Genre : Thriller, horreur, fantastique (interdit aux - 12 ans)
Année : 1975
Durée : 1h35
Synopsis :
Durant la période Edo, on n'osait pas passer sous les cerisiers en fleurs, la légende disait qu'ils rendaient fou... c'est dans ce contexte qu'un bandit vivant dans les montagnes kidnappe une belle femme de la ville pour en faire sa femme. Répondant à toutes ses exigences pour la garder près de lui, il va commettre des actes horribles.
La critique :
Pour changer, ce jour est encore en l'honneur d'une de mes deux dernières rétrospectives amorcées depuis maintenant un long, très long, très très long, moment. Je tâcherai tant bien que mal d'esquiver toutes les diatribes et remarques véhémentes de ceux qui commencent à en avoir un peu marre (ou en ont déjà marre) de cet interminable programme. Seulement, quand je me lance dans quelque chose, je ne fais pas les choses à moitié. Le seul paramètre qui pourrait me stopper serait la disponibilité physique et/ou sur Internet. Et l'air de rien, vous pouvez vous réjouir que je ne sois pas tombé sur le courant le plus facile d'accès en termes d'exploitation française ! Car oui, la Nouvelle Vague japonaise qui est une 625ème fois de retour a plus d'une fois été décrite comme un courant peu mis en valeur par les maisons d'édition françaises qui sous-estiment sa puissance. Comme c'est souvent le cas, le vaste réseau informatique permet l'obtention de titres qui seraient proprement inaccessibles pour le commun des mortels si des généreux donateurs ne nous les servaient pas en offrande.
Il y a quelques années, ce petit périple dans ce mouvement cinématographique que je cite aisément parmi mes préférés n'était pas censé se prolonger autant. Des razzias contre le téléchargement se sont produites par le passé, omettant le fait qu'elles firent disparaître du web des oeuvres introuvables et/ou inédites dans nos contrées. Les choses ont positivement changé, ce qui explique que je sois toujours en train de vous en parler.
Mais que les contempteurs se rassurent car il ne vous restera plus qu'à subir trois longs-métrages, après celui d'aujourd'hui, avant le clap de fin sur Cinéma Choc qui détiendra sans doute le record du nombre d'oeuvres estampillées NV jap', chroniquées sur un site. Le tout en suivant scrupuleusement l'esprit du site sans quoi nous aurions pu facilement augmenter d'un bon dixième la quantité. Si les cinq fidèles qui nous suivent (en comptant les auteurs eux-mêmes) connaissent la chanson par coeur, il sied de rappeler aux (mal)heureux qui ne nous connaîtraient pas encore que la NV jap émerge d'une situation très difficile. L'apparition des téléviseurs dans les foyers, les baisses de recettes financières des maisons de production, les bouleversements du Japon en pleine crise sociale et la lassitude des japonais pour les cinéastes classiques eurent raison d'une reconstruction du cinéma.
Aux vieux de la veille, se succédaient des jeunes talents qui avaient grandis durant la seconde Guerre Mondiale parmi lesquels Shohei Imamura, Yasuzo Masumura, Nagisa Oshima, Hiroshi Teshigahara ou Yoshishige Yoshida qui en sont les figures les plus respectées. On se chargera de ne pas omettre ce bon vieux Masahiro Shinoda qui revient pour une sixième et dernière chronique portant sur le très poétique titre Sous les cerisiers en fleurs.
ATTENTION SPOILERS : Durant la période Edo, on n'osait pas passer sous les cerisiers en fleurs, la légende disait qu'ils rendaient fou... c'est dans ce contexte qu'un bandit vivant dans les montagnes kidnappe une belle femme de la ville pour en faire sa femme. Répondant à toutes ses exigences pour la garder près de lui, il va commettre des actes horribles.
C'est un peu par hasard en farfouillant la filmographie de Masahiro Shinoda que je découvris Sous les cerisiers en fleurs. Totalement inconnu au bataillon, il fait partie de ses films qui sont, semble-t-il, toujours inédits de par chez nous. Pour parachever le tableau, il n'y a quasiment pas d'informations circulant sur l'Internet français. Une traduction dans la langue de Molière existe mais c'est tout. Certains en viendront à se demander où j'ai réussi à l'obtenir. Aussi étonnant que cela puisse paraître, je n'ai pas dû aller chercher bien loin car une version VOSTFR circule sur un site de torrent très connu. Mais je sais... je sais, télécharger des pellicules oubliées et jamais éditées chez nous, c'est mal. Je ne vous cache pas que je l'aurais fortement en travers de la bouche de ne pas pouvoir y avoir accès car un film d'horreur du mouvement de la NV jap n'est pas quelque chose d'anodin.
De mémoire, seul l'exceptionnel Pandemonium pouvait se targuer de flirter allègrement avec ce genre sans toutefois l'épouser entièrement. Dans le cas du film ici présent, le contexte repose sur une vieille légende à des années-lumière de l'image que nous nous faisons des cerisiers japonais. Ces arbres majestueux, d'une sublime et éclatante couleur, qui font le bonheur des romantiques ont pourtant été source de légendes où quiconque passerait en-dessous finirait par entrer dans un état de démence. On en aura l'illustration après le petit speech de la narratrice où un voyageur pète les plombs au beau milieu de ces arbres à la senteur exquise.
Ce dépaysement induit par le film qui se base sur son folklore natal immensément riche est indéniablement le plus gros point positif à prendre en compte. Cependant, l'aura maléfique se réveillant au printemps est une toile de fond à une histoire d'une noirceur totale où deux mondes vont s'affronter. Au détour d'un sentier, un homme des bois, criminel de surcroît s'étant désolidarisé de toute civilisation humaine, va faire la rencontre dans le sang d'une citadine qu'il kidnappera pour en faire sa femme dans son repère situé dans les forêts montagneuses. Elle représente l'être civilisé face à l'être trivial, du moins dans un premier temps. Les apparences sont parfois trompeuses et, dans un premier temps, elle se montrera exigeante, arrogante et condescendante envers cet homme dont elle se sert de ses charmes pour le commander. Lui qui n'a jamais été en présence d'une belle femme est manipulé pour continuer à avoir ce privilège d'être avec elle et de forniquer sans que rien ne nous échappe vraiment, même le cunnilingus que Shinoda filmera, nonobstant une distanciation qui va de pair. L'homme est sous l'emprise totale de son maître qui est la femme. Une radicalité qui contraste totalement avec la réalité du patriarcat japonais encore très fort à cette époque.
Mais si notre homme peut être vu comme bête, bestial, sanguinaire et maladroit, sa dulcinée surpasse en cruauté tous les actes qu'il a pu commettre avant sa rencontre. Ordonnant l'exécution de toutes ses autres femmes, elle s'adonne au fétichisme des têtes décapitées que lui ramènera son servant homme des montagnes, désireux qu'elle ne le quitte pas. Chaleureux tout ce petit programme, n'est-il pas ? Il est probable que certains se demandent quelle mouche a bien pu piquer Shinoda pour qu'il se décide à réaliser un cauchemar pareil où finalement personne n'est à sauver. Entre un influençable sans libre-arbitre d'un côté et une sociopathe avide de meurtres violents, autant vous dire que toute once d'humanité est aux abonnés absente. Les rares contacts avec la population se feront surtout par l'intermédiaire des pardonnés : une troupe d'anciens criminels qui ont décidé de servir la justice en débusquant d'autres criminels. La hiérarchie les arme de bâtons avec une pointe acérée pour qu'ils puissent se défouler pleinement, les encourageant même dans leur excès. Dans le pire des cas, la salle des tortures aidera à calmer les plus récalcitrants.
Sous les cerisiers en fleurs est d'une indéniable cruauté, dépeignant un monde répugnant qui, en fin de compte, ne semble pas avoir besoin de l'influence des cerisiers pour le faire devenir plus fou qu'il n'est déjà. La plus belle entité dans ce film étant justement ces arbres qui ne feront qu'accroître la rage des pauvres âmes, à travers des séquences particulièrement dérangeantes. Le ralenti sur les moines rendus hystériques cloue le spectateur à son propre siège, sans compter la fin qui vaut elle aussi son pesant d'or. L'influence pesante des cerisiers ne s'estompe jamais même quand on se situe pourtant bien loin de leur position. Un coup de génie que de les exploiter autant avec justesse sans que cela ne devienne jamais trop poussif. Shinoda multiplie les scènes outrageantes entre les viols et décapitations. Une mention toute particulière à cette nymphe enragée qui léchera avec passion les lèvres d'une tête inanimée. Certains reprocheront l'apparence trop artificielle de cet amas de têtes qui rappellent parfois plus le latex qu'autre chose. Cependant, on ne peut dénier l'atmosphère macabre qu'elles dégagent, transformant leur domicile en antre de l'horreur.
Très vite, Sous les cerisiers en fleurs nous dévoile son potentiel dans un visuel de toute beauté. Ces larges panoramas sur la nature lointaine où les pétales tourbillonnent avant de se poser sur un sol verdoyant. La première partie se déroulant hors de la ville berce nos rétines tant les décors sont chatoyants. Les choses péricliteront un peu après en arrivant dans le monde civilisé, d'apparence plus aseptisée et générique. Notons le repère méphistophélique aux teintes blafardes de notre couple qui terroriserait les Bonnie & Clyde et consort. Un excellent point est à attribuer à la bande sonore d'outre-tombe, qui contribue beaucoup au sentiment de malaise que l'on ressent devant. Félicitons pour finir notre très sympathique (en son genre) duo composé de Tomisaburo Wakayama et de Shima Iwashita.
Son regard glacial, auquel on peut rajouter ses rires inquiétants, ne risquent pas d'être oublié de sitôt. En dehors d'eux, les autres personnages ne présentent guère d'intérêt mais nous citerons Hiroko Isayama, Ko Nishimura, Hideo Kanze, Yoshi Kato, Toshimi Oka et Nikaku Shofukutei. Beaucoup d'eux ne sont pas des inconnus du noble Septième Art national.
Indubitablement, Sous les cerisiers en fleurs est une étrange curiosité à la frontière du fantastique, de l'horreur pure et du thriller psychologique. Loin des poncifs occidentaux, il est plus qu'évident qu'il surprendra le cinéphile averti par son traitement bien différent des autres productions. Plus tourné vers l'atmosphère et le sensoriel, il ne s'embarrasse pas de screamers et autres astuces. C'est aussi à la fois un combat entre deux catégories d'humains, suivi d'un combat entre le genre humain et la nature dont il est issu. Et quoi que l'on en dise, cette folie que déclenchent les cerisiers ne sont que la conséquence de la supériorité de la nature sur nous. Quand on sait que le Japon entretient des liens forts avec Dame Nature, on comprend mieux les intentions de ce long-métrage on ne peut plus singulier.
Sous les cerisiers en fleurs, un titre lyrique cachant un contenu délicieusement glauque mais aussi un film qui a une identité forte. L'on peut saluer Shinoda d'avoir conçu cette petite pépite injustement oubliée alors qu'elle a beaucoup à offrir. Certaines scènes risqueront fort bien de vous rester en mémoire. Dommage que quelques maladresses minent le tout sans quoi nous aurions pu nous enorgueillir d'un chef-d'oeuvre oublié qu'il s'agirait de remettre à la lumière du jour, en tâchant soigneusement d'éviter l'ombre des fleurs de cerisiers.
Note : 15/20