambour) le giallo. Et histoire de vous mettre tous de bonne humeur, sachez que ma rétrospective s'est rallongée de seulement un giallo. Ce n'est pas beaucoup certains me diront mais pour ceux qui en sont arrivés à être sous Zyrtec, c'est une épreuve supplémentaire avant de voir le bout du tunnel. N'ayez crainte qu'il traîne derrière lui une bonne réputation, histoire de vous dire que tout n'est pas si sombre. Je ne peux alors qu'être agréablement surpris de constater que la bonne disponibilité sur le web a fait de mon cycle un truc mieux foutu que ce à quoi je m'attendais. La raison étant que se limiter aux noms les plus connus d'un genre voyant sa naissance en l'an de grâce 1963 n'aurait pas été probant pour un sou.
C'est à cette date que Mario Bava allait changer le visage du cinéma transalpin en réalisant La Fille qui en savait trop. Novateur pour son époque, elle fera office d'oeuvre précurseur avant que Six Femmes pour l'Assassin ne donna naissance au style que nous connaissons tous. On le définit alors comme le premier vrai giallo.
Toutefois, les débuts ne sont pas aussi fulgurants. On décèle bien ça et là quelques incursions dans le genre comme La Mort a pondu un oeuf ou Perversion Story mais il faudra attendre la sortie de L'Oiseau au plumage de cristal pour que le boom se fit. L'année 1971 étant la période où le genre atteint son apogée, voyant nombre de cinéastes se lancer dans l'aventure, expérimentant et tentant des choses. Dario Argento, Lucio Fulci, Sergio Martino, Massimo Dallamano ou Aldo Lado sont autant de noms plébiscités par les thuriféraires. Dernièrement, avec Emilio Miraglia, je me faisais une joie d'aller renâcler dans la zone des personnages moins connus, moins mis en lumière.
Et c'est à Luigi Bazzoni de s'offrir une place dans nos colonnes avec son Journée noire pour un bélier qui sortit justement en 1971, où la concurrence était rude pour se démarquer. Artisan très peu prolifique, il n'avait jusque-là jamais tenté le giallo, ayant au préalable officié dans le western avec L'Homme, l'orgueil et la vengeance et le policier conventionnel avec le correct mais sans plus La Donna del Lago, associé avec Franco Rossellini. Restait à voir ce qu'il allait nous offrir avec ce qui est considéré comme son long-métrage proverbial.
ATTENTION SPOILERS : John, qui vient de quitter sa fiancée Isabel, est attaqué sauvagement dans la rue. Walter et son amie Julia sont témoins de la scène et racontent l'agression au journaliste Andrea Bild, un spécialiste des affaires criminelles. Ce dernier, malgré l'opposition de la police, entreprend une enquête. Soupçonné d'une série de meurtres, il devra retrouver l'assassin pour se justifier.
Le giallo, et cela serait pisser dans un violon que de le dire, a très tôt montré ses limites dans ses objectifs. Se reposant souvent sur des ficelles rébarbatives et un croquemitaine masqué, la déferlante de pellicules a fait que le genre est devenu un pot-pourri dont nombre de films avaient toutes les peines du monde à tant soit peu surprendre leur audimat. Dans le cas de Journée noire pour un bélier, Bazzoni reste absolument fidèle aux codes du genre entre le mystérieux serial-killer, la police qui patauge et le héros principal qui se sent investi de la mission de lui mettre le grappin dessus. Mais ce protagoniste n'est pas le genre d'homme à être un sauveur. Il est un quidam rongé par la perte de son ex-femme qui ne l'aime plus. Il a complètement disparu de la vie de famille et comble de tout, il n'a pu trouver de réconfort que dans l'alcool où il tente d'oublier un temps ses idées noires.
John est un homme qui n'a pas eu de chance et dont le métier de gratte-papier va lui permettre d'accéder à quelque chose qu'il n'a depuis longtemps plus été en mesure de toucher : la reconnaissance par autrui. Mais le monde du journalisme est cruel et certains n'hésitent pas à se voler dans les plumes pour grimper en hiérarchie.
John a tôt fait de saisir l'opportunité de traquer un homme qui se présente à lui, surtout quand il est directement soupçonné, incapable d'apporter le moindre alibi sur la table. Un meurtrier rôde dans les rues, s'en prenant à des hommes et femmes. Le modus operandi est de leur prélever un doigt en fonction de leur place dans l'échiquier. Le premier macchabée a un doigt en moins, le deuxième deux doigts et ainsi de suite. Ainsi, notre homme déchu ne va guère nous inspirer d'empathie sur son sort. Bazzoni l'affiche avant tout comme un être qui tient à rendre la justice seulement pour se sauver de son sort inéluctable, pour faire disparaître tous les soupçons et accusations subtiles sur sa personne. Il semble désintéressé des personnes qui exhaleront leur dernier soupir face à cet inconnu sociopathique.
Toutes les démarches qu'il fera seront motivées par l'égoïsme, la fuite vers une vie qui, pourtant, continuera à lui échapper. Journée noire pour un bélier n'est pas seulement un giallo, il est aussi une tragédie humaine. Il affiche l'aveu de l'échec, la misère d'un John esseulé dans une ville qui ne lui fait pas de cadeau. La seule lumière au bout du tunnel étant de faire face au tueur dont il n'est finalement pas si éloigné que ça sauf dans l'art d'ôter la vie à son prochain.
Avec Journée noire pour un bélier, le giallo prend une nouvelle dimension qui est le drame social exprimant tous les maux de notre société occidentale (solitude, individualisme, capitalisme) et leur impact sur la vie de chacun. L'importance du film trouve tout son intérêt dans ses thématiques intellectuelles qui en font un produit en marge de la scène traditionnelle. D'un autre côté, son choix de la simplicité malgré une mise en scène efficace à la narration plaisante à suivre jusqu'à un final d'anthologie pourra rebuter certains. On accusera des meurtres qui, s'ils sont radicaux, ne sont pas le moins du monde inventifs. Le sang ne coule quasi pas. L'érotisme est inexistant. Indubitablement, on ne tient pas un produit irrévérencieux dans la droite lignée que ce qu'ont fait Dallamano, Fulci ou Martino.
Le film souffre de tous ces petits trucs qui manquent pour en faire un produit pouvant rivaliser avec les très bons crus du giallo. Bazzoni préfère le classique, ne braquer les projecteurs que sur son histoire. Journée noire pour un bélier dénote par sa construction académique qui, si elle est maîtrisée en tout point, ne parvient jamais à étonner et à marquer dans le temps.
Les fanas d'esthétiques pourront aussi accuser l'absence totale de prise de risques dans la construction graphique. Si le métrage est tout ce qu'il y a de plus beau visuellement, il n'y a pas de recherche ou d'expérimentation quelle qu'elle soit. Pas d'éclairages criards, des décors dans l'ensemble classiques avec parfois quelques environnements d'ambiance comme cet enfant pourchassé dans un sous-sol (très bonne scène au demeurant) ou encore un tunnel désertique et même l'entrepôt désaffecté à la fin. On retrouve les rapides gros plans sur image qui sont une caractéristique typique de mise en scène du giallo. Les cadrages léchés sont également rencontrés.
Pour les laudateurs d'Ennio Morricone, il a été chargé de la bande son qui, si elle est de qualité exemplaire, a déjà été plus marquante. On pourra enfin compter sur un casting honorable composé d'acteurs investis dans leur rôle sans qu'ils ne soient transcendants. On citera Franco Nero, Silvia Monti, Wolfgang Preiss, Ira Von Furstenberg, Edmund Purdom, Rossella Falk, Renato Romano et Guido Alberti.
On sera d'accord pour dire que Journée noire pour un bélier est une réussite. Narration travaillée, meurtres superbement bien mis en scène, un sens du rythme qui ne fait jamais retomber l'intérêt du film, sans compter un Franco Nero charismatique sont de la partie. Alors pourquoi ressort-on avec un sentiment de satisfaction pas suffisamment comblé ? Tout réside dans le fait que le film ne semble posséder aucune identité, réalisé comme un caddie à remplir d'achats sur une liste que l'on respecterait scrupuleusement sans ne rien ajouter ou retirer. Les défauts ne sont même pas à rechercher dans le gore et le sexe absent, mais bien dans la timidité de Bazzoni qui n'a pu s'empêcher d'être impersonnel et trop académique. Cela ne justifie pas pour autant qu'il faille faire absolument l'impasse sur ce film qui a des arguments pour se vendre mais autant vous dire qu'il ne sera pas de ces gialli indispensables ou injustement peu connus.
Note : 12/20