Genre : Policier, thriller, giallo (interdit aux - 12 ans)
Année : 1971
Durée : 1h39
Synopsis :
Une jeune étudiante française est assassinée dans un parc. Tous les éléments pointent vers un suspect, le notable Marchi et l’issue du procès semble inéluctable. Mais la rigueur du travail de la police se voit battue en brèche par l’avocat de la défense, le témoignage du petit ami de la victime... et bientôt un second meurtre.
La critique :
Ne ronchonnez pas ! Ce n'est pas la première fois que je joue au petit sadique d'opérette à chroniquer successivement deux gialli d'affilée. Il m'est même arrivé de respecter le vieil adage du jamais deux sans trois. Nul doute que ce genre de manoeuvre n'aidera pas certains à se réconcilier avec un genre qui les intoxique plus qu'autre chose devant la déferlante de chroniques qui lui sont attribuées. Mais il y a une raison derrière celle-ci et elle réside dans un arrivage de dernière minute que je réussis à obtenir après quelques séances de recherches se soldant par la négative. Dans mon infinie mansuétude, j'eus le toupet de le faire passer devant tous les candidats restants pour en rédiger un billet. Je peux vous assurer que ces mauvaises surprises de rajouts inattendus de pellicules ne devraient plus se produire. Certes, j'ai l'accessibilité à certains titres de Umberto Lenzi mais trois de ses crétineries m'auront suffi à ne plus réitérer l'exploration de cette fosse septique qui lui sert de filmographie.
Ici pour une raison que j'ignore, quelque chose m'attirait inexorablement. Un sentiment plus d'une fois rencontré dans mes années de cinéphilie antérieures et encore retrouvé ici. Il faut dire que le giallo recèle de pellicules intrigantes et ce depuis ses fondements initiés par Mario Bava avec La Fille qui en savait trop, qui posa les premiers éléments, avant que Six Femmes pour l'Assassin ne parachève le tout pour acter la naissance officielle du giallo. Vous connaissez la chanson.
Par l'intermédiaire de Dario Argento et de sa trilogie animalière, le genre connut un gigantesque essor au point d'aboutir à des sorties hebdomadaires. Le début des années 70 était une période dorée, riche en productivité où commençait à se former les futurs représentants de ce cinéma d'exploitation. Les spectateurs exultent sur certaines créations qui aideront grandement à populariser des artisans notoires tels Sergio Martino, Massimo Dallamano, Lucio Fulci, Aldo Lado ou, dans le mauvais sens du terme, Mister Umberto Lenzi. Ayant clôturé leur épopée suivant mes critères et leur disponibilité sur le web (exception faite pour le bébé de Tonino Valerii), l'honneur revient aux plus petites figures du giallo. Les connaisseurs seront ravis de savoir que Duccio Tessari débarque enfin dans cette (trop) longue rétrospective. Qu'on se le dise, cet homme s'est surtout illustré dans le péplum avec Les Titans et surtout dans le western spaghetti. En 1970, Tessari tente la carte du néo-polar italien avec La Mort remonte à hier soir. On suppose que cet essai qui n'en est pas vraiment un aurait préparé son entrée dans le monde du giallo l'année suivante. Dans un climat de concurrence acharnée débarque en 1971 l'énigmatique Un Papillon aux ailes ensanglantées, soit son premier giallo. Pour la petite anecdote, il porte aussi le nom débile et insipide de Cran d'Arrêt.
ATTENTION SPOILERS : Une jeune étudiante française est assassinée dans un parc. Tous les éléments pointent vers un suspect, le notable Marchi et l’issue du procès semble inéluctable. Mais la rigueur du travail de la police se voit battue en brèche par l’avocat de la défense, le témoignage du petit ami de la victime... et bientôt un second meurtre.
Toujours la même antienne, il est attesté que le giallo est un genre balisé, régit par des codes stricts qui font que l'on peut vite finir par tourner en rond. Le cinéaste devait certainement avoir conscience de ça en tournant son premier giallo. A la lecture du synopsis, on se rend bien compte que nous ne foulerons pas les mêmes sentiers qu'autrefois. La construction scénaristique n'est pas sans rappeler celle des polars où le suspect principal accablé de preuves de son/ses méfait(s) se retrouve au rang des accusés, subissant son jugement en bonne et due forme derrière les portes du tribunal. En l'occurrence, le déclencheur de cette procédure repose sur le meurtre d'une jeune française de dix-sept ans, poignardée à cinq reprises et retrouvée dans un parc sous une pluie battante.
Plusieurs témoins ont vu un homme s'enfuir. La piste des enquêteurs les amènera très vite à mettre la main sur le coupable potentiel qui est un simple notable se terrant dans un silence d'outre-tombe. Certains se montreront très certainement dubitatifs, se questionnant sur sa place justifiée dans le thriller policier à l'italienne. Comment un giallo peut-il faire d'un procès un élément central alors que le schéma que l'on connaît repose sur la traque sans fin de la police ou d'un homme présumé contre un psychopathe vouant un amour tout particulier au meurtre par arme blanche.
Un Papillon aux ailes ensanglantées peut se diviser en deux parties très distinctes. La première est la plus longue avec une bonne heure au compteur, centrée sur, comme j'ai dit, l'assassinat de la jouvencelle ainsi que l'arrestation et la comparution en justice de Marchi. Malicieux, Tessari va opter pour la voie du documentaire où le spectateur sera amené à suivre les diverses procédures d'identification d'empreintes et autres analyses d'indices. La relève d'empreintes digitales, l'histologie et même la spectrométrie de masse seront de la partie. Qu'on se le dise, pour un novice, n'espérez pas comprendre grand-chose au mode de fonctionnement. C'est bien beau de filmer la police scientifique mais si c'est pour raconter brièvement les résultats des méthodes scientifiques qui ne sont pas parlants pour la foule, ça ne sert objectivement à rien. D'autre part, ce fameux procès du notable est filmé avec une grande acuité et est stimulant par la manière de l'avocat de la défense à démonter toutes les preuves une par une. Certes, Tessari n'est pas Otto Preminger mais il se défend bien.
Sauf qu'un sentiment de lassitude commence à peser doucement dans une tournure de mise en scène frôlant dangereusement le téléfilm. L'apparition d'un second meurtre après, tout de même, une heure ravive le rythme lancinant établi. La deuxième partie peut enfin commencer.
Il n'est maintenant plus question de s'ébaudir de la recherche d'indices, de la reconstitution du crime et de la convocation des témoins. Un Papillon aux ailes ensanglantées va se focaliser sur son personnage principal, auparavant peu mis en valeur, dont il va disséquer la psyché. Ce bellâtre semble cacher de lourds secrets et un mal-être tenace qui ont raison de sa personnalité finalement névrotique et quelque peu sociopathique. Traversé par de nombreux flash-backs, les ficelles commencent à se délier jusqu'à une assez bonne révélation finale, crédible et amenée avec justesse. Un Papillon aux ailes ensanglantées, malgré quelques grosses maladresses qui minent l'intensité, réussit toute la partie consacrée à la narration. En revanche, le refus d'épouser le cahier de charges du giallo n'aidera pas à justifier son visionnage. Pour commencer, sur les trois meurtres recensés, ils sont tous représentés de manière elliptique. On voit le tout début et le corps de la victime mais jamais l'acte, ce qui est à des années-lumière d'être vendeur quand on sait que les scènes de meurtre radicales et sanglantes sont un grand classique du giallo. Ce n'est pas tant la rareté des exécutions qui pose problème mais le fait que rien ne nous est vraiment montré. Ceux qui affectionnent l'érotisme pourront aussi tirer la moue devant cette dimension quasi absente. Au final, Un Papillon aux ailes ensanglantées finit par devenir ce que l'on redoutait : un long-métrage terne et pudique. Un comble pour un style qui s'est toujours plu à être outrecuidant et à ne pas tenir compte des règles de bienséance.
Duccio Tessari se rattrape sur un beau, voire très beau, visuel. Les premières scènes sous la pluie valent clairement le détour. Avec une gestion admirable de la caméra, il la fait circuler avec aisance, jouant sur les perspectives et gros plans. Les décors, pour le coup, plutôt insolites puisque nous avons droit à un petit détour dans les labos de la criminelle et le tribunal, procurent un certain dépaysement. A la composition de la bande-son ne se trouve pas le démiurge Ennio Morricone mais Gianni Ferrio qui nous offre une partition plus que satisfaisante. Où le bas va blesser, c'est dans l'interprétation d'un Helmut Berger très effacé, peu impliqué dans un rôle qu'il n'arrive pas à bien porter sur ses épaules. Ce manque de consistance est particulièrement flagrant dans les passages plus psychologiques. "Il y a des jours avec et des jours sans", on aurait envie de dire.
En dehors de cet énergumène, les autres arriveront à se débrouiller un minimum sans offrir de jeu transcendental. Mentionnons Giancarlo Sbragia, Ida Galli, Silvano Tranquilli, Wendy D'Olive, Günther Stoll, Carole André et Anna Zinnemann.
En conclusion, Un Papillon aux ailes ensanglantées a toutes les peines du monde à être suffisamment vendeur, même pour les plus irréductibles du giallo. Il est vrai que nous pouvons saluer l'audace de Tessari à expérimenter et à se démarquer sauf que ce n'est pas en faisant cela que le pari est d'office gagnant. La thématique des recherches scientifiques est en dents-de-scie, la faute à rentrer dans des termes trop techniques qui ne sont pas assez intuitifs pour qui n'a pas les connaissances nécessaires. Une platitude s'observe dans le premier segment, s'amenuisant heureusement dans le deuxième qui, malencontreusement, perd en crédibilité sur certains points.
Enfin, vous pourrez vous asseoir sur toute infime particule d'irrévérence. Un Papillon aux ailes ensanglantées est d'une étonnante sagesse mais pas dans le bon sens du terme. Déséquilibré en rythme, faisant osciller constamment le cinéphile entre attraction et ennui, ce simili documentaire d'investigation avait un potentiel qu'il n'a pas su exploiter dignement pour le rendre intéressant sur toute la durée et non pas à des moments isolés çà et là.
Note : 11/20