Genre : Drame, pinku eiga (interdit aux - 16 ans)
Année : 1965
Durée : 1h29
Synopsis :
Un jeune homme dérangé, après avoir espionné sa mère prostituée avec un militaire noir, se trouve incapable d'atteindre l'excitation sexuelle à moins de caresser une arme chargée. Plus tard dans la nuit, il assassine le GI.
La critique :
Je sais ce que vous devez vous dire et je m'empresserai de vite mettre fin à vos peurs les plus infondées. Ne vous inquiétez pas, le fait d'avoir eu deux pinku eiga chroniqués quasiment l'un à la suite de l'autre n'annonce pas une nouvelle rétrospective dédiée au genre. Tout au plus, vous pourrez vous enorgueillir des quelques grands classiques qui ont eu la chance d'être édités chez nous et qui n'ont pas encore eu les faveurs de Cinéma Choc pour en parler avec plus de précisions. Car oui, le blog n'a jamais caché son extatisme pour ce genre japonais si singulier et sans réel équivalent cinématographique occidental. Il faut dire que le Septième Art nippon subissa de gros changements dans les années 60. L'intrusion de la télévision dans les foyers entraînait des baisses de recettes pour les sociétés de production. La mode de "l'écran chez soi" rendit les grandes salles has-been car plus besoin de bouger de chez soi.
Qui plus est, les gens commençaient à en avoir un peu marre des mêmes têtes du cinéma classique, aussi bonnes soient-elles parmi lesquelles Ozu, Mizoguchi, Naruse et même Kurosawa dont les histoires épiques de jidai-geki ne galvanisaient plus autant les foules. L'hégémonie américaine fut aussi très déterminante dans une époque de contestations où l'alliance Japon et USA était férocement critiquée. Le pacte de sécurité nippo-américain en sera le meilleur exemple.
La Nouvelle Vague japonaise réinventa les fondements en touchant à tous les âges, même les adolescents friands de yakuza-eiga. D'un autre côté, la Nikkatsu se plaisait à développer des films volontairement violents et racoleurs pour rameuter les foules en jouant beaucoup sur le sexe. Avec l'interdiction du cinéma pornographique, ce fut du pain béni pour le pinku eiga qui grimpa très vite en popularité, allant même jusqu'à donner naissance à des figures véritablement professionnelles et surtout très respectées. Koji Wakamatsu en sera le parfait représentant majeur. On atteste la naissance officielle du style dans les années 1962 - 1963 mais la problématique de leur réseau de distribution indépendant au public restreint empêchait l'envol du pinku. La sortie de Daydream se fait la même année que celle des JO, soit en 1964, avec la chasse à la pornographie et aux clubs de strip-tease.
Ce fut le premier pinku eiga à gros budget sorti au Japon, restant bien évidemment toujours inédit de par chez nous. L'année suivante est une date phare dans l'histoire du pinku avec la sortie de Neige Noire (traduction française de Black Snow) qui fera scandale à sa sortie. Le réalisateur, Tetsuji Takechi, est traîné devant les tribunaux avec un procès au cul pour obscénités. C'est de ce film dont nous allons parler aujourd'hui.
ATTENTION SPOILERS : Un jeune homme dérangé, après avoir espionné sa mère prostituée avec un militaire noir, se trouve incapable d'atteindre l'excitation sexuelle à moins de caresser une arme chargée. Plus tard dans la nuit, il assassine le GI.
Si le pinku eiga peut sembler désuet de nos jours, ce ne fut guère le cas en son temps où les représentations filmées parvenaient à choquer un public peu préparé à cette force de frappe. L'arrestation de Tetsuji Takechi, d'abord metteur en scène de pièces de kabuki, finit par devenir un combat public entre les intellectuels japonais et le gouvernement. Cette polémique de grande ampleur s'acheva triomphalement avec un Takechi sortant gagnant sur tous les plans. Sa popularité en ressortit considérablement grandie, celle de son dernier cru en date aussi. Mieux encore, cette comparution en justice permit l'essor du pinku qui, d'une production minime, entraînera un rythme de sortie à cadence industrielle. L'an de grâce 1969 en fut le point culminant avec 250 moyens-métrages sortis. Dominant sans partage le marché japonais, il devint un véritable phénomène de société transgressif.
Vous comprenez maintenant pourquoi Neige Noire ne pouvait éternellement échapper à mon oeil avisé. Cela sera aussi l'occasion de le mettre plus en lumière sur le web français, sa présence n'étant que trop timide. Je ne suis d'ailleurs même pas sûr qu'une chronique rédigée dans la langue de Molière n'existe. Mais trêve de verbiages sur tout ceci et tâchons d'en savoir un peu plus sur ce programme possédant une intrigue tout ce qu'il y a de plus rudimentaire.
L'histoire prend place non loin d'une base militaire américaine où la population vit des dépenses des soldats et autres supérieurs hiérarchiques de l'Oncle Sam. Parmi celle-ci, des prostituées s'y sont installées pour jouir des satyriasis des rosbeefs. Leur petite affaire est au beau fixe, surtout pour la mère d'un jeune homme qui aura le malheur de jouer au voyeur lorsque sa maman chérie s'enverra en l'air avec un officier noir de peau. On soupçonne fortement Masaru Konuma de s'en être inspiré pour son Fleur Secrète. Cette découverte le choque au plus haut point. Ce passage renvoie inévitablement au complexe d'Oedipe, aux tourments de la jeunesse et à la protection instinctive de l'enfant pour celle qui l'a mise au monde. Quoique innocent, timide, peu loquace et très introverti, il n'a qu'une seule envie en tête qui est de tuer ce soldat en état d'ébriété un soir. La scène où nous le verrons avec le fils Jiro en arrière-plan expose la supériorité de l'officier sur ce dernier et, par extension, des USA sur le Japon.
Takechi n'ayant jamais caché son anti-américanisme et son hostilité envers les japonais dépendants des officiers US qu'il considère comme des parasites. La brève séquence de la protestation contre le renouvellement du traité de sécurité par deux jeunes qui chercheront à récolter des signatures en sera une preuve supplémentaire, les acrimonies à leur égard aussi.
Ce meurtre, cet acte irréparable, cette revanche du Japon contre l'occupant, va faire plonger Jiro qui finit par ne plus avoir de contrôle sur ses pulsions désormais malmenées après l'effroyable vision du coït maternel. Le spectre de la criminalité est son destin. Il convoite les 20 000$ détenus par sa tante provenant d'un haut gradé, se noue d'amitié avec deux voyous. En parallèle, son amour est partagé entre une jeune fille remplaçant une péripatéticienne qui a chopée une MST et la jouvencelle d'un taximan. Comme souvent avec le pinku eiga, l'homme n'est, en fin de compte, jamais le dominant dans l'absolu. Bien sûr, il est celui qui se plaît à abuser des femmes et régner avec son Dieu phallus sur celles-ci sommées à n'être que de vulgaires bouts de chair qui n'ont aucune autre alternative pour survivre par l'obtention de leur précieux pécule. Il y a en filigrane la dénonciation de l'échec du Japon qui n'a pas su relever suffisamment le niveau de vie d'après-guerre pour sortir certains éléments de sa civilisation qui sont toujours dans l'impasse. Néanmoins, on peut très nettement voir qu'il est totalement dépendant du sexe féminin, qu'il ne peut se passer de lui, trop guidé par ses hormones. Il est irrationnel, ce qui place la femme sur un plan intellectuel supérieur.
Lui sombrera dans les abysses, elle, se relèvera et finira par continuer sa vie dans une insouciance triste mais elle aura ce que lui ne peut obtenir : la liberté. Neige Noire n'offre finalement aucun espoir à son protagoniste masculin devenant de plus en plus une véritable ordure se désolidarisant de ses valeurs morales. En se servant d'une fille comme appât, il sera à l'origine de la séquence déchirante qui vaudra à Takechi de se retrouver devant la justice. La fuite éperdue de cette nymphe nue courant le long de la route durant plusieurs minutes. L'intrusion de la spinescente thématique de l'inceste en dérangera plus d'un, surtout quand on se rend compte qu'il n'y a pas de non réciprocité entre les deux. On reconnaît le fossé culturel entre le Japon et l'Occident pour qui cette pratique relève davantage de l'interdit. Ainsi, Neige Noire traite déjà des pensées dissidentes qui feront du pinku eiga un cinéma érotique provocant mais avant tout intelligent. Sa durée relevant encore du long-métrage est sa seule différence avec le marché traditionnel ne dépassant que rarement les 1h20.
Ce sera dommageable car les chutes de rythme seront bien là, minant l'intensité d'une narration qui a parfois beaucoup de peine à garder l'attention du cinéphile en éveil. Ces phases, bien que rares, ne seront pas du tout avantageuses.
Hors Koji Wakamatsu, je n'eus pas encore la chance de goûter à l'époque des sixties au travers d'autres cinéastes du pinku. C'est enfin chose réglée et en prime le noir et blanc est de la partie. De quoi me rappeler l'époque des grands classiques du cultissime Wakamatsu, tout du moins sur ce point, le style étant assez différent. Qu'à cela ne tienne, le visuel est d'une beauté certaine. Les décors valent le coup d'oeil et l'aisance de la caméra est à souligner. Certaines maladresses seront de la partie. On apprécie moyennement la manière de filmer lors du coup de couteau fatidique de Jiro sur le militaire. Autre gros point positif, l'excellente qualité de la bande sonore qui oscille entre symphonies d'orchestre jazzy et mélodies mélancoliques. Et pour finaliser le paragraphe, nous sommes convaincus par le bon jeu d'acteurs de toute cette assemblée constituée de Kotobuki Hananomoto, Chitose Kurenai, Chieko Murata, Keiko Mizumachi, Yoichiro Mikawa, Yasuko Matsui, Machiko Tsuki et Takako Uchida pour ne citer qu'eux.
Certes, Neige Noire n'est pas du même niveau que les perles du maître Wakamatsu. Les scènes érotiques sont parfois un peu timides, un peu trop brèves aussi. Osées, elles le seront globalement, ce qui est un plus. Cependant, il serait très malvenu de rabrouer cette honorable réalisation de Takechi qui eut un impact inestimable sur la pérennité future du pinku eiga qui lui doit énormément. D'un point de vue historique, ce film n'est ni plus ni moins qu'un immanquable pour le Septième Art japonais dans son ensemble. La déception est de taille quand on voit à quel point il a sombré dans l'oubli alors que c'est tout de même un pan majeur du genre. Fort heureusement, un généreux contributeur a mis la version complète de Neige Noire sur YouTube en VOSTA.
Donc pour les intéressés, vous savez où aller pour dégoter cette sympathique pellicule un peu amateur mais c'est dans l'optique du pinku de jouer de ces codes en tournant vite (de l'ordre d'une semaine, parfois même un peu moins). Neige Noire peut compter sur un scénario solide qui, nonobstant des difficultés à garder le spectateur attentif, a le mérite d'apporter de la consistance à une expérience loin d'être déplaisante mais quelque peu perfectible, alors qu'il y avait de quoi aboutir à un chef-d'oeuvre.
Note : 13,5/20